En première année des études d’instituteur primaire, s’inscrivent des étudiants issus de l’enseignement général, des filières techniques ou professionnelles, mais aussi des étudiants ayant suivi des parcours divers dans l’enseignement supérieur. Et d’où qu’ils viennent, en français, ça coince…
Le taux d’échec pour le cours de « Maitrise de la langue orale et écrite » en première avoi- sine les 75 % en première session et les 55 % en deuxième session, sans compter les abandons… Comment enseigner la langue comme
un objet d’étude et comme un outil de communication si sa maitrise vous échappe ?
Un des modules du cours (15 heures) travaille la rédaction d’un compte rendu d’un texte argumentatif, compétence fondamentale dans les perspectives de la préparation des étudiants à la rédaction de leur travail de fin d’études et de la maitrise de la reformulation objective du discours d’autrui. Les classes ont été divisées en deux pour travailler avec un maximum de 18 étudiants.
Nous demandons donc aux étudiants d’écrire un compte rendu d’un texte source pour une personne n’ayant pas lu ce texte. Ce compte rendu doit être rédigé sous forme d’un texte suivi et ne doit pas dépasser le tiers du volume du texte source. Conscients de la difficile accessibilité, pour une première bac, des articles scientifiques à intention persuasive, nous avons ras- semblé des textes dont les auteurs sont des intellectuels connus (Philippe Meirieu, Vincent de Coorebyter…) qui traitent des problématiques liées à l’école (« La suppression des devoirs à domicile » ; « Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? », « Les parents sont-ils démis- sionnaires ? ») et qui sont diffusés dans des médias ou revues non spécialisés (Le Soir, Le Vif/L’Express…).
L’ORGANISATION
Un test diagnostique est réalisé lors de la première séance : 8 étudiants sur 10 ne citent pas leur source ou s’approprient les mots de l’auteur. Par ailleurs, il arrive que les étudiants déforment les propos de celui-ci, en ajoutant une opinion personnelle ou une opinion dont ils devinent que c’est probablement le type de pensée que l’enseignant attend d’eux. Je demande alors aux étudiants de rédiger l’introduction de leur compte ren- du avant même de lire le texte, en se servant de tous les éléments du paratexte. Cet exercice les oblige à se déta- cher du propos, à rassembler tous les éléments consti- tutifs de l’énonciation : l’auteur du texte, la date et le « lieu » où s’est exprimé l’auteur, le titre de l’article…
Pour hiérarchiser un texte argumentatif, il faut d’abord le comprendre. Or ces textes d’apparence simple résistent à la compréhension des étudiants parce qu’il leur manque du vocabulaire, parce que cer- taines tournures syntaxiques leur sont étrangères ou parce que le texte fait référence à des données qui leur font défaut. Soyons honnêtes : il est impossible d’agir à court terme sur ces lacunes.
Parmi les erreurs que commettent les étudiants, citons la reprise d’exemples qu’ils ont trouvés éclairants, la confusion entre les arguments à l’appui de la thèse et les faits relevant du constat, l’absence de planification de leur rédaction…
Mais comment les aider ? En leur apprenant à écrire ! Parce que pour savoir écrire, il faut apprendre à écrire ! Je rédige une première fois un plan du texte source de manière collective, en leur montrant comment on trie les informations et comment on les organise. _ Lors d’une autre séance, où l’on travaillera sur un autre texte, je propose aux étudiants de comparer leur plan entre eux. Un conflit cognitif s’engage alors sur ce qu’il faut garder ou non et les oblige à réfléchir au critère de choix d’une information importante : celle-ci doit être indispen- sable à la cohérence du propos.
Après avoir appris à faire un plan de texte, il faut apprendre à « partir » de celui-ci pour organiser le plan du compte rendu : références et problématiques énoncées dans l’introduction, reformulation des arguments de l’auteur, chaque argument correspondant à un paragraphe, la thèse résumée dans la conclusion.
