Communiqué de presse du mercredi 29 avril 2015  

Décret inscription : Quelle École voulons-nous pour quelle société ?

Nous ne savons quelle est l’intention des responsables politiques à ce jour mais il semble que le décret inscription soit discrètement en rediscussion.

C’est donc le moment pour CGé de réexplorer les enjeux cachés de ce décret si controversé et qui suscite tant d’émotion.

Au-delà de tout ce qui a déjà été dit sur ce fameux décret, il nous semble que la question sur laquelle il faut travailler est la suivante : « A quelles conditions sommes-nous prêts à une réelle mixité ? Et quelles sont les craintes et les freins en présence ? »

Un regard dans le rétroviseur

Pour retracer grossièrement l’historique, la régulation des inscriptions à l’entrée en 1re secondaire s’est déroulée en 3 temps : en 2007, un premier « décret inscriptions », en 2008 un « décret mixité sociale » et en 2010 un deuxième « décret inscriptions ». Le mélange des noms renvoie au mélange des genres et des objectifs.

Parmi les différents objectifs annoncés de ces différents décrets :

  1. rendre l’inscription en secondaire plus transparente
  2. rendre l’inscription en secondaire plus égalitaire
  3. renforcer la mixité sociale dans les écoles.

Bon nombre d’acteurs s’accordent pour dire que le dispositif actuellement en place permet une plus grande transparence des inscriptions. Au total il permettrait également une gestion plus facile de ce temps d’inscription dans la mesure où les parents sont largement informés par différents moyens, et que les agendas sont les mêmes pour tous. Ceci dit cette transparence n’est pas nécessairement perçue par les parents d’élèves qui voudraient être informés plus complètement sur le taux de remplissage des écoles pour pouvoir ajuster leurs stratégies d’inscription.

En ce qui concerne une inscription plus égalitaire, le décret permet une égalité d’accès de droit, mais pas nécessairement de fait. Les mécanismes de discrimination incitant certains parents à ne pas venir déposer leur formulaire unique d’inscription (FUI), dans une école sont nombreux et parfois même partant de bonnes intentions. Entendu dans une séance d’information aux parents : « Chez nous, il faut que l’enfant soit vraiment autonome, qu’il puisse se prendre en charge, on ne va pas le prendre par la main pour lui dire ce qu’il faut faire ». D’un point de vue enseignant, cette phrase peut paraitre simplement objective et informative. Certains parents la traduiront dans le sens de « si mon enfant a des difficultés, on ne l’aidera pas » et elle les amènera à renoncer au projet d’inscrire leur enfant dans cet établissement. C’est là un exemple de discrimination douce, car on ne compte pas les sites d’écoles sur lesquels, pour pouvoir inscrire l’enfant, sont demandés bulletin, participation aux frais, carte d’identité des parents, etc., alors qu’aucune de ces demandes n’est légale.

Le FUI[FUI = formulaire unique [d’inscription] a donc permis un pas en avant vers plus d’égalité, mais est encore bien loin de garantir un accès réellement égalitaire.

Enfin, en ce qui concerne l’objectif de mixité sociale, des effets très réduits et très peu convaincants sont observés : ils laissent beaucoup d’observateurs très perplexes quant à l’efficacité du décret en la matière. Pointons que le décret de 2010 ne mettait même plus en avant cette ambition de mixité.

Un regard sur la carte routière

Le pacte pour un enseignement d’excellence mis en route par la ministre Joëlle Milquet nous offre l’occasion de repenser les finalités de l’école du 21e siècle. À ce titre, de nombreux acteurs convergent pour dire que les parcours d’élèves sont porteurs d’inégalités et que la structure même de l’école devrait être repensée pour permettre plus d’égalité. CGé parmi d’autres promeut l’idée d’un vrai tronc commun allant de 5 à 16 ans avec une organisation des responsabilités scolaires très différente de celle actuellement en place. Cette organisation aurait pour but premier d’accompagner tous les jeunes de 5 à 16 ans vers la maîtrise des savoirs et compétences fondamentaux nécessaires pour se construire citoyen-ne et apporter sa contribution dans la société. Si l’école s’oriente vers de telles dispositions, une régulation des inscriptions n’aurait plus de sens à l’âge de 12 ans environ, mais devrait se faire à l’entrée de la scolarité et tout au long de celle-ci pour éviter les effets systémiques de retour à l’équilibre précédent.

Nous sommes donc demandeurs d’une réflexion intégrée sur la régulation des inscriptions. Mais pour que celle-ci puisse avoir lieu de manière pertinente, il faut que les indices socioéconomiques (ISE) soient calculés de manière beaucoup plus fine et réaliste.

C’est ce que nos voisins de la Communauté flamande semblent avoir fait en prenant comme référence le niveau de diplôme obtenu par la mère de l’enfant. Il faut donc donner les moyens à nos statisticiens et sociologues d’avoir accès aux données pertinentes pour construire ces indices porteurs de sens. Certes, cela demande une grande prudence et de la confidentialité, et cela ne résoudra pas les problèmes en soi. Mais il est temps de cesser de se cacher derrière des arguments de « non-discrimination » pour éviter de rendre visibles des problématiques criantes.

Tant qu’un travail de fond sur la qualité des indices ne sera pas fait, toute politique d’inscription visant à rétablir une justice sociale en favorisant l’accès de ceux qui sont les plus défavorisés sera vouée à l’échec.

