Face aux problèmes du monde, que dit le pape et que fait l’Église catholique ? Face aux problèmes de l’enseignement en Communauté française, que fait le SeGEC et quels sont les effets de la liberté du réseau ? N’est-il pas temps pour les progressistes du « Libre catholique » de remettre en questions le « C » et la liberté du réseau ?
Le cdH a montré la voie ! Les scouts l’ont suivie. L’UCL se pose la question. Quel sens a encore actuellement l’appellation « catholique », la référence à certaines valeurs (mais lesquelles ?) et l’arrimage à l’institution que cela suppose. Plus important encore, quels effets sociaux cela entraine-t-il pour l’enseignement ? Cardijn disait déjà que, dans l’appellation « JOC », c’était le « O » qui était important…
Les effets de l’Autorité
Après les indulgences accordées aux participants des journées mondiales de la jeunesse catholique, la menace des homosexuels, aussi grave que le réchauffement climatique et la violence intrinsèque de l’islam, Benoît XVI, en janvier, réintègre les quatre évêques intégristes, dont Williamson, négationniste notoire. En mars, l’archevêque de Recife excommunie les médecins qui avaient participé à l’avortement d’une fillette de 9 ans, abusée par son beau-père et dont la vie était en danger. Il a également excommunié la mère de la fillette, mais pas le violeur, car « le viol est un péché moins grave que l’avortement ». Le Vatican a approuvé cette décision. Enfin, en Afrique, le pape a affirmé à propos des préservatifs que « leur utilisation aggrave le problème du sida ». Les milliers de fillettes abusées et les millions de victimes du sida importent moins que « l’héroïsme de la continence » (Pie XII).
Sans doute suis-je mal informé mais, dans l’enseignement catholique, j’ai entendu très peu d’indignation par rapport à ces prises de position. Je n’ai pas vu de communiqué du SeGEC marquant sa désapprobation, je n’ai pas reçu, par mail, de pétitions d’associations de parents catholiques demandant le retrait de ces décrets papaux, pas reçu d’appels de conseillers pédagogiques, de professeurs de religion, de directeurs d’école… à critiquer ces déclarations des autorités catholiques. Dans mon école catholique, je n’en ai pas entendu parler.
Comme si, dans l’enseignement catholique, on n’entendait pas, ou plus, les radotages de ce vieillard. Ou comme s’ils n’existaient pas ou n’importaient pas. Or ils existent, on les entend partout (sauf dans l’école catholique) et ils ont de l’importance. C’est la parole de la plus haute autorité, infaillible, de 1,2 milliard de croyants. C’est une parole qui est répercutée dans le monde entier et qui pèse lourdement sur les mentalités, les comportements et les décisions.
C’est aussi la parole du sommet de la hiérarchie dont dépend l’école catholique. Le CGEC (Conseil général de l’enseignement catholique) est composé, pour un quart de ses membres, par les évêques qui y sont déclarés responsables de l’organisation générale. En cas de désaccord au sein de ce Conseil, c’est la Conférence des Évêques qui tranche.
Même si c’est le contraire que la plupart de ses membres professent quotidiennement, l’école catholique, en restant sourde et muette aux paroles de sa hiérarchie éduque donc, structurellement, à l’indifférence, à la lâcheté et à l’hypocrisie. Ne serait-il pas temps de, structurellement, remettre en questions l’existence de cette école ?
Les effets de la Liberté
Même si cela avait déjà été dénoncé auparavant, par des chercheurs et par des mouvements pédagogiques (dont CGé), c’est la publication de PISA 2000 qui a déclenché un débat en profondeur sur l’« inéquité » de notre système scolaire. Ces résultats catastrophiques sont mis en relation avec la très grande homogénéité sociale des établissements scolaires. Très vite, la plupart des acteurs suivent les chercheurs dans leurs conclusions et sont d’accord à la fois sur le diagnostic (les effets discriminants de notre organisation scolaire) et sur les objectifs d’une politique éducative pour plus d’équité (augmenter la mixité sociale). En novembre 2004, tous les acteurs de l’enseignement en CF signent une Déclaration commune en faveur d’un contrat stratégique pour l’éducation. Tous sont d’accord sur les bonnes intentions !
