Comprendre le monde et le faire comprendre

« Pourquoi les Palestiniens n’ont pas de pays ? », interrogeait un enfant en 1985. « Pourquoi on ne coupe pas Jérusalem en deux ? », demande un gamin d’aujourd’hui.

03.0.jpg C’est à des questions de ce genre, claires et élémentaires, que, dès son origine, Le petit Ligueur a essayé de répondre. Des questions qui, d’emblée, nous situent au cœur de problèmes généralement plutôt complexes.

Quelque chose à expliquer

Il n’est pas possible de tenter de comprendre le monde, en lisant, au jour le jour, l’actualité en faits ponctuels ou en anecdotes.
Pour les journalistes du Petit Ligueur, ce constat se répercute sur le choix des sujets, semaine après semaine. Au départ de l’actualité – qu’elle s’affiche à la Une des quotidiens et au JT (élections aux USA) ou soit latente (la faim dans le monde) -, il s’agit de donner des infos qui permettront de comprendre pourquoi aujourd’hui, tel pays est en guerre, tel événement est possible. Principe de base : on part de rien ou presque rien comme connaissances chez le lecteur. On lui donne un cadre, une base avec des données d’ordre géographique ou historique, politique, économique ou ethnographique, selon le cas. On tisse en quelque sorte une trame où pourront s’accrocher des éléments d’information.

Nous ne considérons donc pas qu’un fait ponctuel, vraisemblablement déjà lu ou entendu, peut donner lieu à un article. Nous ne reparlons pas toutes les semaines de la même région ou du même évènement. Nous n’annonçons pas autant de morts en Irak ou en Palestine. Nous revenons sur un sujet quand existe un élément réellement neuf sur le terrain (la mort d’Arafat) ou quand nous voyons une manière différente de l’éclairer. On peut, par exemple, expliquer le système des élections aux USA dans un journal et, dans le suivant, décortiquer les lieux communs concernant les Américains.

Avec des articles de 3 750 signes destinés à un jeune public, il est nécessairement impossible de faire le tour d’un sujet. L’idéal donc est de définir chaque fois un angle d’approche. Comme dit plus haut à propos des Etats-Unis. On aurait encore pu décider d’expliquer dans d’autres articles qui étaient les deux candidats et ce que voulaient leurs partis. Ou ce que sont les « machines électorales » dans ce pays. Ou… En une demi-page, on ne dit pas beaucoup. Pourtant, au fil du temps, on peut espérer qu’un lecteur reliera les différents morceaux des articles « pièces de puzzle » que nous publions.

Quels mots ? Quelles phrases ?

Si le lecteur n’a pas de connaissances préalables du sujet, il n’en possède pas non plus le vocabulaire et les concepts spécifiques. À nous donc de choisir ceux que nous estimons essentiels, indispensables pour comprendre de quoi il est question, et donc à expliquer. Si l’on parle de la santé dans le monde, il faudra sans doute décortiquer « pandémie », « sécurité sociale », « Organisation Mondiale de la Santé ». Trois termes ou concepts pour un article, c’est sans doute assez. Si l’on parle d’OGM, il s’agira d’expliquer « principe de précaution ». Le recours à l’un ou l’autre « encart » explicatif est souvent utile parce qu’il permet de mieux développer le texte principal et l’allège simultanément.

Et d’autres termes barbares pour notre public seront évités par le recours à des périphrases.

D’autre part, le français possède pas mal de mots à double ou triple sens. Du cabinet au siège, de l’exécution d’une loi à l’économie d’un régime, de la culture française aux différentes classes sociales… d’innombrables mots et expressions non utilisés dans leur sens premier, induisent d’autant les enfants en erreur qu’ils croient avoir compris ce dont il est question ! Imaginez l’interprétation d’un gamin de dix ou onze ans auquel on parle « des dragueurs de la Meuse en action » !?

Important encore : le style. Les phrases doivent être courtes sans reproduire machinalement et systématiquement « sujet + verbe + complément », ce qui serait ennuyeux à lire.

