Les modalités selon lesquelles les élèves interprètent les situations d’apprentissage déterminent largement ” l’échec ” ou la ” réussite ” scolaires, ainsi que la production des inégalités sociales dans l’accès au savoir.
À mobilisation initiale équivalente, existent chez les élèves d’importants malentendus quant à la nature du travail intellectuel et des activités pertinentes pour apprendre, qui peuvent les détourner durablement de la voie de l’apprentissage.
Différents types de malentendus peuvent être rapidement évoqués :
Le premier oppose schématiquement les élèves qui pensent que ” pour apprendre, il faut être sage et écouter la maitresse ” à ceux qui pensent qu’il faut, pour cela, ” écouter la leçon “. Pour les premiers, qui sont souvent les élèves les plus ” en difficulté “, le travail intellectuel, les activités d’apprentissage et les contenus qu’ils permettent d’élaborer, ne sont guère perçus comme tels. Ils disparaissent derrière l’effectuation des tâches et exercices scolaires et la conformité aux rituels de la classe.
L’apprentissage semble se réduire pour ces élèves au suivi des consignes scolaires et à l’observance des règles de comportement : se comporter correctement, faire ses devoirs, venir en classe, y avoir le matériel demandé, etc. On constate dès l’école élémentaire la difficulté de nombre de ces élèves à percevoir qu’il existe des contenus d’apprentissage spécifiques et des disciplines scolaires (la grammaire, les mathématiques…) qui dépassent la diversité et la succession des exercices dans le quotidien de la classe.
Des petits pas au grand tout
Les seconds, en revanche, souvent en bien meilleure situation scolaire, perçoivent que les objectifs cognitifs excèdent les tâches et exercices scolaires ; ils s’interrogent sur les principes qui sous-tendent ces tâches et exercices. Ils peuvent dès lors donner à leur activité un sens qui transcende la nécessité de s’acquitter de tâches morcelées, de routines et d’exigences comportementales.
Le second type de malentendu tient au rapport au langage et au monde. Pour nombre d’élèves en difficulté, le langage, tout comme le savoir, est une pratique qui s’ignore comme telle, qui s’oublie dans son fonctionnement pour se fondre dans les actes, les évènements et les situations. Faute d’être objet de pensée, le langage ne peut guère être reconnu comme outil de pensée.
Cette illusion de transparence et d’immédiateté est liée à une conception implicite, selon laquelle le dire, le vrai ou le beau ne seraient pas problématiques. Ils ne seraient pas le produit d’un travail, d’une élaboration, mais relèveraient de la seule découverte, de la révélation (au sens photographique), ou de l’expression d’un déjà là qui ne demanderait qu’à se dévoiler à un esprit, qui ne pourrait qu’y acquiescer.
Le troisième type de malentendu tient au fait que les élèves qui ont le plus de difficultés à cerner le sens cognitif d’une activité scolaire, sont ceux qui sont les plus dépendants de l’intervention et de la personne de l’enseignant. Le manque de clarté cognitive va souvent de pair avec une hypertrophie de la dimension interpersonnelle de la relation pédagogique. Ces élèves sont peu en mesure de faire la distinction nécessaire entre le rôle d’enseignant et la personne qui l’incarne. Ceci contraste avec l’élaboration symbolique qui caractérise les élèves pour qui l’école est un lieu d’appropriation de savoirs et de développement culturel et personnel.