Première expérience. Septembre, j’ai cours dans une classe de 6e aide familiale (AF). Les élèves me connaissent pour avoir travaillé avec moi en 5e. J’annonce la couleur : « Voilà, je n’ai rien préparé, mais j’ai tout préparé. » Une élève me demande de répéter, ce que je fais : « J’ai tout préparé, mais je n’ai rien préparé. » Les réactions fusent : « C’est une blague ? », « Mais il est où le cours, on fait quoi cette année ? », « Ce prof est fou ! ». Très vite aussi, une élève me demande si elle peut faire des propositions au groupe. Je réponds par l’affirmative. « Vous voyez, moi je crois que je commence à comprendre. C’est pas vrai qu’il a rien préparé, mais il attend de voir ce que nous on va faire. Si on mettait les bancs en “U” comme on faisait l’année dernière en religion pour commencer ? » Les élèves se mettent donc en « U ».
Forts de l’expérience de l’année précédente — au cours de laquelle j’avais mis les élèves au travail en leur imposant un thème, des fiches, en demandant qu’ils réalisent une interview, écrivent un texte, présentent le travail dans les couloirs de l’école… — quelques élèves proposent de discuter du thème de travail de cette année. Rapidement, cela vire au chaos. Je propose dès lors d’intervenir pour soutenir le groupe-classe. J’ai aussi prévu une série de documents à distribuer aux élèves afin de les aider à construire le cours.
Les élèves décident alors qu’il faut définir des responsabilités. J’interviens pour soutenir l’idée, mais je ne donne pas une liste de responsabilités possibles. En effet, l’objectif est d’amener les élèves à les imaginer et, ensuite, à les nommer. Un animateur se met en place, un gardien du temps aussi. La discussion sur le choix du thème peut démarrer. Un élève prend note des propositions. La manière de choisir, de voter en quelque sorte, fait déjà l’objet de différends. Fin du cours ce jour-là.
Deuxième cours. J’entre en classe, les bancs sont déjà en « U ». Un élève me lance « On sait, “Vous n’avez rien préparé, mais vous avez tout préparé !”, alors ne faites rien, mais nous on va bosser ! ». Le cours démarre, une élève annonce qu’elle a été acheter un cahier « afin de prendre les notes de ce qu’on décide, et tout ça pour pas perdre et les absents peuvent lire aussi. »
De mon côté, j’apporte aussi quelques éléments pratiques comme un calendrier des dates et moments de travail, quelques consignes sur l’obligation d’une production présentable (qui remplacera l’examen de décembre), mais sans en imposer la forme (tout en annonçant les outils à leur disposition).
Enfin, je leur propose aussi de m’aider à compléter une demande de subsides en lien avec le thème choisi par le groupe-classe. Ils ont aussi imaginé une forme de « réparation » pour les élèves qui s’absentent. Pendant les semaines qui vont suivre, les problèmes de discipline dans la classe sont rares (alors qu’elle est qualifiée d’extrêmement difficile par le conseil de classe d’octobre) et les élèves viennent me voir en criant au scandale lorsque le cours est annulé en raison d’une réunion par exemple.
Mais au retour de leurs stages, au mois de janvier, les élèves me demandent de « revenir à la manière dont on travaillait en 5e », comme le dira Meriem. C’est-à-dire ? « On fait aussi une production et tout ça, mais c’est vous qui animez et qui nous dites quoi faire. On veut plus passer tout ce temps à discuter, prendre des décisions, avoir toutes les responsabilités. Si vous gérez tout ça, nous on peut se concentrer sur le travail. » La demande venant de l’ensemble du groupe-classe, on ne travaillera plus en PI « anarchiste » comme l’a surnommée Pierre Waaub. D’autres diront peut-être que ce n’est tout simplement pas de la PI…
Deuxième expérience, l’installation d’un conseil dans la classe dont je suis titulaire. En septembre, j’ai préparé le local que j’ai divisé en deux. Au fond, j’ai placé des tréteaux et une grande planche afin de créer un espace de travail qui pouvait facilement être démonté et remonté. J’ai acheté des bics, un cahier, des affiches et des marqueurs. Dès la première rencontre avec le groupe, j’ai expliqué que la classe et les moments de travail allaient être divisés en deux. D’un côté, ce nouvel espace de travail collectif, de discussion, de décision et, de l’autre, l’espace classe classique pour les cours. Des responsabilités ont été distribuées et, rapidement, je ne devais même plus en assurer la présidence.
