Depuis 1991, avec le soutien financier de la Division de l’énergie du Ministère de la Région wallonne, le CIFFUL ( Centre Interdisciplinaire de Formation de Formateurs de l’Université de Liège) et le FFC ( Fonds de Formation professionnelle de la Construction) collaborent à la mise en place d’une formation continuée de professeurs de l’enseignement technique et professionnel dans le but de préparer les futurs ouvriers de la construction aux nouvelles exigences d’efficience énergétique des bâtiments.
Le FFC organise des formations destinées aux professeurs ainsi qu’aux ouvriers. Depuis 1996, il existe un accord de partenariat avec les écoles. Celles-ci obtiennent ainsi des budgets à la condition d’envoyer leurs profs de cours techniques et de pratique professionnelle en formation et de trouver des stages pour les élèves de ces profs dans des entreprises qui acceptent un contrôle du FFC.
L’action menée par le CIFFUL et le FFC vise à concevoir et à optimaliser des outils didactiques en collaboration avec les professeurs concernés, à organiser des sessions de formation à l’utilisation de ces outils et aux techniques de mise en œuvre à destination des professeurs ainsi qu’à élaborer des guides pratiques destinés aux formés ainsi qu’aux ouvriers en recyclage.
En dix ans, cette action a progressivement étendu son champ technique : l’isolation thermique des murs creux, ensuite celle des toitures inclinées, d’abord pour les constructions neuves, par après en rénovation, et, tout récemment, la ventilation des bâtiments.
Lors de la construction, l’isolation thermique est réalisée par les maçons, les menuisiers, les charpentiers et les couvreurs, tandis que la ventilation se partage entre menuisiers et chauffagistes. Les outils et les formations concernent donc différentes sections de l’enseignement technique et professionnel. Elles visent à développer de nouvelles compétences [1]Le terme de compétence est utilisé à tous propos et il convient de le définir avant de continuer plus avant. Ce concept a déjà été développé dans d’autres articles de ce supplément. … Continue reading technologiques et pédagogiques.
Les outils suggèrent de mettre en œuvre des démarches interdisciplinaires fondées sur le questionnement, la formulation d’hypothèses et l’exploitation de problèmes. Conçus comme un menu dans lequel les enseignants peuvent choisir, ils fournissent surtout des ressources didactiques pour que de telles démarches puissent être organisées en classe.
Ces questions concernent autant les professeurs que les élèves : les professeurs sont-ils devenus plus compétents parce qu’ils ont actualisé une technique, le sont-ils devenus parce qu’ils ont appris de nouvelles méthodes d’enseignement, rendent-ils leurs élèves plus compétents dans leurs apprentissages et plus tard, ces jeunes ouvriers sont-ils plus compétents ? Le changement est-il plus global que l’adoption d’outils ?
J’ai interrogé deux professeurs à propos de l’apport qu’ont constitué la formation à ces outils et leur utilisation.
Emile Stapelle est chef d’atelier de la section Construction-Gros œuvre à l’école spéciale de la Communauté Française à Milmort et Jean-Luc Thibaut est chef d’atelier de la section Menuiserie à l’institut Don Bosco, enseignement technique et professionnel, à Liège.
Dans les deux écoles, un accord de partenariat a été signé avec le FFC; les chefs d’ateliers proposent donc des formations aux professeurs de leur section. Ils poussent ces professeurs à la cohérence et à la coordination.
En 1991, Jean-Luc Thibaut était professeur en section « Bois » et a fait partie des premiers professeurs formés au thème de l’isolation des murs creux.. Emile Stapelle était déjà chef d’atelier et a proposé à ses collègues de rentrer dans l’expérience. L’outil est arrivé dans les écoles après les premières formations. Une version définitive en a ensuite été élaborée grâce aux remarques des professeurs testeurs. Jean-Marc Guillemeau, coordonnateur de projets au CIFFUL est venu observer, soutenir et conseiller les équipes pédagogiques pendant la période d’expérimentation de l’outil.
Dans les deux écoles, une dynamique semble animer l’équipe pédagogique. Les professeurs habitués aux formations du FFC (mais aussi à celles organisées par le secteur…) considèrent normal d’investir du temps dans la formation continuée.
Il ne faut pas négliger le rôle joué par les aides matérielles du FFC liées à la formation des profs et au placement des stagiaires en entreprises.
Emile Stapelle signale l’importance de l’octroi, encore actuellement dans l’enseignement spécial, d’une heure de coordination pédagogique ainsi qu’une heure de titulariat. Jean-Luc Thibaut constate que, même en n’utilisant qu’une sélection de séquences dans l’outil, la méthode est efficace : la mise des élèves devant des situations-problèmes à résoudre est transférable et transférée dans d’autres chapitres du cours ou d’autres matières.
Dans les deux types d’enseignement, je constate qu’il s’agit de formations demandées sur le marché de l’emploi, que les élèves les choisissent par choix positif et non par relégation, qu’il y a donc peu de décrochage (un peu au 2ème degré).
