Des boucles pour évaluer

Les erreurs pavent la voie de l’apprentissage, chacune d’elles donne à voir en même temps le chemin parcouru et le chemin qu’il reste à parcourir. Pour qui s’en saisit, elles fournissent des informations précieuses pour guider l’activité de l’enseignant.

«Quand tu te plantes, tu grandis. » Cette expression résume bien la place de l’erreur dans l’apprentissage. Rencontrer des difficultés est une preuve que l’on est en train d’essayer d’apprendre quelque chose de nouveau. Ces difficultés sont la manifestation tangible que ce que nous pensions précédemment s’avère à présent erroné et que nous progressons vers de nouvelles conceptions. Malheureusement, se tromper est trop rarement valorisé, les élèves qui commettent des erreurs étant alors identifiés comme en difficulté. Cette mise en exergue de leurs propres vulnérabilités aux yeux de tous peut être vécue comme angoissante et induire diverses stratégies qui leur garantissent de passer inaperçus et d’éviter les remédiations proposées par l’enseignant sous forme d’aides. Celles-ci comportent elles-mêmes des risques : renforcer un sentiment d’incompétence, activer de la résignation et altérer fortement la motivation à rester tenace et le désir d’apprendre. De plus, ces aides portent prioritairement sur les activités et la progression dans les tâches et non sur les apprentissages, créant alors une illusion de maitrise qui se paie ensuite au prix fort lors de l’inévitable évaluation finale.

L’erreur en situations

Quelles sont les organisations concrètes du travail qui leur donnent aux élèves la possibilité de prendre le risque d’apprendre en résistant aux tentations d’éviter les erreurs ?
La différenciation pédagogique résulte de la volonté de prendre en compte les besoins et les différences des élèves afin que tous puissent progresser dans leurs apprentissages. Trois grandes familles de différenciation ont montré leurs limites pédagogiques : l’externalisation, la constitution de groupes de niveau et la seule individualisation. Les recommandations actuelles se tournent dès lors vers des organisations de travail à destination de tous les élèves. Elles ne sont pas centrées uniquement sur le caractère cognitif, mais touchent plusieurs composantes de l’apprentissage (CNESCO, 2017).
Une différenciation pédagogique centrée uniquement sur les difficultés des élèves plutôt que sur les obstacles qui émergent en cours d’apprentissage est dangereuse, car elle conduit à la stigmatisation de certains élèves en leur attribuant de surcroit la charge de leurs erreurs. Cette vision de la difficulté scolaire ignore deux caractéristiques importantes de l’enseignement. D’une part, l’acte d’apprendre dépasse les capacités purement cognitives en faisant intervenir des capacités perceptives, émotionnelles et intentionnelles. D’autre part, tout apprentissage s’ancre dans une situation mise en scène par un enseignant avec des objectifs pédagogiques précis qui ne rencontrent d’ailleurs pas nécessairement les objectifs des élèves eux-mêmes. Ces situations se composent d’actions et de pratiques, mais pas uniquement : elles placent en interaction des acteurs dans un environnement, un espace et un temps. Au sein de ces interactions, entre les ressources personnelles de l’élève et les ressources extérieures mises à sa disposition s’ancre une conception de la différenciation pédagogique que l’on retrouve dans la personnalisation des apprentissages.
Celle-ci correspond à l’ensemble des organisations pédagogiques qui considèrent l’élève comme une personne et articulent de manière équilibrée trois approches pédagogiques : des situations didactiques basées sur une logique socioconstructiviste, un travail individualisé et des interactions coopératives. La coopération entre élèves a ceci d’intéressant qu’elle leur donne la possibilité de disposer de deux grands atouts pour apprendre : la confrontation des idées et le soutien mutuel. Elle a également comme conséquence de développer un réseau de communication entre élèves qui va leur permettre de résoudre des blocages liés à une consigne, ce qui représente la majorité des demandes d’aide, libérant ainsi du temps à l’enseignant dont il pourra faire un usage à destination de ceux qui en ont le plus besoin.

