Lorsqu’on pense à la radicalisation, on pense souvent à l’islam. Or, mon histoire, celle d’une jeune femme radicalisée par une église pentecôtiste à Liège, montre bien que d’autres jeunes sont en danger.
A l’âge de seize ans, j’ai été interpelée dans la rue par plusieurs jeunes de mon âge, on a d’abord beaucoup discuté et eu de nombreux échanges. Par la suite, ils m’ont invitée à une fête dédiée exclusivement aux jeunes. Ils m’ont précisé que l’entrée était gratuite et qu’il y aurait plats et boissons à volonté. Ils me l’ont présentée comme un lieu de divertissement, où se jouent des pièces de théâtre, des spectacles de danse et de chant, etc. Ils étaient vraiment chaleureux et enthousiastes. Ils avaient un grand sourire sur leur visage. Par leur attitude positive, j’ai été séduite, c’est pourquoi j’ai décidé d’accepter leur invitation.
Quelques semaines plus tard, j’ai été à l’évènement. En arrivant sur les lieux, à ma grande surprise, je me suis rendu compte que c’était une église pentecôtiste. Je pensais m’être trompée d’adresse. Ensuite, j’ai aperçu les personnes qui m’avaient invitée et elles m’ont tout de suite accueillie, toujours aussi chaleureusement.
L’ambiance était agréable, tous me saluaient et s’intéressaient à moi. On me demandait comment je me portais. Ils avaient envie, à tout prix, de me connaitre et, je ressentais de leur part un plaisir quant au fait que je sois présente à leurs côtés. Je ne pensais pas qu’un endroit pareil existait. Je me croyais dans un autre monde.
Durant la cérémonie, le pasteur a tenu un discours sur les problèmes que les jeunes pouvaient rencontrer dans leur vie. Il ciblait des situations qui pouvaient se produire au sein de la famille, à l’école, avec des amis ou en soi-même tout simplement. Il disait que c’était un passage que beaucoup de jeunes de mon âge connaissaient. C’est ce qui a le plus attiré mon attention.
Pour lui, tous ces problèmes étaient liés à des phénomènes paranormaux. Il expliquait que toutes les difficultés que nous pouvons vivre sont source du diable. L’unique possibilité de s’en sortir était de pratiquer les cultes de délivrance, au sein de l’église. Et c’est pour cela que tous les vendredis suivants, j’y suis allée. Son but était de faire sortir les démons et les problèmes situés dans mon corps.
Au fur et à mesure que je fréquentais cette église, j’écoutais les prêches du pasteur. Et je constatais que son discours était de plus en plus agressif.
Les amis rencontrés dans ce lieu de culte étaient considérés comme plus importants que notre famille biologique. Nous regardions des vidéos sur des suicides et des accidents de voiture d’anciens membres qui avaient décidé de quitter la communauté. Il y avait l’obligation d’être présents tous les jours sinon on était considéré comme faible et possédé par un démon. On était chargé d’évangéliser un maximum de personnes et d’aller à la recherche d’âmes pour Jésus afin qu’ils fréquentent l’église.
Il y avait la récolte de dons qu’on pouvait commencer à midi ou à 5 heures du matin ! Lorsque nous partions faire la récolte, tout le monde pouvait participer même des mineurs qui étaient âgés de douze ans. C’était une activité obligatoire, quelle que soit la météo.
Il y avait des sacrifices d’argent qu’on devait accomplir pour Dieu. Et ce, dans le but qu’il puisse répondre à nos prières. Le prêtre nous incitait à utiliser tous les moyens possibles, à savoir vendre nos affaires personnelles, donner toutes nos économies, etc. Il partait du principe que Dieu nous rendrait tout ce qu’on allait donner, et que, si tu ne sacrifies rien, tu n’as pas l’esprit de Dieu. Je me rappelle avoir vendu toutes mes chaussures et mes bijoux en or. J’ai même vidé mon compte d’épargne sans l’autorisation de ma maman. Cet argent, c’était toutes ses économies qui devaient servir pour mes études et mon permis de conduire.
Partir en vacances était déconseillé parce que le diable travaille également pendant ces périodes. En vue de nous empêcher d’y aller, l’église organisait des plannings spécifiques qu’on devait respecter. Par exemple, durant quarante jours, nous devions vivre sans télé, sans internet, sans GSM et sans musique. Et surtout, nous ne devions pas sortir parce qu’on devait être connecté à Dieu et pas au monde réel.
On ne nous motivait pas à étudier à l’école, mais plutôt à être des serviteurs au sein de l’église. On nous incitait à mettre notre vie totalement au service de l’église car la fin du monde était proche. Avoir des enfants était déconseillé, car on aurait moins de temps à consacrer à Dieu.
Poser des questions ou mettre en doute les paroles du pasteur voulait dire que tu n’avais pas la foi et que tu contredisais Dieu.
On devait faire les choses comme le pasteur le disait. Il devait tout savoir sur notre vie. Chaque semaine, on devait parler avec lui pour dire comment notre vie se déroulait.