Une réforme de l’enseignement spécial de 1991 a organisé les 6 années du secondaire en 3 phases. Le passage d’une phase à la suivante se fait après réussite de « compétences-seuils [2]Ce qui est appelé compétence ici correspond à la réalisation d’un mini-objectif, d’une micro-tâche, laquelle, additionnée à d’autres, conduit à un résultat final. ». Les élèves avancent donc à leur propre rythme, peuvent démontrer l’acquisition de chaque « compétence-seuil » quand ils s’en sentent prêts. La réussite d’une phase peut prendre de 1 à 3 ans selon la progression de l’élève. Au terme de la 2ème phase, ils obtiennent une qualification en construction-gros œuvre et au terme de la 3ème, une qualification d’ouvrier maçon.
Cette réforme induit par elle-même des changements : l’élève ne double plus mais n’avance de phase qu’après avoir réussi les « compétences-seuils » nécessaires ; les élèves participent à des stages dès la 2ème phase (ancienne 4ème), mais ne peuvent y aller que quand ils ont réussi les compétences théoriques et techniques qu’ils vont y exercer.
L’enseignement technique et professionnel reste organisé en cycles de 2 ans, la qualification est obtenue au terme de la 6ème.
Les objectifs annoncés dans l’outil du CIFFUL sont les suivants : « Former à la fois des citoyens et des professionnels capables d’analyser des situations-problèmes, d’émettre des hypothèses interprétatives, de recueillir des informations, de vérifier des hypothèses, de concevoir et de mettre en œuvre des solutions rationnelles »
L’enseignement spécial essaie surtout de former des ouvriers capables de mettre correctement en œuvre des matériaux et de s’adapter à leurs conditions de travail. Pour parler d’acquisition de compétences, il faudrait que les élèves aient progressé dans leur questionnement face au travail et pas seulement dans l’application reproductrice d’une nouvelle technique, si valable soit-elle. L’aspect analyse, formulation d’hypothèses… ne semble pas réaliste pour ce type d’enseignement. Au départ, les outils didactiques n’étaient d’ailleurs pas conçus pour ces élèves. Cependant, compte tenu du développement sur les chantiers de technologies abordées dans les outils, le FFC a jugé utile d’en promouvoir l’exploitation auprès de l’enseignement spécial également.
Par contre, dans l’enseignement technique et professionnel « normal », l’utilisation de l’outil modifie l’attitude des élèves : davantage d’esprit critique, meilleure qualité d’écoute et adaptation aux problèmes techniques. Les élèves recherchent plus souvent les causes des problèmes. Ce n’est pas nécessairement confortable pour l’élève en stage quand c’est lui qui explique au patron comment il doit agir, mais c’est un moyen efficace pour faire reconnaître la compétence de l’ouvrier et faire progresser les pratiques sur chantier.
La réalisation d’outils pédagogiques par une collaboration entre techniciens, pédagogues et enseignants est une démarche intéressante qui permet à l’école d’entrer dans une dynamique de formation permanente dont les élèves mais surtout les entreprises sont les premiers bénéficiaires. En outre, dans ce cas précis, les outils utilisés permettent une diffusion de techniques d’isolation et d’utilisation rationnelle de l’énergie dont le bénéfice peut aussi être trouvé dans la prise en compte d’enjeux politiques comme le changement climatique, la limitation de la dépendance énergétique de l’Europe, etc…
Si les professeurs continuent de se former aux nouvelles techniques et à des nouvelles démarches d’apprentissage, ils ne peuvent que devenir plus compétents.
Les compétences des élèves en tant qu’aptitudes transférables semblent améliorées grâce à la pédagogie de l’outil. Sont-elles des conditions de leur intégration sociale ? Les différentes qualifications, tant du spécial que du normal, sont reconnues par les entreprises qui trouvent difficilement, sur le marché, tous les travailleurs qualifiés dont elles auraient besoin. Les nouvelles exigences de l’utilisation rationnelle de l’énergie tendent à revaloriser ces métiers du bâtiment, tant par le contenu de l’enseignement que par les compétences professionnelles des ouvriers qualifiés.
Mais comment insuffler une telle dynamique dans les domaines moins rentables économiquement du secteur non-marchand, secteur que les pouvoirs publics n’abordent pas encore de façon aussi globale et systémique ?
Notes de bas de page
↑1 | Le terme de compétence est utilisé à tous propos et il convient de le définir avant de continuer plus avant. Ce concept a déjà été développé dans d’autres articles de ce supplément. La définition que je retiens pour cet article est la suivante : une compétence est une aptitude à réaliser des tâches complexes dans un contexte présentant un degré d’incertitude. Dans ce sens, la compétence est une propriété de l’individu, mais également une condition de son intégration sociale. |
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↑2 | Ce qui est appelé compétence ici correspond à la réalisation d’un mini-objectif, d’une micro-tâche, laquelle, additionnée à d’autres, conduit à un résultat final. |