Travail en groupe et tutorat

C’est surtout par du travail en groupe que les élèves ont la possibilité de confronter leurs avis autour de la résolution d’un problème commun. Le conflit sociocognitif est extrêmement utile pour susciter à la fois l’appropriation du problème et l’incertitude nécessaire à l’accueil des savoirs les plus adaptés pour résoudre celui-ci. Les interactions sociales dans l’activité de construction de connaissances ont un rôle prépondérant, car elles favorisent une confrontation entre des conceptions différentes. En classe, cette confrontation n’est possible qu’entre pairs de par l’asymétrie de statut entre enseignant et élève.
Pour autant, il ne suffit pas de mettre des élèves en groupe pour que ces confrontations soient possibles et intéressantes. Il existe une série de dérives qui viennent des élèves pour éviter les activités cognitives nécessaires. Cela nécessite des précautions qui cherchent chacune à enrôler un maximum d’élèves dans les activités qui leur sont proposées.
Le temps de présentation du problème est important, afin que les élèves l’aient compris et puissent s’y engager en toute autonomie. Ensuite, avant de travailler avec d’autres, il est essentiel d’accorder un court moment de travail individuel, pour que tous les élèves puissent apporter quelque chose au temps de partage. Concernant la durée du travail en groupe, la plupart du temps cinq minutes suffisent, surtout lorsque l’on s’aperçoit qu’être en situation d’opposition d’idées est difficile à tenir. Enfin, l’aboutissement du travail en groupe étant la recherche d’un questionnement par les élèves, ils attendent naturellement de l’enseignant des savoirs qui répondent aux questions qu’ils se posent. Cette transmission des savoirs peut alors se faire par des explications directes, mais aussi par un dialogue pédagogique ou avec une mise en application afin que chacun puisse disposer d’une rétroaction individuelle par l’enseignant.
Une autre grande modalité coopérative permet d’encourager les essais et les erreurs des élèves. Il s’agit des dispositifs d’aide, d’entraide et de tutorat. Ils se montrent particulièrement utiles au moment où l’on décide de confier aux élèves des exercices pour qu’ils puissent s’entrainer, mémoriser les procédures que l’on a travaillées collectivement et ainsi développer des automatismes nécessaires aux compétences visées. Deux précautions principales semblent attachées à ces dispositifs d’aide : la première serait de laisser les élèves prendre l’initiative de demander de l’aide à un camarade en qui ils ont confiance, plutôt que de leur en imposer une. Cela risquerait de renforcer leur sentiment d’incompétence, parce qu’ils n’ont rien demandé et que l’aide apportée est publique. La seconde serait de les préparer à ces formes de coopération en les formant aux gestes de demande d’aide et à ceux d’aide apportée. Ces gestes peuvent paraitre évidents pour des adultes, mais c’est loin d’être le cas pour des enfants. Par exemple, essayer seul avant de demander un soutien ou aider sans donner trop d’indices, ce qui empêcherait le partenaire d’apprendre.
Ces deux déclinaisons de la coopération s’intègrent à des phases différentes de l’apprentissage : le travail en groupe se situe en début de séquence lors des questionnements initiaux, alors que l’aide, l’entraide et le tutorat interviennent dans les phases d’entrainement et de mémorisation.

Boucle évaluative

Repenser la façon d’enseigner pour une prise en compte plus pertinente des besoins des élèves ne peut faire l’impasse d’une remise en question de l’évaluation telle qu’elle est entendue au sens traditionnel, c’est-à-dire un instantané des connaissances et carences d’un élève aboutissant à un classement de performances individuelles qui ont de sévères répercussions sur l’engagement et sur l’image de soi. Le projet de ne décourager aucun élève passe aussi par une organisation spécifique de l’évaluation.
L’évaluation formative est un dispositif qui aide l’élève à apprendre. Elle est tournée vers les ap­pren­tis­sages des élèves et rend obsolète une vision utilitariste du savoir qui consisterait à travailler « juste ce qu’il faut » pour passer les différentes étapes du parcours scolaire sans jamais se poser la question de ce que l’on a appris.
Au sein d’une structure coopérative, il existe l’évaluation pour apprendre. Elle part du principe d’accorder du temps d’entrainement supplémentaire après une évaluation ratée, afin que les élèves ne soient pas condamnés à réussir du premier coup. Ce principe se décline sous la forme d’une boucle évaluative.

Après un temps commun de découverte de nouveaux objets d’apprentissages et à la suite d’une première vague d’exercices, une évaluation est proposée. Si elle est réussie, les élèves basculent dans du travail personnalisé, souvent autour d’un plan de travail. Sinon, pour les notions scolaires essentielles, ils reprennent leur entrainement, en changeant de méthode de travail, pourquoi pas en sollicitant un camarade qui a réussi l’évaluation. Lorsqu’une évaluation similaire est passée et qu’elle est réussie, cette réussite a un statut identique aux autres. Après tout, l’objectif est-il de réussir une évaluation en même temps que les autres ou de la réussir tout court ?
Dans la perspective d’une personnalisation des apprentissages, tous les élèves ne travaillent pas nécessairement la même notion en même temps, pourquoi devraient-ils tous témoigner des mêmes acquis au même moment ? En changeant le rapport au temps scolaire et à l’évaluation, la boucle évaluative est une véritable incarnation de ce droit à l’erreur dont on parle souvent en classe, mais que l’on observe si peu. C’est pour cette raison que cela permet de considérer les erreurs commises comme à la fois des sources de compréhension des blocages, des raisons de se sentir responsable de son travail et des leviers pour mieux apprendre par et avec d’autres.ó

S. Connac, La personnalisation des apprentissages agir face à l’hétérogénéité, à l’école et au collège, ESF, 2015.
CNESCO, « Différenciation pédagogique ” Comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? », CNESCO/IFE, 2017.
S. Connac, La coopération, ça s’apprend, ESF, 2020.
P. Cieutat, S. Connac, « Coopération et évaluation ” Pour ne décourager aucun élève ?, Chronique Sociale, 2021.