La ministre J. Milquet a annoncé, dès janvier 2015, sa volonté de faire du Pacte pour un enseignement d’excellence un processus participatif. Mais comment faire participer ceux qui sont le plus loin de la participation ?
On mettra tout le monde autour de la table, parents, réseaux, syndicats, enseignants, élèves… chacun aura son mot à dire à un moment ou un autre. » Au-delà de la bonne intention, comment s’assurer que les enfants issus des milieux populaires, touchés de plein fouet par les injustices et les dysfonctionnements de l’école, aient bien la parole dans ce dispositif ? Comment donner une place à cette parole et leur proposer un processus qui prenne en compte leur point de vue et celui de leurs parents ?
Des associations, témoins directs de ce que le système scolaire peut produire comme injustices et comme souffrance se sont rassemblées autour de cet objectif. Lire et écrire (LEE) alphabétise des adultes qui, pour la plupart, sont sortis de l’école sans avoir les compétences de base en lecture et écriture. La Fédération francophone des écoles de devoirs (FFEDD) rassemble des associations qui aident les enfants à faire un travail que l’école aurait dû leur apprendre à faire seuls. La Febisp[1]FeBISP : Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle. et l’Interfédé[2]Interfédération des entreprises de formation par le travail (EFT)/et des organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP) qui rassemble les 5 fédérations qui constituent le secteur de … Continue reading fédèrent des associations formant des adultes qui, pour un certain nombre, ont connu, entre autres, des parcours difficiles à l’école en Belgique. Tout ce tissu associatif est en lui-même un révélateur des lieux où le système scolaire ne répond pas à ses missions.
Ensemble, avec le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) et ChanGements pour l’égalité (CGé), ils ont proposé d’organiser un espace d’expression pour permettre à des témoins de relater ce que l’école peut provoquer comme dégâts. L’idée n’était pas de faire un débat équilibré, mais bien de donner de la chair aux statistiques déjà bien connues de tous.
De nouveaux acteurs se sont joints à la mobilisation : des acteurs de centre psycho médico sociaux (CPMS), de centres de Santé mentale, des travailleurs et des stagiaires en insertion socioprofessionnelle, en écoles de devoirs… Le plus délicat était que des jeunes acceptent de témoigner de leur scolarité. Ils ont, souvent, tellement bien intégré leur incompétence qu’ils ne se sentent aucune légitimité pour interpeler le système scolaire. Le soutien apporté à ces jeunes leur a permis de prendre distance par rapport à leur vécu d’incompétence et de prendre la parole.
Des parents qui ont construit une parole commune avec l’aide d’associations ou de services communaux se sont sentis légitimes pour intervenir et se sont mobilisés.
Petit à petit, les témoignages se sont accumulés et nous avons organisé une première rencontre avec la ministre et quelques acteurs du Pacte. Elle a eu lieu le 18 novembre 2015, dans un climat émotionnel chargé, du fait du contenu des témoignages, mais aussi du fait des attentats de Paris perpétrés quelques jours plus tôt. Une manifestation à Molenbeek étant organisée ce jour-là, les échanges prévus après les témoignages ont été postposés pour permettre à la ministre et à de nombreux participants de se rendre à un hommage organisé non loin de là. Une deuxième rencontre a donc été prévue. Elle fut organisée le 26 janvier 2016.
À partir des témoignages de la première rencontre, une série de constats forts ont été tirés, qui ont ensuite donné lieu à des questions. Ces constats ne disent pas tout de l’école. Ils mettent en évidence des conséquences sur les personnes, sur les familles et sur les parcours.
Le ton est volontairement incisif. Il témoigne de la violence vécue et ressentie par ceux et celles que le système scolaire a brisés.
1. L’École est une machine qui n’intègre pas les différences :
– elle peut produire des injustices voire des faux : entre autres, des enfants sont inscrits et déclarés présents alors qu’ils ne sont pas en classe (enfants de forains, enfants trop turbulents) ;
– elle peut produire des violences institutionnelles sur les enfants et sur les enseignants : entre autres, certains enfants sont maintenus dans une année ou avancés en fonction des besoins de l’école et de l’équipe éducative plus qu’en fonction de leurs propres besoins ;
– elle peut détruire l’estime de soi. Des parents n’osent pas aller à la rencontre de l’école pour différentes raisons : ils ont honte, ils ont peur de ce qui va être dit à propos de leur enfant, ils ont peur de ce qui va leur être demandé, ils ont peur de ne pas comprendre, ils sont trop en colère contre les institutions…
– elle peut ne pas/plus émanciper.
2. L’École est une machine qui peut humilier : entre autres, en confrontant les familles à des demandes impossibles (accès internet, théâtre, classes de dépaysement…) et de ce fait en apprenant très tôt aux enfants à éteindre leurs rêves.
3. L’École est une machine qui autorise l’incompétence pédagogique : entre autres parce que trop d’enfants, scolarisés depuis les maternelles en Belgique francophone, n’entrent pas dans le langage oral et encore moins dans l’écrit, trop d’enseignants ne sachant tout simplement pas comment faire.
À partir de ces constats, une série de questions ont été adressées à la ministre et aux acteurs du Pacte.
Question générale : que propose le Pacte pour que l’école ait les mêmes ambitions et résultats pour tous les enfants ?
