Pour une cure de désintoxication des
profs et de toute l’institution scolaire.
Il est une habitude qui a bien du mal à se bouger dans
les écoles : la cotation des élèves. Malgré ce que l’on
sait quant à la relativité de la note, cette pratique se
maintient.
Je reviens de Bolivie où j’ai conduit des stages
de formation pour les enseignants. Je me suis demandé
si, là-bas, les profs étaient aussi addictifs aux points,
punitions, humiliations… que chez nous.
J’ai donc remis à chacun des 37 participants d’un
atelier d’Éducation nouvelle, un texte en espagnol
comptant 20 erreurs orthographiques et j’ai demandé
à chacun de noter sa copie sur 10 points. J’ai encore
demandé d’indiquer le nombre d’erreurs relevées : les
Sud-Américains se sont mis à « corriger », comme chez
nous, sans se poser de question.
BANALE RESSEMBLANCE ET CURIEUSE DIFFÉ-
RENCE
En vingt-cinq ans d’animation d’ateliers de formation
en Belgique, France, Suisse, Luxembourg, Tunisie,
j’ai consulté 1 255 participants. Ils ont tous eu sous les
yeux la même page pleine d’erreurs.[1]Une lecture
attentive du texte
(identique pour
tous donc) permettait
de trouver
42 erreurs, selon
moi. Pour conduire
cette recherche,
j’avais photocopié
une double
page du cahier
d’Histoire de … Continue reading Quelques constatations
:
Voir tableau 1 ci-dessous
Il s’est aussi trouvé un professeur
pour attribuer la note
de -15/20 ! Lors d’une formation
où le travail se faisait en groupe,
un groupe de six correcteurs
a détecté 25 erreurs et a mis
12/20, un autre en a trouvé aussi
25 mais a donné un… zéro. Un
groupe trouve 44 fautes et attribue
12,5/20, un autre, pour 30
erreurs, met 7/20.
Très rares sont les enseignants
qui ont manifesté une
objection de conscience à la notation.
Cette addiction à la note
chiffrée a-t-elle touché l’Amérique
latine ? Dans le texte mentionné
plus haut :
Voir tableau 2 ci-dessous
Ont-ils tous détecté les 20 erreurs
? Non, évidemment. Les 14
participants qui ont donné 8/10
ont-ils trouvé le même nombre
de fautes ? Encore non. Ainsi, 8
points sur 10 viennent de professeurs
qui ont trouvé tantôt 17
cacographies, tantôt 16, 9, 7, 6, 5,
4, 2… Ainsi, un enseignant identifie
17 erreurs, un autre 2… mais
ils mettent tous deux 8/10.
Ce qui est frappant, c’est le
taux élevé des notes d’exclusion
chez nous et leur absence dans le petit échantillon
entrevu outre Atlantique. C’est qu’en Bolivie amazonienne,
m’a-t-on expliqué, le prof est considéré comme
« bon » quand les enfants ont tous de bonnes notes. Pas
étonnant qu’on tienne aux notes toujours falsifiables. Y
a-t-il un relent de jansénisme dans nos pays ?
Faut-il supprimer la note ? Ma réponse surprend :
« NON… pas tout de suite ». Il s’agit de faire une cure
de désintoxication de l’institution, car les profs, les
parents (voire les experts théoriques et les autorités)
n’ont jamais vécu leur scolarité sans jugement chiffré et
surtout n’ont jamais conduit eux-mêmes des cohortes
d’élèves débarrassées du chantage de la notation.[2]Pour ce qui me
concerne, j’ai initié,
il y a 18 ans, une
école publique à
Buzet (Floreffe,
Belgique) sans
notes, ni punitions,
ni récompenses, ni
dénonciation aux
parents. J’y ai … Continue reading
Que faire alors pour sortir de l’addiction aux notes ?
Comme tout sevrage, c’est difficile et ça nécessite de
l’accompagnement :
• Changer les pratiques basées sur la compétition, la
transmission docilisante des savoirs tout faits pour
installer la recherche difficile et rigoureuse, en donnant
la priorité à l’initiative, la concertation, à l’enthousiasme.
Motiver fortement pour que la note ne
soit plus nécessaire pour faire apprendre.
• Ne plus croire à la fiabilité des notes ni y faire croire
les élèves et les parents… et l’annoncer.
• Rendre la note de plus en plus rare ; ainsi ne plus
noter les devoirs (avant de les supprimer et de les
remplacer par des recherches libres à communiquer
aux condisciples).
• Obtenir de la direction un moratoire.
• Découvrir en équipe professorale que la loi (sauf
en Suisse) ne fait pas de la notation une obligation,
qu’aucun prof n’a appris à noter, que les processus de
pensées sont invisibles.
• Constater que les élèves se détournent vite de l’appât
des points lorsque les cours sont passionnants.
• Éviter de juger les collègues qui restent accro(ché)s
aux notes, de leur donner des leçons de morale.
• Rechercher en équipe les avantages et les inconvénients
du paiement par des points. Créer des groupes
de réflexion pour éradiquer les examens notés pour
les remplacer par des variations d’apprentissage
complexes en groupes de solidarité, des travaux personnels
encadrés, des unités capitalisables.[3]Voir le site de
Philippe Meirieu.
• Collectionner les témoignages de pédagogues qui
ne notent plus, mais qui inventent mille façons d’apprendre.
• Rechercher la littérature qui défend la notation et
celle qui prône sa suppression.
• Éviter d’apeurer les parents, mais montrer par
l’usage du portfolio, par des ateliers de réflexion,
des films, des rencontres personnalisées, des témoignages,
que la communication école/famille y gagne
en qualité.
• Remplacer les examens certificatifs par le chefd’oeuvre
pédagogique.
• Remplacer les interros pondérées par des coups de
sonde sans points, pour savoir ce qu’il faut faire apprendre.
• Associer les élèves au choix des notions à apprendre.
Permettre puis développer l’appel à l’aide auprès
de condisciples et de professeurs ; ce n’est pas seulement
à l’adulte de détecter les failles dans les apprentissages.
• Déscolariser l’institution pour mieux développer
la culture ; on ne note pas la façon d’apprécier une
oeuvre d’art, un enthousiasme, une manière d’aimer.
Cette volonté de quitter le mesurage de l’humain
renvoie à l’urgence de créer, dès l’enfance, une société
plus créative et solidaire, moins mercantile, dont le
monde a besoin pour affronter le Futur.
Notes de bas de page
↑1 | Une lecture attentive du texte (identique pour tous donc) permettait de trouver 42 erreurs, selon moi. Pour conduire cette recherche, j’avais photocopié une double page du cahier d’Histoire de mes 15 ans en 1255 exemplaires ! |
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↑2 | Pour ce qui me concerne, j’ai initié, il y a 18 ans, une école publique à Buzet (Floreffe, Belgique) sans notes, ni punitions, ni récompenses, ni dénonciation aux parents. J’y ai fait apprendre pendant quatre ans. Mon équipe a été lauréate du Prix de la Reine Fabiola en 1996. |
↑3 | Voir le site de Philippe Meirieu. |