Une remarque encore : en fonction de l’actualité, un certain vocabulaire est momentanément connu des plus jeunes. Quand Ceaucescu est tombé, tous les gamins savaient ce qu’est un dictateur ou, en tout cas, avaient un idée relativement juste de ce que le mot signifiait. Ce n’était plus le cas quelques années plus tard. D’autre part, certains mots couramment utilisés mais mis à toutes les sauces (« citoyen » – « démocratie»), sont loin d’être compris par tous.

Des plumes !

Pour écrire un article, il faut des plumes ! Dire qu’elles sont très compliquées à trouver est un euphémisme. Ces journalistes doivent posséder, simultanément, une très bonne connaissance du sujet et la capacité de le décoder, de l’expliquer simplement tout en ne tombant pas dans la dichotomie. Dans la majorité des situations, il n’y a pas des bons et des mauvais, du tout blanc et du tout noir, ce que les enfants aimeraient croire ou imaginent facilement.

Tester son public

Comment savoir si l’on atteint sa « cible » ? En testant les articles, avant publication idéalement. Aucun enfant n’a jamais refusé de lire préalablement un papier. Surtout quand on précise la vérité : leur avis est utile et on en tiendra compte. Ils rendent donc, en quelque sorte, un service à la rédaction mais aussi aux lecteurs de leur âge. Ou aux plus jeunes car certains « testeurs » précisent parfois : « J’ai compris mais tu sais, les petits ne comprendront pas ».

Si cette relecture est infiniment précieuse, Le Ligueur n’a pas les moyens matériels d’y avoir régulièrement et systématiquement recours. Au fil de ces vingt ans, j’ai lu préalablement des articles avec un ou deux enfants de ma famille ou de mon voisinage, jamais représentatifs de toute la population bien sûr. Au fil des semaines, ils emmagasinaient des connaissances et donc, n’étaient plus « vierges »… Dans une classe, j’ai échangé mes services d’aide à la confection d’un journal contre des relectures. Là, les élèves (cinquième et sixième primaires) soulignaient sur des textes écrits les mots pas compris, les phrases difficiles… J’ai lu pendant midi, un texte par semaine à trois volontaires de sixième dans une école proche de chez moi (et l’un de ces élèves-là signe parfois, maintenant, un article pour Le Petit Ligueur !).

Lire ne suffit pas pour s’assurer de la compréhension de vos interlocuteurs, il faut questionner, faire redire ce qui a été compris. Je me souviens d’un texte traitant de l’Union Européenne où il était question d’un grand marché. En creusant, je me suis rendu compte que les enfants imaginaient concrètement un marché, un étal d’oranges, un de viande, un de vêtements…

En répétant l’exercice, le journaliste finit par connaître et deviner les mots pièges Il peut même imaginer comment un enfant comprendra de travers telle ou telle expression.

Réactions de lecteurs

Nous savons que Le Petit Ligueur est fort utilisé, notamment dans les écoles, parce que nous entendons régulièrement des commentaires positifs, souvent oraux, lors de rencontres diverses.
Les réactions des lecteurs devraient en principe aider à vérifier que l’on « colle » à son public. Mais Le petit Ligueur en reçoit peu en ce sens et c’est dommage. Nous sommes plutôt souvent interpellés par un : « Vous avez écrit un article sur le Darfour mais je ne le trouve plus et j’ai un travail pour l’école. Vous voulez bien me l’envoyer ? Aujourd’hui ? ». Les adultes écrivent aussi, plutôt pour critiquer positivement ou négativement le fond d’un article mais très rarement la forme.

Il serait certes utile de recevoir davantage de courrier précisant, par exemple, que tel article est incompréhensible pour une sixième primaire pourtant intéressée par le sujet. Qu’à propos de tel autre sujet, les élèves se posent telle et telle questions…

Appel donc aux enseignants intéressés, ils seront appréciés !