Construire du commun pour un vécu collectif

Un quartier populaire le long du canal. Rive gauche. Bruxelles Nord Ouest. Dans le croissant pauvre. Une école de classe [1]Indice socio économique (ISE). C’est le plus bas donc le public est le plus pauvre. L’entretien avec la directrice permet de capter les chemins pris dans cette école pour aller toujours plus vers une culture commune et des identités fortes.

Non, ce n’est pas une erreur de copie, c’est un autre versant du premier article[2]Construire du commun pour apprendre, page précédente.. Apprendre oui, mais avec quel vécu, quelle prise en compte de la collectivité, quelles façons de s’y insérer ?
Dès que j’ai franchi la porte d’entrée de cette école, mon regard avait été relié au calicot d’en face, suspendu au-dessus des portes de la cour de récréation : « Notre loi : je ne fais de mal ni à moi ni aux autres, ni au cœur ni au corps. »
Du coup, je questionne aussi à propos de ce qui s’élabore, avec qui, pour quoi et comment. Et la directrice me dit que la construction du commun c’est aussi la gestion de la vie de l’école avec ses lois et ses privilèges, etc. Tout le monde y participe et les éducateurs sont très impliqués, tant dans les moments de formation que dans la construction de la loi fondamentale, des règles qui l’explicitent et des privilèges qui les accompagnent.

Bracelet vert

La cour de récréation est un des lieux qui donne des privilèges. Ils sont indiqués par des zones de couleurs liées aux activités comme par exemple de la danse, une iourte venue de Mongolie pour les coins lecture, le foot, la piste trottinette pendant la garderie, le basket, les jeux de société.
Les enfants ont tous accès à ces lieux du moment qu’ils portent le bracelet vert c.-à-d. qu’ils ont la confiance des adultes, qu’ils sont reconnus comme respectant les règles, comme autonomes dans les déplacements et autres actes. Une liste de critères est connue des enfants et concerne les règles de divers lieux comme la cour, le réfectoire, la salle de gym, la classe, etc. … Les privilèges concernent la cour, mais aussi la classe (là, c’est un bracelet orange qui y donne accès) : aller seul à l’ordinateur, à la bibliothèque, avoir des responsabilités dans la classe. Si des enfants ne respectent pas les règles, on discute avec eux pour voir quelle bonne attitude ils pourraient adopter et le bracelet est momentanément perdu. On n’utilise plus le mot punition, mais sanction ou réparation. Les sanctions concernent le non respect de la loi, car la violence est interdite. Les réparations concernent des actes qui ne touchent pas à la loi, comme renverser de l’eau, jouer dans les toilettes. Tous les adultes y compris le personnel d’entretien, adoptent la même posture : voir avec l’enfant comment il va réparer. S’il s’agit de nettoyer, il se débrouille pour trouver le matériel et nettoie. S’il a sauté sur les toilettes et que la lunette est cassée, on fait venir les parents et on voit avec eux et l’enfant comment faire. Le concierge est là avec sa boite à outils et l’enfant répare. Si cela se reproduit, on demande un paiement. Les parents sont d’accord et si possible font intervenir une tirelire de l’enfant. Dans ce genre de situation, on montre l’importance des actes et la présence de plusieurs adultes impressionne l’enfant.
Le bracelet perdu peut être récupéré au bout d’une semaine, ce qui n’est pas un temps trop long pour l’enfant.

