« Cours philosophiques » : de quoi parle-t-on ?

Ces cours sont en fait des leçons de morale et de religion ! Ce qui entraîne que, dans notre petit pays, il n’y a pas d’enseignement de la philosophie. Ou si peu.
Donc « religionS ». Dans l’enseignement public, un cours de religion de chacun des cultes reconnus par l’Etat (israélite, orthodoxe, musulman, protestant, catholique) doit être proposé aux élèves et aux parents. Dans l’enseignement catholique, un seul cours : de religion catholique.

Mais voilà, tout récemment, le directeur du Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) s’est publiquement posé la question de l’opportunité d’organiser aussi un cours de religion musulmane dans certaines écoles de son réseau : « la question cruciale que nous posons aux politiques est la suivante : est-il juste, lorsqu’une majorité des élèves fréquentant une école catholique est de confession musulmane, de ne pas leur offrir le choix de suivre un cours de cette confession, même si le cadre légal l’exclut actuellement ? ». Les termes dans lesquels la « question » est posée ne laissent planer aucun doute sur la réponse du patron.

Curieuse intervention qui a fait l’effet d’une bombe et a pris de court les observateurs les plus avertis. C’est en effet au terme de trois journées de Congrès (au cours duquel il semble que cette question n’a pas été abordée !) que le directeur, dans un long discours de clôture, a posé sa « question ». Eclipsant par là nombre de thèmes intéressants.

Les sites d’info et la presse se sont évidemment précipités sur ce sujet saignant. La Libre allant jusqu’à barrer sa Une d’un titre-choc : « Des cours de religion islamique à l’école catholique ». Sans point d’interrogation ! Avec une grande photo du Coran en sus. Si on parlait plutôt de religion musulmane ?
Les réactions critiques n’ont pas manqué : du syndicat chrétien à la Fapeo. Les plus virulents sont les professeurs de religion catholique qui enseignent dans ces classes à majorité musulmane. Ils disent qu’il n’y a pas de demande des enfants, ni des parents. Mais surtout qu’ils font un travail d’ouverture et de dialogue inter-religieux passionnant. De quoi amener les élèves à mieux se connaître, se comprendre et, ils l’espèrent, dépasser les stéréotypes et les caricatures. A conserver absolument.

Coïncidence ? Cette sortie inattendue du patron du Segec a eu lieu au moment où s’ouvrait au Parlement de la FWB un débat très attendu sur un « tronc commun » à tous les cours « philosophiques ». Après les tentatives d’Hervé Hasquin, de Richard Miller et de quelques autres (dans les années 90 et 2000), la ministre Simonet propose d’avancer sur trois axes : le questionnement philosophique, le dialogue interconvictionnel et l’éducation à la citoyenneté. Sans toucher à l’horaire des cours et à l’emploi ! Bien vu. Même si cette proposition divise le monde laïque. Certains -et non des moindres- estiment que « la multiplication des cours de religion est un problème en soi. Notamment parce que cela constitue un manque de respect vis-à-vis de la vie privée de la personne. L’école doit être un lieu de vivre-ensemble où l’on enseigne un cours de philosophie ou de morale à part entière ».

En effet, on peut légitimement se demander si, 60 ans après le Pacte scolaire qui a coulé dans la Constitution une organisation des cours « philosophiques » coûteuse et surtout communautariste, il ne serait pas grand temps d’aller plus loin, de rassembler. Sans oublier que, dans une école de plus en plus soumise au culte de la performance et de la compétition, l’espace réservé aux cours « philosophiques » doit être préservé. C’est un des derniers lieux où d’autres valeurs sont de mise : gratuité, non-violence, ouverture aux spiritualités, droits de l’homme, équité, …

L’école a pour mission de former des citoyens responsables et ouverts aux cultures de la planète. Pour devenir des acteurs lucides dans cette société d’aujourd’hui où les conflits et tensions à dimension religieuse se multiplient, n’est-il pas indispensable que tous les jeunes soient initiés à l’histoire comparée des religions er spiritualités ? Comme Régis Debray l’a proposé et fait adopter en France (où il n’y a pas de cours de religion dans les écoles publiques).

L’école a pour ambition d’amener les élèves à « penser par eux-mêmes ». Elle doit développer l’esprit critique. Est-ce qu’un enseignement de la philosophie n’y contribuerait pas grandement ? Aujourd’hui, malgré les efforts de quelques enseignants (souvent de morale ou de religion), la majorité des élèves sortent de l’enseignement secondaire avec un bagage philosophique pauvre, voire inexistant. Est-ce que cela n’explique pas, en partie, les réactions simplistes et purement émotionnelles sur des questions de droit, de morale, d’identité, … ?

La montée des intégrismes, la multiplication des marques d’intolérance voire de racisme, mais aussi l’analphabétisme culturel et religieux de beaucoup de jeunes qui les empêche d’accéder à des œuvres fondatrices du patrimoine de l’humanité, l’indispensable construction d’un vivre-ensemble multiculturel et multiethnique … tout plaide pour une révision en profondeur d’un système dépassé.