Connaitre l’économie, penser avec les économistes

Comment enseigner l’économie aux enfants et aux adolescents ? Notre point de vue d’économistes est qu’il faudrait partir de leur quotidien, de ce qui leur est familier.

Ancrer l’enseignement dans la réalité, non seulement facilite l’accès à la connaissance du monde dans lequel ils vivent, mais initie en outre à l’esprit critique en montrant d’autres façons de s’interroger et en remettant en cause les idées reçues.
Les enfants se posent beaucoup de questions. Profitons-en ! Laissons-les chercher des réponses, aidons-les à les argumenter, montrons-leur que leurs réponses ont parfois été données par des économistes célèbres, qu’elles peuvent être discutées, qu’il existe d’autres réponses possibles.
Il est important que les élèves prennent conscience que, si la société dans laquelle ils vivent ne peut pas être pensée n’importe comment, elle peut cependant être pensée de différentes façons. De plus, cette société est le produit de l’histoire : elle aurait pu être fort différente. Enfin, elle se transforme perpétuellement sous nos yeux. De ce fait, ils peuvent l’imaginer comme ils le souhaitent !
Nous proposons donc dans ce qui suit un ensemble de questions que les enseignants pourraient travailler avec les élèves. Bien sûr, il ne s’agit pas de répondre à toutes. Et, bien sûr, nous en avons oublié. Par ailleurs, chacune de ces questions est ouverte, elle n’appelle pas une réponse correcte. Comme on le verra, des questions simples amènent très vite des réponses compliquées et plurielles. Commençons par ce qui leur est le plus familier.

Pourquoi les gens
achètent-ils des choses ?

Quelles sont les différentes raisons de consommer ? À quoi cela sert-il ? Qu’est-ce qu’un besoin ? Certains besoins sont-ils plus importants que d’autres ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’un désir ? Par quoi est-il suscité ? Certaines consommations sont-elles ostentatoires ? Cela dépend-il de nos modes de vie ? De notre éducation ? Etc.
Tout s’achète-t-il ?
Que peut-on acheter — ou pas — dans le pays où nous vivons aujourd’hui ? Peut-on acheter du pain, un manteau, le repas de la cantine, les services du maitre, d’un médecin, un voyage, le droit de circuler sur une route, des personnes, un cœur ? Tout devrait-il pouvoir s’acheter ?
Il s’agira ici d’exposer aux élèves différents points de vue sur la question et, ce faisant, de leur montrer comment des considérations éthiques et politiques peuvent nourrir la réflexion sur une question économique concrète.
Une façon de procéder serait de donner quelques éléments historiques, ou de parler de pays très différents du nôtre. Bref, se demander pourquoi, un jour, ou dans une partie du monde, on décide qu’il est interdit ou permis d’acheter telle ou telle chose (ou être vivant). Organiser, par exemple, un débat sur la gratuité de la cantine. Les inviter à imaginer ce qu’ils voudraient, chacun de leur côté, puis collectivement.

Pourquoi les choses qui s’achètent
sont-elles plus ou moins chères ?

Les prix sont-ils élevés lorsque les choses sont très utiles ? Très rares ? Très couteuses à produire ? Très convoitées ? Lorsqu’elles viennent de très loin ? Lorsqu’elles sont de très bonne qualité ? Raconter aux enfants que de très grands économistes se sont penchés sur cette question.
Que se passe-t-il lorsque le prix des biens de première nécessité est trop élevé ? Certains prix doivent-ils être fixés par l’État ? Certaines consommations, subventionnées ? Le cas échant, lesquelles ? On pourrait se demander pourquoi cela coute plus cher de manger bio, et faire prendre conscience aux enfants que l’on pourrait choisir que ce soit moins cher que le non-bio. Etc.
De la même façon, on se demandera pourquoi les prix sont inférieurs au supermarché par rapport à une petite épicerie. On se demandera pourquoi, au cours de l’histoire, les grandes entreprises, et même les très grandes entreprises que sont les firmes multinationales, sont devenues aussi nombreuses. Qu’est-ce que cela nous apporte ? Est-ce une bonne chose pour le consommateur ? Pour les salariés de ces entreprises ? Pour d’autres personnes ?
Enfin, on s’interrogera sur l’origine géographique des produits : pourquoi de plus en plus de choses viennent de plus en plus loin ? Qui décide de cela ? Qui les fabrique ? Quelles conséquences cela a-t-il dans les pays où les usines s’installent ? Et chez nous ?

Comment les choses sont-elles
produites et par qui ?

Avec quoi produit-on des choses ? Peut-on produire tout seul ? Le cas échéant, que peut-on produire seul ? Qu’est-il impossible de produire seul ? Comment faire pour produire à plusieurs ? Quel collectif mettre en place ?
Donner des exemples (une entreprise privée, une coopérative, une association, une administration ou un service public) et dire la part qu’elles prennent chacune dans la production.
Qu’est-ce qu’un actionnaire ? Comment gagne-t-il de l’argent ? L’actionnaire d’une entreprise produit-il quelque chose ?
Pourquoi la très grande majorité des personnes sont-elles salariées ? Quels sont les droits et obligations du salarié comme de l’employeur ? Sont-ils les mêmes dans une entreprise privée et dans une administration ? Qu’en est-il dans les coopératives ? D’autres types de relations de travail ont-ils existé ou existent-ils encore quelque part ? Raconter l’esclavage et le servage, les kolkhozes et les kibboutz…

Pourquoi certaines personnes
sont-elles mieux payées que d’autres ?

