Comprendre le Monde, un boulot de géographe

Au-delà des conflits épistémologiques, chaque géographe (physicien ou humain) a la préoccupation de mettre en lumière les interactions de l’Homme avec son environnement.

La géographie est une discipline qui se situe à l’interface du monde physique et du monde des hommes, qui prend en compte l’ensemble des facteurs humains et physiques pour essayer de comprendre le Monde.

Pour l’instant ce qui paraît conflictuel entre les géographes, tant à l’Université que dans l’enseignement secondaire, c’est de reconnaître le paradigme : « l’espace est un produit social ».
Quelles que soient nos questions par rapport aux lieux que nous étudions, la société est toujours présente, et si le géographe physicien a des budgets pour ses recherches, c’est que l’érosion des côtes, par exemple, a des répercussions économiques, sociales et politiques…

Quelles sont les finalités du cours de géographie ?

En quoi contribue-t-il à la compréhension du Monde? Y a-t-il une spécificité ?

Pour moi, la mission première du cours de géographie est de « spatialiser » l’élève.

En maternelle, l’institutrice prend grand soin de développer le sens de l’espace chez l’enfant tout en construisant le concept. Au cours des trois années, elle fera en sorte que prioritairement l’enfant vive l’espace de façon consciente (l’espace sera vécu lors des sorties, et des activités de psychomotricité,…), perçoive celui-ci et l’exprime (vocabulaire spatial – expression graphique : dessins,…,jusqu’à espace perçu), le conçoive (espace conçu jusqu’à construction de circuits – maquettes,…).

Dans l’enseignement primaire, on a parfois l’impression que l’enseignant cesse de poursuivre la construction de la spatialisation de l’enfant et aborde des concepts très abstraits comme échelle, longitude, latitude, … Pour certains, ces connaissances semblent être les fondements indispensables pour répondre à la question « où ? », pour lire une carte.

Calculer une échelle relève plus des mathématiques que de la géographie ; localiser un lieu par sa longitude et sa latitude, est-ce socialement utile? Cela aide-t-il à comprendre le Monde ? Oui si j’ai une connaissance de la géographie zonale, je serai alors capable de me représenter des conditions de vie de ce lieu.

L’échelle, est-elle un concept de base de la géographie ? À l’école primaire, aborder « l’espace conçu » par les cartes familiarise l’élève à une représentation du Monde, permet de situer les lieux les uns par rapport aux autres et par rapport à Soi,… et oblige à comprendre le rapport de réduction qu’est l’échelle. Plus l’échelle est grande (dénominateur petit !), plus les informations sont nombreuses et détaillées. Quant au calcul de la distance, la référence sera l’échelle numérique.

Spatialiser les élèves

Faire de la Géographie c’est passer d’une échelle à l’autre, c’est contextualiser, c’est avoir un regard pluriel sur un même lieu, c’est favoriser le questionnement, c’est apprendre à se représenter le Monde. Par exemple : l’étude de la Wallonie peut se faire à l’échelle de la Belgique : ce territoire sera envisagé globalement comme une région politique de l’ensemble national, mais je peux aussi l’analyser à l’échelle de l’UE. C’est le même territoire contextualisé différemment (prise en compte des régions limitrophes). Je peux encore l’étudier comme la somme de régions polarisées par Liège, Namur, Charleroi, Arlon, Mons, Tournai,…
Globalement, la géographie étudie des lieux, des lieux en relation avec d’autres lieux, des lieux organisés par l’Homme (acteur), des lieux qui relèvent d’Institutions différentes.

Dans l’enseignement secondaire, spatialiser les élèves, c’est leur faire découvrir que l’organisation de l’espace est lourde de sens, que l’espace est porteur de valeurs personnelles et universelles (culturelles, économiques, sociales), qu’il y a des enjeux dans l’aménagement de l’espace, qu’il y a une dynamique spatiale liée au poids du lieu. Il s’agira de découvrir la force d’attraction ou de répulsion d’un lieu, constater sa capacité à polariser et étudier ainsi le rôle de la distance dans l’ensemble des interactions spatiales.

L’analyse spatiale d’un lieu comme « un théâtre lyrique » illustre le propos. Celui-ci peut être considéré comme un lieu de production de services (loisirs/culture) ou, à une autre échelle, comme un point d’attraction (travailleurs, musiciens, clients), un pôle culturel dans la ville dont on peut délimiter l’aire d’influence. Il est possible de distinguer à l’intérieur du bâtiment trois lieux d’échange (guichet, salle, foyer), des réseaux de communication : trois types d’escaliers (l’escalier d’honneur qui conduit uniquement au premier étage, un autre escalier qui va vers les étages supérieurs, et l’escalier qui conduit uniquement à l’amphi). Les trois flux ne se rencontrent pas. (Au XIXe siècle, les bourgeois ne fréquentaient pas le peuple !). La stratification sociale est présente dans le prix des places qui diminue en fonction de l’altitude comme le confort des sièges !

La comparaison avec un théâtre contemporain attire l’attention sur une autre conception qui se traduit spatialement.

Étudier la théorie de la « Dérive des continents » n’est indispensable que si cette étude permet à l’élève de s’interroger sur les risques naturels ou de découvrir que ce processus est la manifestation de l’énergie responsable de la construction des continents, que l’érosion détruira par la suite (autre risque naturel).

Pratiquer l’analyse spatiale permet de dépasser la simple description de la distribution des hommes et de leurs activités, et d’aborder les processus sociaux et politiques qui produisent cette répartition.

Quels sont les outils spécifiques du cours de géographie ?

05-13.jpg La géographie va aider les élèves à s’intéresser aux lieux car ce sont des œuvres humaines, ils ont été transformés et nommés par les hommes à partir de ce que leur offrait la nature.

Le questionnement géographique aide chacun à apprendre le Monde : Comment est-ce ici ? Comment est-ce ailleurs ? Et pourquoi est-ce comme cela ? Pourquoi est-ce là ?

Comme on peut le constater, les objets centraux de la discipline sont l’intelligence des localisations et la pratique de l’analyse spatiale (les effets de la distance, les agrégations et ségrégations, la distribution des inégalités sociales).

Le cours de géographie devrait permettre aux élèves d’identifier les acteurs du territoire, leurs jeux et stratégies, les enjeux et les lois de production de l’espace (les effets de la distance et de la gravitation, les modes de maillage et de treillage, les fronts et les frontières, les interfaces et les réseaux).

Il devrait, en cinquième et sixième, initier les élèves à l’analyse des différences, des disparités, des ruptures, des lignes de force, des solidarités dans l’espace mondial, continental, national ou local. Toutes les formes de « rugosités » des territoires, et pas seulement les accidents du terrain !

Cette réflexion sur le territoire, devrait être celle de tout citoyen. Elle peut, elle doit, être un élément de la formation, de la liberté de pensée et de décision du citoyen. Et comme le dit R.Brunet : « La géographie apprend à sortir de chez soi, à respecter les autres, à découvrir leurs inventions. »