Un regard sur le prochain carrefour

À ce stade, le décret « inscriptions » a provoqué quelques situations réellement absurdes qu’il faut ajuster. Par exemple, tenir compte de l’absence d’enseignement secondaire d’un réseau dans une commune de la région bruxelloise qui a une telle densité d’écoles et de transports en commun parait absurde mais la règle a peut-être sa pertinence dans certaines communes étendues de Wallonie. Ces situations doivent être corrigées.

Par contre, revoir tout le décret et tous les équilibres à la lumière d’indices non pertinents dans un temps où l’on envisage de changer le système en profondeur va à l’encontre de toute logique. Il faut laisser le temps au pacte de faire son travail avant de remettre le décret-inscription sur le métier. C’était d’ailleurs une des revendications de l’« Appel au débat, en vue d’une refondation de l’école » : arrêter la course aux réformes pour analyser et évaluer avant de proposer un projet global et concerté.

Un regard sur la destination

Et si on arrêtait de faire comme si la question était simple et si on sortait de la position schizophrène actuelle ? Aujourd’hui, même pour des personnes sensibles à la question de la mixité sociale il est très difficile d’être « bon » parent et « bon » citoyen en même temps.

Personne n’ose dire – et peut-être même n’ose penser — qu’il est pour un développement séparé des enfants en fonction de leur milieu, mais en même temps, les parents favorisés veulent pouvoir leur choisir une « bonne » école. _ Or, une école où il y a une majorité d’enfants de milieu populaire (et donc, à Bruxelles, d’origine étrangère) ne correspond pas à ce qu’ils pensent être une « bonne » école : ils ont peur que leur enfant n’y apprenne pas ou pas assez et le paie après, en moindre accès aux études supérieures, voie royale vers la réussite sociale à leurs yeux.

Mais si les parents de milieu populaire (et d’origine étrangère) mesuraient mieux ce qui se passe à l’école, ils en penseraient autant et en feraient autant : eux aussi veulent une « bonne » école pour leurs enfants évidemment.

Alors ? Comment sort-on vraiment de cette impasse ? On sait que mélanger les publics n’est pas une condition suffisante pour la réussite de tous mais que ça y contribue et, en tout cas, que c’est certainement la formule la plus juste, la plus démocratique et la plus efficace si nous voulons pouvoir « faire société ». Donc nous pensons qu’il est du ressort et de la responsabilité du pouvoir politique de décider de la composition de la population scolaire en veillant à ce qu’il y ait un mélange de populations équilibré le temps de la scolarité obligatoire et que cette responsabilité ne peut – pour les raisons décrites ci-dessus – être mise ni entre les mains des parents ni entre les mains des écoles.

Irait-on pour autant à l’encontre de la constitution ? Tout dépend de la lecture qu’on en fait. Mais ne devrait-elle pas porter sur la liberté de choix confessionnel et pas sur la liberté de maintenir l’apartheid scolaire actuel ?

Faire le choix de sortir de ce qui peut s’apparenter à un fonctionnement d’apartheid demande :

  • du soutien aux parents favorisés pour qu’ils se sentent en confiance et qu’ils ne cherchent pas à échapper à cette mesure — élémentaire sur le plan démocratique mais révolutionnaire sur le plan pratique – en mettant leurs enfants dans des systèmes d’enseignement toujours plus privés et sélectifs ;
  • du soutien aux écoles et aux enseignants qui devront gérer une hétérogénéité de population à laquelle ils ne sont pas forcément préparés ;
  • de la clarté et du courage du côté des responsables politiques qui devront assumer — contre vents et marées, lobbys et groupes d’intérêts divers – et affirmer publiquement un autre projet de société qui passe par une autre gestion de la fonction de l’école.

Le défi est de taille, et il l’est sans doute encore plus qu’on ne le laisse entendre ici. Pourtant de nombreuses énergies sont à l’œuvre autour d’un « pacte pour un enseignement d’excellence », dans les classes et les écoles, dans les familles de tous milieux avec l’espoir de faire réussir leurs enfants.
Ces énergies qui peuvent être des forces au service d’un changement ambitieux peuvent aussi se muer en farouches résistances si des acteurs considèrent, à tort ou à raison, que tout ou partie de ce changement les pénalise.

Et donc, quel que soit l’intérêt du processus initié au travers du pacte, il est face à 2 enjeux majeurs qui doivent être impérativement travaillés de concert :

  • Les acteurs de l’école doivent être impliqués eux aussi dans la réflexion en cours or, beaucoup disent que rien ne filtre à leur niveau de travail et certains ne connaissent même pas l’existence du Pacte.
  • Un débat doit s’ouvrir un peu partout avec les citoyens de ce pays sur ces 2 questions : « quelle École voulons-nous pour quelle société ? » et « à quelles conditions sommes-nous prêts à une réelle mixité ? ».

Faire converger, autant que faire se peut, ces forces dans une refonte intégrée de notre école, qui ne s’arrête pas à légiférer sur l’inscription est une nécessité qui passe obligatoirement par un débat de société.

De plus, vous trouverez ci-joint la contribution d’un sociologue français (C. Ben Ayed) qui produit une analyse fort proche de la nôtre sur une réalité … fort proche aussi : Les doubles discours sur la mixité.

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