Ceux qui ne répondent pas à l’appel seront notés absents

Un tiers des associations d’alphabétisation à Bruxelles[1]23 associations alpha/FLE sur les 75 existantes à Bruxelles qui dépendent toutes de ce pouvoir subsidiant. sont menacées de disparition par le nouvel appel à projets de la Cocof pour la cohésion sociale[2]Pour le quinquennat 2016-2020. qui cherche à harmoniser les structures de formation. Car cette harmonisation ne va pas sans une uniformisation qui écarte d’emblée les petites associations personnalisantes et « de proximité ».

 

D’après Julia Petri et Sandra Germet, permanentes à la cellule alpha du CCE où environ 200 adultes apprennent à lire et à écrire chaque année, ces nouvelles directives cadenassent les activités et rigidifient les structures pour mieux contrôler et exiger des résultats. Pour ce quinquennat, leur association va tenir le coup, mais ce ne sera pas sans mal : les exigences de l’appel à projets ne s’accordent plus avec leur fonctionnement actuel au niveau des horaires, du type de public ou de l’engagement de formateurs. Au-delà des modifications organisationnelles, c’est leur philosophie et leurs choix pédagogiques qu’elles sentent menacés par ce nouveau cadre : comment conserver des structures personnalisées ? Comment rester à l’écoute des besoins de l’apprenant ? Le droit d’apprendre deviendra-t-il un devoir ?

 

Quelle (idéo) logique ?

La cellule alpha du CCE fonctionne avec 2 permanentes, 2 formatrices détachées de Lire & Écrire et, surtout, 18 professeurs volontaires. Les apprenants sont dès le départ répartis en groupes et ils évoluent ensemble tout au long d’un apprentissage dont le rythme n’est pas prédéfini, car le souci de l’association est aussi de soigner le vivre ensemble, le plaisir d’être là, d’échanger sur sa vie de tous les jours.

Or une nouvelle directive impose que l’apprentissage soit dorénavant divisé en modules (avec test d’entrée et de sortie) « afin d’assurer la meilleure adéquation possible [avec] le niveau de connaissance de l’apprenant »[3]http://www.cocof.be/documents/Cohésionsociale/appel/appel2016.pdf. Ces modules permettront surtout d’augmenter le « turn-over » des participants et faciliter leur mobilité (en bref, être plus rentable). Ils s’adaptent aussi aux exigences d’Actiris pour les formations obligatoires des chercheurs d’emploi « activés » ainsi qu’au parcours d’accueil des primoarrivants. Ces deux types de publics seront dorénavant dirigés vers des associations et auront une tout autre motivation à l’inscription : garder un droit aux allocations ou un permis de séjour.

Autre exigence de l’appel à projets : « les séquences d’apprentissage de la langue française doivent être prises en charge par des animateurs ou formateurs ayant les qualifications pédagogiques requises »[4]idem. (éventuellement bénévoles, ça, ce n’est pas un problème). Les associations sont priées de faire preuve de plus de « professionnalisme » avec leurs animateurs, mais sans que cela ne constitue un accroissement des couts… cherchez l’erreur. Toutes les associations préfèreraient évidemment des animateurs qualifiés, mais avec quels moyens peuvent-ils les former ? Que faire des bénévoles qui n’ont pas de formation ? S’ils n’ont pas les moyens de s’en offrir une, il faudra se passer de leurs services et réduire les inscriptions.

 

La question du parcours d’accueil

Comme la Région bruxelloise n’a pas un budget suffisant pour mettre en place son parcours d’accueil des primoarrivants, le futur décret cohésion sociale a bien l’intention d’adapter les structures existantes aux exigences de ce parcours (obligatoire !)[5]Des budgets spécifiques ont été dégagés en Flandres mais pas à Bruxelles.. Les associations qui accueilleraient des primoarrivants forcés de s’inscrire dans un cours de langue devront rendre des comptes sur la fréquentation des cours et sur les résultats obtenus, un rôle de contrôle qui va à l’encontre de la relation de confiance et du travail d’accompagnement mené par de nombreuses associations. Pour le prochain quinquennat, la cohésion sociale risque de devenir l’opérateur unique du parcours d’accueil, ce qui restreindrait encore plus les possibilités.

La nouvelle directive imposant des modules de cours d’un minimum de 9 h par semaine (en journée) s’adapte déjà à ce parcours. Cette simple exigence fera disparaitre le fonctionnement participatif d’une structure comme l’alpha CCE qui propose un volume d’heures flexible au départ pour laisser aux mères au foyer (70 % de leur public) le temps de s’organiser. Leur imposer d’assister au cours 9 h/semaine revient à leur fermer la porte au nez.

De même, difficile de demander à des bénévoles de s’engager pour un minimum de 9 h/semaine, ils seraient plusieurs à ne pas pouvoir tenir cet horaire. Les formateurs pourraient se partager les classes, mais ce serait renoncer au choix pédagogique de privilégier, et de mettre au cœur des apprentissages, le groupe et la relation de confiance.

 

Se sentir con-certés

Pour tenir compte de l’avis des acteurs et associations de terrain dans la rédaction de son appel à projets Cohésion sociale[6]Subside qui soutient plus de 230 petites et moyennes associations à Bruxelles (chiffres du CBAI)., la COCOf s’est appuyée sur les évaluations de terrain réalisées par le CRACS[7]Centre Régional d’Appui à la Cohésion Sociale rassemblant des experts sociologues et anthropologues. et sur un processus de concertation des associations concernées. Mais comment l’appel à projets publié mi-décembre a-t-il pu tenir compte d’une évaluation du CRACS publiée début novembre et sur un dispositif de concertation mis en place à la mi-novembre ? Les échos du terrain ont-ils vraiment été pris en considération ?

Le fonctionnement des gros opérateurs du réseau bruxellois de l’alphabétisation a aussi servi de cadre de référence pour déterminer les nouvelles exigences. Ils constituent des « exemples » en la matière et leurs recommandations sont davantage prises en compte (étant donné leur importance dans le secteur). Mais les petites structures ne disposent pas des mêmes moyens financiers ou humains et ne peuvent suivre un tel train de vie (comme offrir aux professeurs des formations comprises dans leurs heures de travail).

Dans ce contexte difficile, de toutes les petites associations qui ont tenté de répondre à l’appel, combien seront notées présentes dans la répartition du budget ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 23 associations alpha/FLE sur les 75 existantes à Bruxelles qui dépendent toutes de ce pouvoir subsidiant.
2 Pour le quinquennat 2016-2020.
3 http://www.cocof.be/documents/Cohésionsociale/appel/appel2016.pdf
4 idem.
5 Des budgets spécifiques ont été dégagés en Flandres mais pas à Bruxelles.
6 Subside qui soutient plus de 230 petites et moyennes associations à Bruxelles (chiffres du CBAI).
7 Centre Régional d’Appui à la Cohésion Sociale rassemblant des experts sociologues et anthropologues.