Cette leçon vaut bien un foulard

La question du foulard n’est pas la question du foulard, rien que l’image un peu trop visible, un peu dure à avaler de part et d’autre, de la différence.

Michel Staszewski a démonté (dans le n° précédent d’Échec à l’échec) les arguments avancés et a de ce fait, me semble-t-il, démontré qu’ils ne sont que prétextes dans un contexte dans lequel le foulard sert de symbole à une société qui tente de tirer profit à court terme des peurs réciproques et a renoncé à négocier le projet commun collectif.
L’École est donc doublement touchée: parce qu’elle transmet ce commun collectif mais aussi parce qu’elle fait partie de l’enjeu de socialisation et que son attitude signifie à chacun la mesure dans laquelle il est pris en compte dans le projet commun collectif.
De plus, la qualité de la relation pédagogique que l’École propose est alors affectée par un obstacle supplémentaire et inutile: l’impossible reconnaissance d’une légitimité réciproque. Chacune des règles de l’École, et bien au-delà de la question du foulard, signifie aux différentes catégories sociales la mesure dans laquelle les différentes composantes de son identité sont ou non bienvenues en son sein. Attitudes et comportements, niveaux de langage et vocabulaire, tenues vestimentaires et langage non verbal, sont autant de bagages qu’en fonction de son origine sociale, culturelle, politique, l’élève devra ou non déposer à la consigne, pourra ou non valoriser dans son parcours scolaire.

L’École est détentrice de la loi

C’est ce qu’on appelle la violence institutionnelle et son usage n’est pas toujours légitime.
L’usage de la violence de l’institution n’est légitime que dans la mesure où la société démocratique lui a donné une fonction, un statut qui la rend nécessaire. Exemples:
– En contrôlant les absences, les arrivées tardives et les départs avancés, l’établissement scolaire exerce une autorité qui lui est confiée par le Parlement en vertu de l’obligation scolaire.
– En sanctionnant un élève dont le comportement met en péril la relation pédagogique, l’établissement scolaire agit dans le cadre de sa fonction et son action est légitime.

Mais quand l’École confisque des objets personnels pour une durée qui dépasse la durée du temps scolaire de la journée, elle outrepasse ses fonctions et, bien plus, elle contrevient à la loi car rien dans le mandat démocratique qui lui est confié ne la met au-dessus des citoyens en ce qui concerne le respect de la propriété privée. Que ça lui plaise ou non.
Pour des raisons qui leur semblent souvent justes, les établissement scolaires, au mieux dans leur règlement (au moins on est prévenu) mais aussi en dehors de références à des règles écrites, s’autorisent à jouer le rôle du législateur ou de la justice, ouvrant ainsi la porte à l’arbitraire de décisions qui ne respectent pas les droits démocratiques les plus élémentaires.
Outre le fait que ces décisions sont intolérables dans une institution qui prétend transmettre la culture démocratique aux futures générations, ces décisions alimentent le sentiment d’exclusion auprès de jeunes qui, sans autre recours apparent, se croient autorisés eux aussi à transgresser les droits démocratiques les plus élémentaires et à faire usage de la seule violence dont ils croient disposer: la violence verbale et/ou physique.

Sur le fil de l'égalité
Sur le fil de l’égalité

Liberté religieuse ou culturelle?

À la lumière de ce qui précède, la question du foulard peut être replacée dans son contexte. Ce dont l’École désire se débarrasser, sous couvert de neutralité religieuse, ce n’est pas de la symbolique religieuse du foulard, mais bien de jeunes dont elle a diabolisé les comportements tout en les assimilant à une catégorie culturelle.
Outre qu’elle renforce ainsi l’importance de cette appartenance culturelle en focalisant l’attention sur la composante culturelle d’une identité forcément multiple, l’École produit de ce fait deux injustices au moins: celle qui résulte de l’abus de pouvoir qu’elle se permet en prenant une décision qui dépasse les fonctions qui lui ont été confiées (assurer la qualité de la relation pédagogique) et celle qui résulte dans la stigmatisation d’une catégorie sociale et culturelle, provoquant l’exclusion là où elle est sensée produire du lien.
Et sur cette question, le foulard n’est qu’un moyen parmi d’autres utilisés par les établissements scolaires pour reléguer peu à peu certaines catégories d’élèves à la marge du système scolaire.
Les règlements des écoles sont souvent beaucoup trop longs et contiennent un multitude de règles non seulement inutiles mais nuisibles à la scolarité. Sous couvert de règles de vie en société, l’École (son PO, sa direction, le professeur ou l’éducateur) construit l’arbitraire qui lui permettra en temps voulu de protéger sa conception de la norme de sélection sociale.
S’il faut se battre avec la dernière énergie contre l’exclusion des écoles des jeunes filles qui portent le foulard, c’est au même titre que nous nous battons contre toutes les pseudo-règles de comportement dont l’école s’entoure de manière illégitime pour justifier une illégitime sélection sociale basée sur l’exclusion des jeunes qui ne possèdent pas la même culture (habitus) qu’elle.
Quand ils ne sont pas jugés sur leur foulard, ces jeunes le sont sur leurs attitudes verbales ou non verbales, leurs références culturelles, leurs loisirs, etc. et se voient interdire certains types de couvre-chefs, de bijoux, de vêtements, d’objets personnels, de façon d’être, non parce qu’ils perturbent la relation pédagogique mais parce qu’ils perturbent l’image que l’école a d’elle-même.
Pour ces raisons, l’école ne peut s’autoriser à exclure les jeunes filles qui portent le foulard.
Si le débat doit avoir lieu, ce ne peut être qu’au Parlement, seul lieu à même de garantir qu’une décision puisse être prise en tenant compte des enjeux collectifs de ce débat, notamment:
– la construction d’une légitimité de l’institution scolaire qui soit crédible aussi pour les publics défavorisés ou stigmatisés socialement;
– la négociation d’un commun collectif culturel capable d’éviter à la fois le relativisme culturel et le renforcement des réflexes d’exclusion;
– la reconnaissance de la multiplicité des références identitaires des individus;
– le respect de la Constitution et de l’état de droit.