Questions sur les injustices
Comment rendre le soutien aux parents accessible et crédible en toutes circonstances ?
– Quelles sont les instances qui doivent ou peuvent s’en charger ?
– Qui est garant des droits des parents ?
– Quelles instances indépendantes peuvent être sollicitées pour déposer un recours, hors de l’école, en cas de conflit, de sanction abusive, de traitement injuste… ?
– Que fait le Pacte pour que les personnes de milieux populaires aient de réels alliés dans leur relation avec l’école[3]En gras, les questions qui synthétisent les actions souhaitées par le groupe. ?
Questions sur les violences institutionnelles
– Comment mettre la dignité de l’enfant comme premier critère d’évaluation d’une situation ?
– Comment prendre en considération la réalité des enfants des milieux populaires dans leur relation avec l’école ?
– Comment lutter contre la relégation ? Comment inscrire le parcours scolaire dans une logique de coopération plutôt qu’une logique de sélection ? Comment sortir de la lutte des places ?
– Que fait le Pacte pour supprimer les « voies de garage » et la « gare de triage » ?
Questions sur l’estime de soi
– Comment garder le gout d’apprendre ? Comment évaluer sans juger ? Comment stimuler le courage d’essayer, de se tromper et de recommencer ?
– Apprendre ne se fait pas sans frustrations, comment faire pour que celles-ci ne soient pas destructrices de l’estime de soi ?
– Comment redonner confiance dans l’école aux parents abimés ? Comment tisser le lien ? Comment faire de tous les parents de vrais partenaires éducatifs ?
– Que fait le Pacte pour générer de la fierté à l’école aussi bien pour les enfants que pour les parents ?
Questions sur l’émancipation
– Comment favoriser la pensée divergente dans le système scolaire ? Comment valoriser les initiatives « confrontantes » nécessaires à l’émancipation ?
– Comment généraliser les pratiques émancipatrices dans toutes les écoles ?
– Que fait le Pacte pour que nos enfants deviennent de vrais citoyens capables de lire, comprendre et agir dans le monde ?
Questions sur l’humiliation
– Que mettre en place pour que les besoins physiologiques de chacun soient respectés ?
– Comment faire pour que la FWB puisse prendre réellement en charge tous les couts scolaires ?
– Comment former les enseignants à la sanction éducative ? Quelles instances créer pour que les élèves puissent questionner la sanction ?
– Comment former les enseignants à l’évaluation du travail/des capacités développées sans entrer dans le jugement sur la personne ? Comment sensibiliser tous les enseignants au principe d’éducabilité qui refuse d’enfermer qui que ce soit sous une étiquette ?
– Comment former les enseignants au nécessaire accueil de la réalité familiale de l’enfant avant de pouvoir exiger et soutenir son entrée dans les apprentissages scolaires ?
– Que fait le Pacte pour éviter l’humiliation des enfants à tous les niveaux ?
Questions sur la compétence pédagogique
– Comment organiser l’école en fonction des enfants les plus éloignés de la culture scolaire et penser les ajustements pour les enfants de classes moyennes ensuite ?
– Comment permettre à tous les enfants d’entrer dans le langage oral à l’école, et ce, dès la maternelle ?.
– Quelles réelles alternatives au redoublement pour les élèves et pour les enseignants, au niveau des apprentissages, de l’hétérogénéisation et au niveau de la sanction ?
– Quelle instance pourrait apporter une réelle validation des manuels scolaires au niveau des méthodes et des contenus ?
– Comment soutenir les évaluations formatives ?
– Que fait le Pacte pour faire évoluer la compétence pédagogique des enseignants avec les enfants de milieux populaires et ce dès leur plus jeune âge ?
Lors de cette 2e rencontre, la ministre a donné des éléments de réponses. Elle a nommé ce qui avait déjà été fait, ce qu’elle espérait pouvoir faire ou non.
Elle avait rappelé que, si le Pacte est bien à son initiative, elle doit composer avec d’autres puissants acteurs : le gouvernement et les membres du Groupe Central (Organisations syndicales, Fédérations de Pouvoirs Organisateurs et Fédérations d’Associations de Parents).
C’est pourquoi il nous parait essentiel de savoir comment ces différents acteurs vont effectivement s’emparer de ces questions et les mettre au travail dans les groupes de travail du Pacte. Questions que la ministre s’était engagée à transmettre, mais dont, à ce jour, les suites sont peu visibles.
Faire remonter la parole des « spotchés de l’école », pour qu’elle soit prise en compte par les « spotcheurs », semble mission impossible si on se limite aux rapports de forces immédiatement perceptibles. Mais de plus en plus de « spotcheurs » sont sensibles aux constats des « spotchés » et ces derniers commencent à se mobiliser pour faire entendre leur parole. L’investissement et la qualité de la réflexion des acteurs de terrain et des témoins en sont une confirmation. Leur ténacité sera un puissant levier d’action.
Notes de bas de page
↑1 | FeBISP : Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle. |
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↑2 | Interfédération des entreprises de formation par le travail (EFT)/et des organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP) qui rassemble les 5 fédérations qui constituent le secteur de l’Insertion socioprofessionnelle en Wallonie qui concerne 150 opérateurs de formation accueillant principalement des demandeurs d’emploi dits peu qualifiés ou peu scolarisés |
↑3 | En gras, les questions qui synthétisent les actions souhaitées par le groupe. |