De nouvelles clés

« Il est vrai qu’on se sent souvent bien seul dans ce métier. Il faut lutter contre cet effet de système et ça, c’est du militantisme ! ». Le formateur a l’art des phrases « choc » et terre à terre qui ne s’oublient pas.

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Un métier fait d’interrogations

Futur licencié en sociologie clôturant un mémoire sur la chute de l’autorité depuis la démocratisation de l’École, j’avais approché le terrain scolaire au travers d’ouvrages et d’entretiens avec quelques acteurs du système scolaire liégeois. Averti des difficultés et conscient des problèmes, j’étais en attente de solutions. Les élèves veulent des professeurs compétents et capables de donner sens à leur matière. Les élèves veulent des professeurs efficaces mais justes. Les élèves veulent des professeurs distants et autoritaires, mais, paradoxalement, proches de leurs élèves. Et, comme si la conciliation de ces différentes attentes n’était pas suffisamment compliquée, ils veulent des professeurs capables de laisser place à l’expression de la singularité de chacun. Quelle est la clé qui permet à chacune de ces exigences de s’imbriquer les unes dans les autres ?

J’avais la tête remplie de questions et je n’attendais pas des RPé qu’elles me fournissent les réponses, préférant laisser cette tâche ingrate à l’expérience.

L’atelier « Éduquer à la citoyenneté » : un choix (de) curieux

Le terme « citoyenneté » m’intriguait par sa difficulté à être cerné. Impératif du décret « Missions », dénominateur commun à tant de pédagogues et déception pour nombre d’élèves, il me semblait pertinent d’approcher mon futur métier par un premier pas « citoyen ».

L’« éducation à la citoyenneté » est, pour beaucoup, un terme creux. Pour les uns, elle ferait office de doublon par rapport aux pratiques pédagogiques dites classiques, pour les autres, elle viderait l’École de son devoir d’instruction. Il est vrai que les contradictions internes au décret « Missions » et les modalités d’interprétation de cette nouvelle norme pédagogique sont nombreuses. Conséquence prévisible : beaucoup de professeurs se retrouvent démunis et tendent à remplacer les cours (pour lesquels ils sont qualifiés) par des cours théoriques sur la démocratie, sur l’identité nationale ou encore sur les droits et les devoirs du citoyen… faute de moyens. Mais l’éducation à la citoyenneté ne se fait pas uniquement par les mots, elle se vit.

Vivre la citoyenneté en classe

Nous ne nous connaissions pas, Michel, le formateur a délié les langues. Précisant d’emblée ses consignes, nous devions l’un après l’autre raconter en trente secondes un évènement qui nous avait mis le sourire aux lèvres au cours des 24 heures qui précédaient notre rencontre. Quelques rires étouffés par l’aspect ludique de cette mise en route, nous nous sommes pourtant pris au jeu. Apprendre à s’exprimer en son nom, à respecter le temps de parole qui nous est alloué et à écouter l’autre sans le juger : le formateur jetait les bases du comportement citoyen.

Nous nous sommes ensuite présentés l’un après l’autre. Aucune attente ne se ressemblait. Normal, me direz-vous, puisque nous venions tous d’horizons différents : il y avait des professeurs, un directeur, des formateurs(-trices), des personnes du milieu associatif et… un étudiant. Le formateur a de suite prévenu qu’il ne pourrait pas répondre à la pluralité des demandes. Humilité que tout professeur se doit d’avoir.

Vint alors la mise au travail et la question qui lui préside : « Comment mettre au travail des jeunes qui n’ont pas nécessairement acquis la docilité et l’éthique de travail que l’institution scolaire appelle pourtant » ? Posée en d’autres termes, « comment rendre notre École plus démocratique » ? La réponse que propose le formateur est de donner du sens à la matière enseignée. Facile à dire, presque banal. En revanche, ce qui caractérise ses méthodes, c’est l’intégration, en leur sein, du conflit cognitif. Déconstruire les représentations initiales en posant des questions qui perturbent, qui dérangent et qui mettent les élèves en attente de réponse, voici nos consignes.

Déconstruire pour reconstruire en citoyens

Le formateur nous a donc mis au travail. Des activités, tantôt individuelles, tantôt collectives, se sont succédées.

L’une d’entre elles, par exemple, s’est déroulée de la manière suivante : D’abord individuellement : nous disposions de 20 minutes pour répondre à plusieurs questions qui engageaient nos certitudes sur le conflit israélo-palestinien. Certains d’avoir les « bonnes réponses » en main, nous allions pourtant devoir déchanter. La vérité n’est pas unique et chacun la vit à sa manière.

« Voilà, le temps est écoulé, je vais donc vous demander de vous regrouper par quatre en fonction de la liste que j’ai établie ! (Il cite les groupes) L’objectif de ce travail est que vous mettiez vos réponses en commun et que vous veniez, ensuite, présenter le fruit de votre collaboration devant la classe. Pour ce faire, élisez un gardien du temps, un secrétaire, une personne qui se chargera de retranscrire vos réponses sur une affiche communicable à toute la classe, ainsi qu’un porte-parole. La procédure est stricte et je vérifierai que vous respectez bien vos rôles. Tout qui ne le respecte pas sera sanctionné et engagera la responsabilité du groupe. Enfin, je vous signale que vous pouvez proposer plusieurs réponses si vous ne parvenez pas à vous mettre d’accord.»

Le conflit israélo-palestinien était d’une complexité qui dépassait largement toute attente. Les désaccords étaient nombreux et les professeurs d’histoire, eux-mêmes, s’y perdaient. Nous étions trois groupes de quatre. Aucun ne présentait (la bonne blague) les mêmes réponses. Cependant, ensemble, nous avions brassé l’entièreté des éléments nécessaires pour comprendre le conflit israélo-palestinien. La tâche du formateur devenait évidente : il était là pour nous aider à faire le lien entre ces différents éléments historiques pour recréer l’histoire du conflit.

Le formateur a fait un pas de plus dans l’action citoyenne. En effet, sa méthode permet non seulement de réduire la dépendance traditionnelle de l’élève au savoir du professeur, mais également de créer un sentiment d’interdépendance entre élèves. Le monde de demain n’avancera pas s’il est la somme d’individus isolés et soumis. En revanche, il sera bien plus riche s’il se construit par la multiplication d’interactions entre individus capables de décentration, de responsabilité, de compromis et d’esprit critique.

Le formateur a démontré qu’il était possible de faire place à la citoyenneté en classe par un savant mélange de pédagogies institutionnelles et de (socioconstructivisme). Voici, pour moi, futur enseignant, un premier dispositif, une première clé qui me permettra d’être intéressant (au sens littéral), juste, efficace, distant et proche à la fois, capable de m’effacer au profit des élèves, mais également citoyen. La citoyenneté ne peut se transmettre que lorsqu’on la respecte soi-même.

Les RPé, un foyer d’expériences

Au-delà du strict cadre de la formation, je fus particulièrement étonné et heureux de voir tant de personnes disposées à travailler ensemble. Ceux que j’y ai rencontrés m’ont confié leurs expériences, leurs épanouissements, leurs déceptions, mais également leurs « astuces » pour débloquer les situations scolaires difficiles.