Exercent-elles un métier plus utile ? Plus difficile ? Plus dangereux ? Ont-elles un savoir-faire particulièrement complexe ? Produisent-elles plus que les autres ?
Comment le montant des différents revenus est-il décidé dans une administration ? Une coopérative ? Une entreprise privée ? Ici encore, dire l’existence de différentes conceptions théoriques, et les raconter autant que faire se peut.
Peut-on percevoir un revenu sans produire quoi que ce soit ? Est-on toujours payé quand on produit quelque chose ?
Pourquoi certains emplois sont-ils plus féminins et d’autres, plus masculins ? Est-ce à cause de compétences ou de qualités différentes des hommes ou des femmes ? Est-ce un produit de l’éducation ? Pourquoi les femmes et les personnes d’origine étrangère sont-elles surreprésentées dans les emplois difficiles ou mal rémunérés (ouvrier du bâtiment, serveuse, livreur, vendeuse, manutentionnaire, caissière, aide-soignante…) ? Sommes-nous en présence d’une discrimination ? Si oui, comment lutter contre elle ?

Pourquoi existe-t-il
des inégalités de revenu ?

Comment l’inégalité se construit-elle au cours de la vie ? Quel est le rôle respectif de l’héritage, du lieu de vie, de l’éducation reçue, de la possibilité de faire des études, du réseau social des parents ? Comment chaque enfant se perçoit-il par rapport au reste de la société sur ces aspects (question peut-être délicate) ? Quel est le rôle, selon eux, de l’effort, du mérite, de la compétence, etc. ? On se demandera quelles inégalités peuvent être considérées comme justes, et lesquelles ne le sont pas.

Quelles institutions tentent-elles
de limiter les inégalités ?

Pourquoi l’éducation de base est-elle gratuite, mais pourquoi existe-t-il des écoles privées payantes ? Pourquoi certains soins sont-ils gratuits, et d’autres, payants ? Pourquoi le bus et le train sont-ils subventionnés, mais pas l’avion ?
Viendra ensuite la question de la fiscalité. Quels impôts les enfants connaissent-ils ? À quoi servent-ils, selon eux ? Sont-ils bien utilisés ? (On pourrait faire un exercice pratique avec une caisse de classe si les ressources de l’école ou des parents le permettent). Qui doit payer des impôts : tout le monde, ou seulement les plus riches ? Selon quels critères ?
Quelles aides sociales les enfants connaissent-ils ? À quoi servent-elles ? Ont-elles toujours existé ? Existent-elles dans tous les pays ? Sont-elles trop élevées, ou, au contraire, trop basses ?

Que pensent les économistes
de tout cela ?

On l’a vu, le traitement de questions économiques simples fait intervenir une quantité impressionnante de savoirs : histoire, géographie, éthique, mécanismes causaux… De plus, on remarque qu’il n’est pas possible de séparer les questions les unes des autres. Par exemple, une société très inégalitaire, et où les gardes d’enfants publiques sont peu développées, suscite une forte demande de petits boulots.
À l’inverse, si les consommateurs préfèrent les produits biologiques, locaux et durables, produits dans des conditions éthiques, les entreprises devront s’adapter. Autrement dit, toutes les questions sont interdépendantes : la production, la consommation, les conditions de travail, les prix, la répartition de la richesse, la protection de l’environnement…
Et c’est bien ainsi que les économistes ont procédé. Ainsi, l’apparition de ce phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité qu’a été, au XVIIIe siècle, en Angleterre, la Révolution industrielle, a conduit Adam Smith à célébrer les vertus du marché. Un siècle plus tard, Karl Marx verra au contraire dans le capitalisme une force de destruction de l’homme et de la société.
Puis la crise de 1929, dont l’aboutissement final sera le nazisme, conduira John Maynard Keynes à préciser à quelles conditions le capitalisme pouvait être compatible avec la paix et la démocratie. Enfin, durant la Seconde Guerre mondiale, Karl Polanyi jettera les bases de l’économie écologique.
Il est important que les élèves aient une idée sur la façon dont au moins ces quatre grandes traditions en économie politique — libérale, marxiste, keynésienne et écologique — pensent le monde1.

Sortir des cadres,
accepter les limites de la planète

Mais il est plus que probable que l’imagination des enfants débordera rapidement le cadre ici proposé, tant en ce qui concerne les thèmes que les théories ici rapidement évoquées, qui n’est de ce fait que tout indicatif.
Cependant, il nous semble que l’effet des modes de production, d’échange et de consommation sur l’environnement, auquel les enfants et les adolescents sont très sensibles, devrait être en ligne de mire de chacun des sujets traités.