Une fois le plan réalisé, je propose aux étudiants de rédiger, en classe, leur compte rendu. La relative faci- lité avec laquelle ils réalisent alors cette rédaction leur montre la nécessité du travail de préparation réalisé en amont : les éléments essentiels figurent bien dans le compte rendu parce qu’ils ont été identifiés en classe. Cependant, cette aide à la rédaction n’empêche pas les erreurs de norme (syntaxe, morphologie, orthographe d’usage), les erreurs lexicales, ni les oublis de mention de l’énonciateur…
Néanmoins, c’est par ce détachement du texte et par ce travail de planification qu’on aide les étudiants à éviter le copié-collé ou ce que j’appelle le compte rendu « mosaïque », truffé d’expressions reprises telles quelles du texte et qui, mises ensemble, déforment le propos de l’auteur ou entrainent des contresens.
LA COHÉRENCE
On peut s’étonner que ce travail sur la cohérence, en- trepris dès le fondamental, soit encore nécessaire dans l’enseignement supérieur. Il s’agit ici, entre autres, de chasser les « ça » et les « cela », ces pronoms qui cachent une pauvreté lexicale, une incapacité à nommer ce dont il est question.
La cohérence du texte est donc travaillée, entre autres, à travers le réseau anaphorique (les procédés de reprise) et les connecteurs (mots-liens ou articula- tions logiques). Pour montrer aux étudiants ce qu’est un réseau anaphorique, je leur propose un exercice pra- tique : sachant qu’ils doivent régulièrement mentionner le nom de l’auteur, nous collectons ensemble tous les procédés de reprise qu’ils peuvent utiliser pour éviter cette répétition : le pédagogue, il, l’auteur de l’article, Philippe Meirieu, le chroniqueur… Le travail sur les connecteurs, quant à lui, est réalisé à partir d’un texte argumentatif où le repérage de ces mots liens participe du repérage de l’organisation du texte.
Nous sommes en droit de considérer qu’un étudiant qui entre dans le supérieur maitrise la norme, à savoir les règles syntaxiques et orthographiques, l’orthographe d’usage et la ponctuation. Nous devons pourtant admettre que tous ne la maitrisent pas, même s’ils disposent, pour réaliser ces comptes rendus, de tous les référentiels possibles. Des cours de remédiation organisés par la cellule de « L’aide à la réussite » sont placés dans leur horaire. Ici encore, nous devons rester modestes quant à l’efficacité de notre démarche : c’est toute une posture de relecture d’un texte, de réflexion sur la langue qu’il faut mettre en place auprès de ces étudiants pour qui l’écriture rime avec échec.
LA RÉÉCRITURE
À chaque fois que je rends le travail corrigé et accompagné d’une grille d’évaluation commentée, je propose aux étudiants de réécrire leur compte rendu en fonction de remarques indiquées dans le texte et dans la grille. Cette réécriture a lieu en classe.
J’aide les étudiants de manière individuelle. À l’issue de cette séance, je re- prends les comptes rendus « remis à neuf », les corrige et reporte mes remarques avec une autre couleur dans la grille d’évaluation pour que les étudiants visualisent leur progression et soient sensibilisés au travail de réécriture auquel ils sont visiblement peu habi-
tués. C’est en voyant la différence de note qu’ils comprennent que ce tra- vail de réécriture est indispensable.
« Pour savoir écrire, il faut apprendre à écrire. »
Enfin, pour les familiariser avec la grille d’évaluation et pour leur montrer qu’elle est aussi une grille de relecture, je leur propose, lors de l’avant-dernière séance, de corriger un compte rendu des années précédentes, en passant en revue tous les critères d’évaluation et leurs indicateurs.
Cette démarche méthodologique n’est peut-être pas très originale, mais elle permet néanmoins de sauver quelques étudiants de l’échec. D’abord, parce qu’elle cible des compétences liées à un genre en particulier et qu’elle permet donc à l’apprenant de se focaliser sur certaines caractéristiques textuelles. Ensuite, parce qu’elle vise essentiellement à lui apporter une méthode de travail : lecture du texte, relecture avec rédaction du plan de texte, plan du compte rendu, rédaction du compte rendu, réécriture… La démarche n’est pas nou- velle, certes, mais elle est rigoureuse dans sa structure et a visiblement manqué à ces jeunes adultes si démunis face à l’écriture…