On peut évidemment critiquer l’enquête, sa méthodologie, ses objectifs, son traitement, mais ce qui est indiscutable et injustifiable, ce sont les 28 % d’élèves incompétents en lecture, c’est l’échec de nos politiques éducatives, pour tous les progressistes et pour la CGE, en particulier.
Bien sûr, les testés qui avaient 15 ans en 2001 ont commencé leur scolarité lors des grèves de 90! Bien sûr, l’enquête elle-même peut être remise en question. Mais ce qui est indiscutable, c’est que 28 % des jeunes de 15 ans en Communauté française sont définitivement exclus de la culture écrite.
Reconnaitre l’échec
Ce qui est indiscutable, c’est que, pour ces 28 % de jeunes, les actuelles Missions de l’enseignement ne sont pas remplies. À l’école et dans la vie, ces incompétents en lecture ne peuvent et ne pourront, ni s’épanouir (1e Mission), ni s’approprier les compétences nécessaires pour s’intégrer dans la vie sociale et économique (2e Mission), ni être des citoyens acteurs d’une société démocratique (3e Mission). Et ils n’ont évidemment pas bénéficié de chances égales d’émancipation sociale (4e Mission). Car ces jeunes sont majoritairement issus de familles socio-économiquement défavorisées et d’origine immigrée.
Bien plus que notre mauvais classement, c’est l’échec profond de nos politiques éducatives qu’il faut reconnaitre. Depuis 40 ans, tous les acteurs sociaux progressistes revendiquent et agissent en faveur d’une réelle démocratisation de l’école. C’est cette démocratisation qui est totalement manquée puisque l’école continue de reproduire et de justifier les profondes inégalités sociales existantes. Notre école fait réussir les riches et met les pauvres en échec. Et c’est pour faire échec à l’échec des plus défavorisés que la CGE se bat. Nous sommes donc en échec aussi.
Rappeler les priorités
Ce sont bien ces 28 % qui doivent nous intéresser prioritairement. Et ce sont ces 28 % qui devraient également intéresser en priorité le mouvement socialiste et le mouvement démocrate chrétien. Faut-il rappeler que la valeur fondatrice du PS, de la FGTB, de la CGSP, de la Ligue,… c’est l’égalité et que c’est… l’inégalité que l’école des Di Rupo, Onckelinx et Dupuis, tous socialistes, fabrique aujourd’hui. Faut-il rappeler que les valeurs fondatrices du CGEC (organe directeur de l’enseignement catholique), des pouvoirs organisateurs catholiques, de la CSC, de l’UFAPEC (fédérations des associations de parents des écoles catholiques),… ce sont les valeurs évangéliques et que c’est… l’injustice que l’école des congrégations religieuses, d’A. Baudouin et de R. Dohogne, tous chrétiens, fabrique aujourd’hui. Ne serait-il pas temps que les intérêts des appareils respectifs cèdent le pas aux objectifs pour lesquels ils ont été créés, que les moyens soient mis au service des finalités et non l’inverse.
Que le Ministre Hazette se préoccupe plus des surdoués, qu’il se tracasse davantage de notre mauvais classement, qu’il souhaite que D. Lafontaine parle de l'(in)efficacité de notre système scolaire plutôt que de son (in)équité, c’est logique avec les valeurs défendues par le mouvement libéral. À nous de rappeler les priorités et les urgences dans nos associations progressistes respectives, dans nos partis, nos syndicats, nos associations de parents,… À nous de prendre à la lettre les déclarations politiques généreuses et à nous de dénoncer les pratiques contradictoires. Mais à nous également de nous rappeler à nous-mêmes nos propres valeurs et priorités, dans notre mouvement, dans nos écoles, dans nos classes: l’émancipation des plus dominés.
Rendre du sens à notre action pédagogique
L’école de la réussite, les Missions, les Compétences, bref l’idéologie pédagogique dominante, prescrit aujourd’hui les pratiques pédagogiques issues des mouvements de contestation de l’Éducation Nouvelle; elle prescrit un socio-constructivisme socialement aseptisé. Comme si toute la société partageait la même utopie pédagogique, le même projet technocratique consensuel. Comme si tous les acteurs sociaux couraient après les mêmes compétences, quelle que soit leur position sociale. Comme si J.M. Nollet, P. Hazette et Fr. Dupuis avaient le même projet pour l’école. Comme si Mensa [1]Association de (dits) surdoués, active en faveur d’un traitement scolaire spécial pour les enfants (dits) surdoués. et l’APED [2]Appel pour une école démocratique., les Salésiens et les Jésuites [3]Deux congrégations religieuses ayant organisé des écoles très différentes. menaient le même combat.
C’est oublier que ce qui faisait la force de la pédagogie de Freinet, Makarenko, Freire, Bassis, Deligny, Oury et des autres, c’est le projet politique qui la générait. Ce qui donne de la force au texte libre, à la correspondance et au journal scolaires, à l’enquête de terrain, aux défis et aux projets, aux responsabilités et aux ceintures, à la Causette, au Conseil de Classe,… c’est la posture éthique, le positionnement socio-politique du maitre dans sa classe. Les prescripteurs et les testeurs nous rappellent que ce qui donne du sens à notre action pédagogique, c’est le projet social qui la sous-tend, c’est notre volonté émancipatrice. Hurlons-la. Et il y a du boulot. Hurlons-le.