De passage…

Professeure en École normale, j’ai l’occasion en visite de stages d’observer des classes diversement habitées.

167004.jpg Il y a bien sûr le contraste saisissant entre écoles riches et écoles pauvres, mais l’écart est plus grand encore entre certaines classes du fondamental et la toute grande majorité des classes du secondaire.

Dans les écoles fondamentales, on peut rencontrer des classes habitées : le travail s’affiche, les coins et les murs vivent, les cordes à linge agrandissent l’espace d’affichage, les rectangles ont treize angles ou plus, (coin lecture, coin ordi, coin établi,…), les mezzanines ouvrent de nouveaux paysages, les rangs d’oignons et les carrés de légumes font place à de vrais espaces de travail. Et puis, on peut revenir 15 jours plus tard, les choses auront bougé, les murs auront changé. Et dans les couloirs, pendant les cours, on croise des élèves pressés vers une tâche ou l’autre, comme chez eux, responsables et autonomes.

Dans le secondaire, on peut revenir tous les 3 ans, rien n’aura changé. Et dans les couloirs, on ne risque guère de croiser que les punis qui vont chez le préfet. Les classes sont presque toutes au plus morbide. Tout y est conventionnel, même pas fonctionnel, neutre, interchangeable, polyvalent, c’est-à-dire bon à rien de spécifique et donc mauvais à tout.

Ne rien déposer

La plupart du temps, ce n’est d’ailleurs la classe de personne, ni de l’enseignant, ni des élèves, qui tous changent de local toutes les 50 minutes. Personne n’est donc chez lui et ne s’autorise à l’habiter. Personne ne peut aménager puisque cela ne plaira pas nécessairement à celui qui suit. Le nombre de chaises et de bancs et leur disposition doivent pouvoir s’adapter à chaque situation et ne sont donc adaptés à aucune. Les élèves arrivent et occupent l’espace comme bon leur semble avec des vides et des concentrations. Au mieux les blasons de l’activité de rentrée reste au mur jusqu’en fin d’année avec des groupes qui se succèdent.

Il y a toujours d’incroyables contraintes organisationnelles et structurelles dans la distribution, l’aménagement, l’entretien et le maintien des locaux et du matériel qui en interdit toute appropriation par quiconque. Il n’y a aucune mauvaise volonté de personne. Au contraire même pourrait-on dire puisque chacun s’évertue à ne toucher à rien pour ne rien abimer et pour ne pas déranger le suivant. Mais personne ne pense à s’installer, à aménager, à habiter pour vivre intensément, personne n’imagine que le rapport au lieu pourrait avoir une quelconque importance en matière d’apprentissages.

Et donc tout le monde est de passage, en attente. Les élèves de professionnelles l’ont bien compris et le montrent, puisqu’ils laissent leur manteau ou leur veste en attendant de pouvoir sortir, quand ce n’est pas le casque intégral sur le banc qui ne laisse aucune place pour un cahier qu’on a oublié à la maison. De passage… D’ailleurs, on espère bien passer, c’est au mieux, la seule ambition… passer.

Amer et critique, je reviens de mes visites de stage, prêt à m’indigner en salle de profs avec mes collègues. Mais l’École Normale rivalise d’ennui, d’usure et de crasse avec les pires écoles secondaires. En mai, dans une classe, un sapin, synthétique et garni, attend le prochain Noël. Des bricolages trainent entassés dans un coin. Les canettes et les papiers de chiques trainent sur et sous les bancs. Il y a toujours trop ou trop peu de tables et de chaises en ordre très dispersé. Tous les locaux sont les mêmes, incommodes, inadaptés, inhabités. Et c’est là qu’on enseigne la pédagogie à des étudiants de passage qui espèrent bien passer.