Confinement : le temps de la solidarité à l’école aussi ?

Pas de bol ! alors que le Pacte devait – si l’on en croit les textes et si on se fie à la parole donnée par les acteurs de l’enseignement – permettre de sortir progressivement notre système scolaire des ornières structurelle et pédagogique qui l’amènent à transformer les inégalités sociales en inégalités scolaires et à sélectionner plutôt qu’à faire acquérir un socle commun de compétences à tous les élèves, voilà que déboule un certain Covid qui renvoie tous les élèves à la maison.

Dans ce nouveau contexte, voguent les inégalités !

A peu près tout a été dit sur l’illusion de pouvoir maintenir la continuité pédagogique par voie électronique en raison de la nature de l’outil qui isole et présuppose l’autonomie de l’élève. A ce propos, Philippe Meirieu écrit : “… Quand l’élève n’est pas là et que l’interaction pédagogique est, de fait, particulièrement réduite, on mesure à quel point il est grave de transformer nos “objectifs” en “préalables”. C’est qu’on a trop tendance, dans nos institutions, à oublier que la motivation ( Spéciale dédicace à la recherche menée en son temps par McKinsey qui concluait qu’une des causes majeures de l’échec scolaire est l’absence de motivation des élèves ! Lire à ce propos : Faux savoir et vrai pouvoir par Jacques Cornet (CGé) et Nico Hirtt (Aped) – 2 février 2018), le sens de l’effort, l’autonomie, l’exigence à l’égard de soi-même ne peuvent pas être des préalables à l’entrée dans une activité pédagogique, mais sont les objectifs mêmes de cette activité, indissociablement liés à l’acquisition des savoirs. En faire des préalables, c’est réserver l’activité pédagogique à ceux qui sont déjà “éduqués”, et “bien éduqués” de préférence.” ( Extrait de Philippe Meirieu : “L’école d’après”… avec la pédagogie d’avant ? dans le café pédagogique).

Mais aussi, plusieurs acteurs ont rappelé récemment que, en amont de la question de la continuité pédagogique, se joue le simple accès physique à ce que l’école demande : avoir la connexion, l’ordinateur ou la tablette, l’imprimante pour tirer les exercices, l’espace et le calme nécessaire pour effectuer ce travail scolaire et évidemment, avoir l’indispensable complément à la relation pédagogique sur lequel l’école s’appuie hélas encore tellement : la famille qui maîtrise la langue et les codes de l’école et peut expliquer la consigne, soutenir le travail, réexpliquer etc. Bref, l’inégalité des conditions de vie – qui font que de nombreuses familles ne peuvent pas jouer le rôle attendu par les écoles.

La sacro-sainte autonomie des réseaux / des écoles / des enseignants qui génère une totale inégalité des pratiques !

La ministre a beau décréter, chaque école, chaque prof fait comme il pense bon de faire… et pêle-mêle, le meilleur et le pire advient. Grand écart maximum entre le prof qui se concerte avec ses collègues (les autres enseignants concernés par cette classe d’élèves), qui prend contact avec chacun de ses élèves pour s’assurer de comment il va et de ce qu’il est bien en capacité de participer aux activités pédagogiques qu’il propose, qu’il a compris ce qu’on lui demande et celui qui ensevelit les enfants sous le travail scolaire et entre même dans de nouveaux apprentissages, ou encore celui qui ne maintient aucun contact et n’envoie rien.

C’est le constat de ce qui se passe aujourd’hui et c’est évidemment problématique pour ce temps de scolarisation en période de confinement mais ce qui nous angoisse, c’est que ce miroir grossissant du confinement fait mesurer une fois de plus l’immense chemin qu’il y a à parcourir pour converger – au-delà des réseaux et des PO – vers une école commune qui cherche à construire de la cohérence et de la qualité pédagogique pour tous en acceptant de démonter les logiques de distinction et de concurrence pour investir dans la solidarité à tous les étages (solidarité entre les réseaux, entre les écoles, entre les enseignants et entre les élèves) , toutes conditions indispensables pour mettre en œuvre un tronc commun.

Une idée qui parait folle… mais qui ne l’est pas tant !

C’est désormais un fait inéluctable : les enfants reprendront l’école un peu plus inégaux encore qu’avant. La ministre, les fédérations de PO, les syndicats et les fédérations de parents vont incessamment négocier les conditions et objectifs de la reprise des cours.

Ce qui serait un signe très fort qu’on entre dans une autre ère, pré-Pacte et post-covid19, une ère basée sur la solidarité et l’intelligence collective dont nous avons tellement besoin pour la survie de l’humanité (cette formule aurait eu l’air pompeuse et excessive il y a peu mais tous mesurent combien elle est réaliste aujourd’hui), c’est de décider qu’à la reprise des cours, les enseignants se centrent sur l’essentiel et se concentrent totalement sur les élèves qui en ont besoin, en donnant à s’occuper de façon intéressante et ludique aux autres. Et laisser toute latitude aux écoles – mais elles l’ont déjà, même si elles en font rarement usage – de se réorganiser entre enseignants, entre classes ou autres idées créatives , pour assurer avec intelligence cette priorité à ceux qui en ont le plus besoin. En pensant évidemment des temps où les différents groupes d’élèves se retrouvent pour ne pas déconstruire l’appartenance de groupe-classe.

Innover commence donc potentiellement ici et maintenant.

En guise de conclusion

Repris encore de Philippe Meirieu et tellement d’actualité :

(Alors que) tous les regards sont tournés vers l’hôpital, n’est-il pas temps d’entendre ce que les enfants de Barbiana écrivaient, dans la Lettre à une maîtresse d’école en 1967 : “L’école se comporte comme un hôpital qui, pour améliorer ses résultats, soignerait les bien-portants et se débarrasserait des malades” ?

Puissions-nous collectivement faire les bons choix.

Une opinion de Fred Mawet, secrétaire générale de ChanGements pour l’égalité.
Publiée sur LaLibre.be le 20 avril 2020 et dans La Libre le 21 avril 2020