Mon carnet de vie et de réussite

Les enfants ont un cahier dans lequel ils s’auto évaluent le vendredi.
Ils notent si oui ou non ils estiment pouvoir porter le bracelet vert et le bracelet orange. Il est parfois demandé de l’aide aux parents qui sont aussi responsables, par exemple lors de retards ou pour du matériel à fournir comme le sac de gym ou autre. Enfant et parents, au courant de la loi et des règles, signent ce cahier. S’il n’est pas signé, pas de bracelet vert. Ils sont toujours signés par tous !
Lorsque certains enfants se donnent le bracelet vert et que des adultes trouvent que trop de règles n’ont pas été respectées, il y a discussion pour faire comprendre à l’enfant qu’il ne peut pas porter ce bracelet et pour chercher comment le récupérer. Il y a suspension aussi de l’utilisation des lieux-privilèges de la cour. Sans bracelet, l’enfant n’est pas puni, mais ne peut utiliser que la zone libre, sans les lieux-privilèges. Les adultes veillent à ce que l’enfant puisse récupérer son bracelet assez vite pour qu’il garde l’envie de grandir. Pour ceux qui ont beaucoup de mal par exemple à la cour, ils portent un petit gilet et sont proches des éducateurs pour pouvoir veiller à se contrôler un peu plus fort.
Des éducateurs trouvent que de cette façon, le travail est beaucoup plus intéressant aussi pour eux : ils ne sont plus seulement surveillants, mais jouent avec les enfants… GO du Club Med qu’ils disent !
Toute cette façon de faire seulement avec de la bienveillance et de la confiance est un grand travail qui a remis certains en question (n’est-on pas trop gentil ?), mais on remarque que les enfants grandissent mieux et peuvent apprendre à devenir responsables, soutenus pas toute une équipe d’adultes cohérents et justes.

De l’organisation collective
et des responsabilités

Si le tout fonctionne, au bout de 4-5 ans, c’est parce que dans l’équipe tout le monde se sent responsable de tout, de son rôle et de ses effets dans l’école. Quand un nouvel enseignant arrive, il est tout de suite pris en charge par un autre. « Moi je ne peux faire que de l’information, dit la directrice, mais sur le terrain, le commun se transmet, se perçoit et se vit assez vite par l’accompagnement entre collègues, enseignants ou éducateurs. C’est pareil lors de la venue d’un nouvel élève. Pour les parents, l’accueil de nouveaux par de plus anciens, c’est difficile. J’ai essayé, mais n’y suis pas encore parvenue. »
Toutes les décisions dont il a été ici question se prennent via des instances qui ont été instituées : le Conseil d’école composé de délégués de chaque classe et de quelques enseignants délégués. Ce conseil s’occupe principalement de trois choses : l’accueil de nouveaux élèves, la gestion de projets de classes et de cycles, la gestion de la loi et des règles. L’autre instance est le Conseil d’adultes qui réunit des représentants de divers groupes de travail : vu le peu de temps et le nombre d’activités, les enseignants se répartissent en groupes qui s’occupent respectivement de verticalité, de fêtes, du numérique, de l’accueil des parents, de citoyenneté. Question de varier, ces groupes changent de membres au moins une fois par an. Entre les deux Conseils se passent des relais. Le PV des Conseils est remis à toute personne qui travaille dans l’école en ayant soin de ne pas négliger ceux qui ne viennent que pour quelques heures. La communication à tous est bien importante pour faire vivre ce commun, c’est pourquoi les PV sont remis dans les casiers, affichés et déposés dans le « cartable » numérique commun.
Pour toute cette organisation, la directrice serait bien heureuse si le Pacte d’Excellence prévoyait un temps un peu plus long de présence des enseignants dans l’école, sans enfants, afin de favoriser ce qui se fait déjà, mais souvent dans le stress et la vitesse : la conception collective d’outils, la préparation de leçons, le travail dans les groupes à thèmes. En tout cas, elle salue déjà cette équipe si active d’enseignants et d’éducateurs qui y croient.
Quant à elle, c’est une passionnée qui se veut moteur et soutien et qui en même temps délègue beaucoup.

Des effets tangibles

Cette si importante culture commune continuellement vivifiée facilite les échanges entre enseignants et enfants, entre parents, enseignants et enfants, entre direction et équipe. Elle crée un climat de respect, de bienveillance, de tolérance. Elle permet de lever le plus possible de malentendus ce qui diminue les violences. Parents et enfants sont impliqués et il semble que les réussites relationnelles entrainent les réussites scolaires. Les valeurs comme la confiance, l’amitié, l’amour à certains moments, le droit à la différence sont vécues le plus possible. Elles permettent à tous de s’y retrouver malgré origines et religions différentes parce que ces valeurs sont un chapeau et que chacun peut s’y relier. Souvent pour les élèves il y a deux mondes : celui de l’école et celui de la maison. Mais quand l’école est leur lieu pour apprendre, leur lieu d’erreurs possibles, ils commencent à s’y sentir comme à la maison. Et on n’y vit pas les uns à côté des autres, mais on y construit ensemble.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Indice socio économique (ISE). C’est le plus bas donc le public est le plus pauvre
2 Construire du commun pour apprendre, page précédente.