Souvent, dans les classes, ces moments appelés GCPP (Gestion collective de projets pluridisciplinaires) sont consacrés à critiquer certains enseignants, à se mettre en ordre ou, à débattre éternellement d’un voyage scolaire à l’autre bout du monde qui ne verra probablement jamais le jour… Ici, grâce aux outils de la PI, les élèves dressent un ordre du jour. Ils prennent des notes. Décident de certaines choses. « On peut mettre la question de l’organisation des stages à l’ordre du jour ? », demande Fatima. Othman : « Je veux dire que certains se moquent d’une fille de la classe, je veux dire ici que je ne suis pas d’accord. » Ce moment devient un lieu où l’on construit ensemble et non plus un lieu de critique. Ainsi, les élèves ont aussi préparé la prise de parole des délégués de la classe au conseil de classe des enseignants d’octobre. Ils se présenteront avec deux affiches et plus de huit points à l’ordre du jour. La surprise du corps professoral est totale. Comme l’a déjà montré Thérèse Diez[1]http://goo.gl/vF2L9k, qui tient un conseil dans sa classe depuis des années, et dont je m’inspire, cela fonctionne.
Troisième expérience, cette année dans mes classes de 6e année de l’enseignement professionnel. Je n’aime pas l’idée de reprendre les termes habituellement utilisés en PI tels que le « quoi de neuf », le « ça va, ça va pas », ou encore le « conseil ». Il en va de même pour les différentes « responsabilités ». J’ai proposé aux élèves de les imaginer. Cela donne le « garage » (en lieu et place du conseil). Le président est devenu le « patron ». L’ensemble des participants les « mécaniciens », les élèves qui vont gérer les budgets, l’achat de matériel et les contacts avec la direction si nécessaire se nomment respectivement « le vendeur, l’acheteur et le carrossier ». Un élève est chargé d’intervenir si une interpellation est considérée comme hors sujet, dans ce cas-là, il est nommé « chkema » (le « chkem » signifiant, pour les élèves issus des quartiers populaires bruxellois, la balance). Un autre élève doit surveiller que les propos tenus ne blessent personne, entendez le « knouche » (manière d’appeler la police dans les quartiers). Enfin, l’élève qui devra contacter des personnes extérieures à la classe a été nommé le « hassess » (d’après les hommes ou femmes qui aident, de manière totalement précaire et non officielle, les chauffeurs à trouver une place de parking dans les rues des villes du Maroc). Pour ma part, j’ai été appelé le « dépanneur ». Dans une autre classe je porte le nom de « SAMU social » si j’interviens pour aider ou de « Casque bleu » s’il y a un incident disciplinaire qui exige mon intervention. Globalement, cela fonctionne bien.
À la lecture de ces récits d’expériences, certains seront peut-être choqués ou surpris, d’autres encore diront que ce n’est pas ça faire de la PI ou même « faire cours ». J’accepte ces critiques qui sont peut-être même valables, mais je réaffirme ici ma liberté d’enseignant. Je ne désire pas me coller à un modèle donné. Par ailleurs, dans un cadre donné, j’ai le désir de voir le groupe-classe comme collectif évolué et de construire le cours. Cependant, certaines questions restent sans réponse. Il s’agit de la manière d’apporter du « savoir » dans le cadre de ce travail, de la difficulté à faire respecter les temps de travail (parfois le conseil dépasse le temps donné, celui qui préside le permet vu les sujets qui doivent être abordés, mais certains élèves ont l’impression que l’on y consacre trop de temps) ou, parfois, de ne pas reprendre la place du professeur « classique » en oubliant qu’on travaille autrement dans cette classe-là.
Notes de bas de page
↑1 | http://goo.gl/vF2L9k |
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