Chaise musicale

Comment j’apprends ?
Comment mes élèves
apprennent ? De la même
façon ? Qu’est-ce qui nous
différencie ? Qu’est-ce qui rend
curieux ? Qu’est-ce qui éveille
l’intérêt ? Qu’est-ce qui met en
route le moteur, la motivation ?
Allers-retours entre eux et moi.

J’adore apprendre, découvrir de nouvelles
choses, quel que soit le domaine. Soif d’en savoir
toujours plus, intérêt pour toutes sortes
d’expériences nouvelles. Mon parcours est
jalonné de réussites, de prises bien fixées qui
me permettent d’être sure de moi, de monter plus haut.
J’ai une sécurité matérielle et morale qui me rend disponible,
attentive à ce/ceux qui m’entoure(nt), curieuse de
nouveautés.

Les adolescents avec qui je travaille sont dans une
période où ils se cherchent. Ils se
posent plein de questions comme
tous les jeunes de leur âge, mais en
plus, ils sont dans le premier degré
différencié parce que les années
d’études qui ont précédé ont été problématiques.
Ils ont déjà dû endosser
une bonne dose d’échecs, de déceptions, de dévalorisation
de leur image.

Moi, je n’ai rien à prouver. Si j’apprends, c’est parce
que je le veux, j’y vois un intérêt, j’anticipe ce que ça
va me rapporter en terme de gain ou de confort ou de
prestige…

CACHE-CACHE

Pour moi qui aime apprendre, c’est souvent très frustrant
d’avoir en face de moi des groupes qui sont dans
la fuite, l’évitement. C’est sûr qu’ils n’ont pas choisi
d’être là, en classe, dans cette école, à suivre un cours de
français qui devrait les aider à surmonter cette épreuve
qu’est le CEB. Tout est prétexte à freinage : « Trop chaud,
on peut ouvrir la fenêtre ?
», suivi immédiatement par
un : « Trop froid, il faut la refermer ! », classeur qu’on ne
retrouve pas, besoin urgent d’aller aux toilettes, discussions
incessantes, rires constants.

Sans doute une peur de montrer ses faiblesses,
crainte de se mettre en danger, d’échouer. Peur peutêtre
aussi de réussir, c’est drôle de voir comme, même
quand ils ont des beaux points, ils ne reconnaissent pas
avoir travaillé pour les avoir, ils s’en vantent même !
Quelle image renverraient-ils aux pairs s’ils se mettaient
à bosser sérieusement pour réussir à l’école ? Et
s’ils disaient y avoir passé la soirée et qu’en plus ils rataient
??? Apprendre, c’est changer, ça fait peur de toute
façon. Peut-être vaut-il mieux, ne pas trop s’éloigner du
connu…

C’est difficile de faire entendre qu’on pourrait y arriver,
que ce ne sera pas de tout repos, mais que c’est
possible. Certains m’opposent une fatalité qui plombe,
d’autres s’en remettent au Tout Puissant : « Inchallah
que je réussisse.
» C’est comme si ce n’était plus pour
eux. Comme si l’écart entre ce que l’école exige d’eux
et ce qu’ils pensent être capables de fournir était démesuré.

Je me rappelle une distribution des prix lorsque
j’étais en primaire, j’avais raflé le prix de ceci, le prix
de cela, je ne m’en souviens plus bien. L’image que j’en
garde, c’est la pile de livres que j’avais ramenée à la maison
et la fierté de mon père qui d’habitude ne se mêlait
pas du tout du scolaire. Et je repense à Ghizlaine, une
élève de l’année dernière, qui me racontait que son père
avait quitté prématurément la fête de fin d’année, car
elle avait une fois de plus remporté un seul prix : celui
du sourire !

TOUCHE-TOUCHE

Apprendre exige à un moment donné une intériorisation
pour s’approprier la nouveauté, la comprendre,
la faire sienne. Ce silence et cette intériorisation que
nécessitent la plupart des opérations mentales peuvent
être vécus comme très angoissants. Quand un silence
plane en classe quelques minutes, il y a toujours bien un
élève pour s’écrier : « Ça fait bizarre, on n’entend rien ! »

Quand je propose une activité, j’ai souvent des râleries
: « Non, pas ça ! », « On non… encore ça !!! » Pourtant,
lorsqu’on la vit, la plupart sont vraiment dedans et y
mettent toute leur énergie. Mais leur première réaction
est souvent négative. Apprendre avec plaisir ou pour le
plaisir est difficilement concevable.

Et pour tenter de leur procurer ce plaisir, je vais toujours
plus loin dans mes lectures, dans mes groupes de
travail, dans mes recherches didactiques…

Émettre des hypothèses sur ce qui pourrait faire
porte d’entrée, ce qui pourrait susciter l’intérêt. Tester
ces nouveaux outils, créer des nouvelles situations, les
améliorer, les adapter en fonction des réactions et commentaires
de ce public exigeant. J’avance comme dans
un colin maillard. Essayer de toucher mes élèves, me
laisser toucher par eux.