Entretenir une relation amoureuse avec un garçon en dehors de l’église était interdit.
À cause de toutes ces manipulations, j’ai perdu une grande partie de mes amis, ma personnalité, mon identité, le lien avec ma culture, l’éducation transmise par mes parents. J’ai perdu une partie de ma jeunesse, de mes seize ans jusqu’à mes vingt-et-un ans. Je ne pensais plus à moi, tout était programmé pour moi. Même si je pensais que je faisais ça de mon libre arbitre, en réalité, j’étais stimulée pour faire ces choix-là.
Quand j’ai commencé à réaliser leur emprise, ils m’ont rendu la vie difficile. Ils ont interdit à mes amis de l’église de me parler. J’étais devenue la fille qui avait perdu le Saint-Esprit. J’étais de nouveau possédée par des démons.
J’étais isolée du monde extérieur et on m’avait appris à ne pas remettre en question ce que le pasteur nous disait. Il m’était impossible de contredire le pasteur, c’est pourquoi j’avais du mal à chercher de l’aide à l’école, auprès de mes parents ou de mes amis pour sortir de cette organisation.
Cela m’a pris six mois pour avoir le courage de dire à l’école et à ma famille que je voulais en sortir. Et durant cette période, j’étais fatiguée, je ne dormais pas. Des fois, on devait même faire des prières avec le pasteur heure après heure. Je ne partais pas en vacances, je ne vivais plus tout court ! Tout était contrôlé : Facebook, mes activités, mes amis, mes vêtements même mes sous-vêtements, le maquillage, etc.
La première fois que j’ai vraiment réalisé que j’étais en danger, c’était lors d’un rassemblement. Le pasteur nous a pointés du doigt, et nous a clairement dit : toi, toi et toi, vous n’existez pas. Vos opinions ne comptent pas ici. Tu n’es plus là. Ce que Dieu dit à l’évêque (leadeur de l’église) sera fait.
La deuxième fois, c’était quand ma mère a eu un accident de voiture et qu’elle a été à l’hôpital. Moi, j’étais à l’église. J’ai averti le pasteur pour pouvoir aller lui rendre visite au plus vite. Il m’a répondu que je n’avais pas à quitter le culte. Et que si j’avais la foi, je laisserais ma mère entre les mains de Dieu.
À la suite de ces évènements, j’ai enfin eu la force d’en parler avec mon professeur de religion qui a fait des recherches sur l’église. Elle m’a confirmé que c’était une secte. Elle a décidé d’appeler la police parce qu’ils me harcelaient au téléphone même durant les cours.
J’ai dû raconter mon histoire aux policiers qui, à ma grande surprise, m’ont dit qu’ils gardaient un oeil sur cette organisation, mais qu’ils n’avaient pas les moyens de les dénoncer car ils se cachaient derrière la religion. Dès lors, je me suis sentie impuissante.
Après tout le harcèlement que je subissais, j’ai décidé de prendre rendez-vous avec le pasteur. Je lui ai expliqué les raisons de mon départ avec assurance. Il a compris que j’avais fait un choix irrévocable et que s’il ne me laissait pas partir, j’essayerais de dissuader les autres. Comme je n’étais plus sous leur contrôle, j’étais une menace pour les autres fidèles, alors il n’a pas essayé de me retenir.
Pour commencer, je n’avais plus d’amis car les seuls que j’avais, c’était ceux de l’église et ils ne pouvaient plus être en contact avec moi. J’ai dû réapprendre à dormir, à sortir, à m’amuser. Je ne connaissais absolument rien du monde où je vivais. Et surtout, je devais apprendre à construire mes propres idées, mes opinions qui avaient été celles du pasteur durant cinq années.
Lorsque je suis retournée vers les amis et la famille qui m’avaient avertie, j’avais honte. C’était dur pour moi de reconnaitre la vérité.
Durant les cinq ans, je ne m’étais jamais renseignée sur cette église. C’est quand je l’ai quittée que j’ai fait des recherches. J’ai constaté que même les médias en parlaient. Malheureusement, j’ai l’impression que même si c’est dénoncé médiatiquement, ça ne change rien.
Ce que j’aimerais vous dire, c’est que je ne suis pas la première ni la dernière victime ! Alors pourquoi laisser ce genre d’organisation encore exister ? Les jeunes sont leurs premières cibles car nous sommes à la recherche de nous-mêmes et ils pensent nous donner les réponses.
Aujourd’hui, on se focalise sur la radicalisation qui viendrait de l’islam car il y a des morts. Mais je peux vous assurer que les jeunes que je fréquentais étaient tellement sous l’emprise de cette organisation, que je ne veux pas imaginer jusqu’où j’aurais été capable d’aller.
Mon coeur pleure pour tous ces jeunes qui sont encore dans cette organisation. Ce sont des personnes qui sont remplies de talent, de connaissances, de bonne foi et qui n’auront jamais l’occasion de les mettre au service de notre société. C’est une grande perte pour notre société. Mais, je garde tout de même espoir car si j’en suis sortie, d’autres le pourront.