Malheureusement, dans l’action concrète, la plupart des acteurs se replient sur la défense stratégique de leurs privilèges acquis. Dans un système scolaire organisé selon les principes de la libre concurrence, il est bien difficile de réguler les offres et les demandes sans remettre en question le système lui-même. Les stratégies des uns et des autres autour des quelques tentatives de régulations (décret mixité, décret inscriptions, bassins scolaires…) sont révélatrices de l’impasse dans lequel le système se trouve. Tout ministre de l’enseignement est condamné à l’impuissance ; il est nécessairement l’acteur qui a le moins de pouvoir sur son département.
La liberté pédagogique rend toutes les écoles particulièrement vulnérables aux stratégies individuelles angoissées des parents. Dans les années 80, l’école catholique a joué un rôle progressiste : pratiques liées aux compétences avant que celles-ci n’existent, cycles, pratiques d’évaluation formative, programme d’étude du milieu dans le secondaire, formation humaine dans le qualifiant, programme intégré dans le fondamental, pédagogie interculturelle… Aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe. L’école catholique se croit obligée, pour s’affirmer, de faire les choix les plus conservateurs : résistances et contournements des tentatives de régulations, stratégies commerciales (markéting d’établissement, options bidon, immersion linguistique…), évaluations « sélectionnantes », savoirs dits patrimoniaux au détriment des compétences, savoirs de distinction au détriment d’une éducation citoyenne… Les objectifs d’appareil l’emportent largement sur les objectifs de missions. Il est temps de dénoncer l’appareil quand, dans son mémorandum 2009-2014, le SeGEC ne plaide finalement qu’en faveur de plus d’autonomie, sans aucune prise en compte de la dualisation et de l’exclusion scolaires.
Oser la remise en questions
Quelle organisation scolaire permettrait de poursuivre au mieux les Missions de l’École, permettrait d’atteindre plus d’efficacité et d’équité ? L’organisation actuelle, basée sur la double liberté constitutionnelle, le permet-elle ? Les réponses sont évidentes pour la plupart des acteurs impliqués dans le système, dès lors qu’ils acceptent d’oublier un moment les intérêts de leur chapelle. La plupart de ces acteurs savent très bien que c’est le nombre et la position structurelle de chacune de ces chapelles dans le système d’ensemble qui le paralysent : CGSP enseignement, Villes et communes (CPEONS), SeGEC, etc.
Or dans ce système, l’acteur clé de la combinatoire, c’est l’enseignement catholique, par son importance (60 % du secondaire), son histoire, son ancrage sociologique, sa position et son organisation stratégiques. Or, la justification de son existence, son arrimage à l’appareil de l’Église n’ont aujourd’hui plus aucun sens. La rupture entre le pape et les enseignants et parents d’élèves du Libre catholique est totale. Les enseignants catholiques loyaux à leur projet pédagogique (Missions de l’École chrétienne) sont bien plus proches des membres de la CGSP-enseignement, de la FAPEO ou de la Ligue de l’enseignement que de leur hiérarchie catholique. Ceux qui veulent défendre, dans l’enseignement, les valeurs chrétiennes le pourraient bien plus dans une autre organisation scolaire. Beaucoup le souhaitent et regrettent les orientations actuelles du SeGEC.
Pour tous les membres de l’enseignement catholique qui souhaitent une école plus efficace et plus équitable, qui souhaitent une meilleure réussite de tous, mais surtout des plus faibles, il est temps de proposer la création d’un grand réseau commun, public, pluraliste, qui ne serait aucun des réseaux existants (personne n’accepterait de se fondre dans l’autre), mais une synthèse qui cumulerait le meilleur de chacun. Ce grand réseau commun n’a de chance d’exister que si des membres de l’école catholique le demandent, alors qu’il s’agit d’une condition nécessaire (mais non suffisante) à la réalisation des Missions décrétales de l’École.