Le tronc commun, c’est une histoire ancienne pour des mouvements pédagogiques comme CGé (ChanGements pour l’égalité) et APED (Appel Pour une Ecole Démocratique) qui en défendent l’idée depuis de très nombreuses années.
Le tronc commun, c’est une vieille histoire pour de nombreux pays européens et américains qui l’ont adopté partiellement ou totalement sous diverses formes et qui résistent plus ou moins sous les coups de butoirs du libéralisme qui profite de l’affaiblissement des états et du développement de stratégies individuelles consuméristes pour affadir les services publics et saler les marchés scolaires.
Il est né bien avant Joëlle mais c’est « son » pacte pour l’excellence qui l’a remis au gout du jour. Bien sûr, l’accueil dans les salles de prof n’est pas très favorable. Les gens parlent d’une réforme de plus, d’un nivèlement par le bas, d’élèves sans examens qui n’auront plus aucune ardeur au travail, de qualifiant déqualifié et d’avenir sans hommes de métier, de rigueur budgétaire qui ne permet aucune folie… Bien sûr, certains politiques, responsables de l’enseignement et journalistes de la presse écrite et des télévisions, qui en présentent des parties anecdotiques (les congés scolaires) ou qui inventent des éléments qui ne sont pas dans les rapports (le retour du latin), ne contribuent en rien à rendre le projet sexy.
Pourtant, nous sommes à la fois des rêveurs qui pensent que l’enseignement va devenir meilleur, plus égalitaire ; et des désespérés qui à force de circuler dans les classes se disent qu’on va droit dans le mur, qu’on fabrique des petits cons à la pelle et qu’on ne peut pas tomber plus bas… Pourtant, s’il s’agissait d’une formidable occasion de repenser collectivement ce qu’on apprend et comment on l’apprend… S’il s’agissait de rendre l’espoir à des enseignants qui ne sont ni des collabos, ni des pourris, ni des salauds et qui voudraient redonner sens à leur métier…
Le tronc commun, ce n’est pas ajouter une année à un tronc qui existe déjà et faire encore un peu plus de ce que l’on fait. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas actuellement et qu’il s’agit de faire tout autre chose dès la maternelle.
Le tronc commun a un souci de citoyenneté : donner des outils conceptuels à tous les élèves pour comprendre le monde et s’émanciper. Il a un souci de cohésion sociale : pour que les gens puissent se parler et se comprendre, il faut un vécu et des savoirs communs. Il veut réduire le handicap de l’accès aux emplois nobles des classes les plus populaires. En aucun cas, il ne s’agit d’en faire une machine d’orientation mais un système qui garde la même ambition pour tous jusque seize ans et qui renonce à la porte de sortie « facile » de l’orientation par relégation !
Penser « tronc commun », c’est donc penser réforme de grande envergure qui traverse les curricula, les pédagogies et les structures. C’est traduire les intentions qui semblent faire consensus assez large en dispositif concret de l’école de demain. C’est voir comment mener cette réforme et surtout comment l’initier. C’est faire adhérer les enseignants. C’est se demander ce qu’il faut de toute façon tenter même si la réforme n’aboutit pas dans toute sa globalité. C’est s’attaquer au problème de l’échec qui touche avant tout les classes sociales les moins bien loties.
Non le tronc commun n’a absolument rien à voir avec l’école actuelle et les termes sont déjà tant galvaudés qu’il vaudrait mieux le désigner en d’autres termes : « comm’un tronc », par exemple. La mise en place ne peut se faire que de façon graduelle en commençant par le maternel dans un an ou deux pour s’achever au secondaire dans dix-huit ans avec une évaluation permanente du processus et des réajustements constants.
La mise en place d’un « comm’un tronc » pose de nombreux problèmes que nous n’évoquons qu’en partie dans ce numéro de TRACeS. Il y a le problème des contenus, cruciaux pour la langue de scolarisation, les sciences et les mathématiques, par exemple. Des contenus qui sont encore à définir pour le polytechnique, les sciences sociales, les activités artistiques et corporelles, l’interdisciplinaire… Il faut préciser comment faire du commun avec des enfants à tous les âges. Il faut s’interroger sur les conditions de mise en œuvre, sur les structures (aménagement des temps et des lieux, évaluation) à mettre en place, sur les ressources budgétaires nécessaires et les moyens de trouver les sous. Il faut envisager les moyens d’amorcer le changement, de créer et élargir un sentiment de communauté de destin (ça concerne « nos » enfants) pour construire un rapport de force qui oblige à prendre en compte les intérêts des enfants de milieux pauvres et précarisés.
CGé, APED et beaucoup d’autres réfléchissent mais il s’agit d’un chantier gigantesque. Malgré notre force de travail et notre énergie, nous ne pouvons presque rien mais nous le voulons et voudrions que vous partagiez notre enthousiasme pour le projet.