Des clés plutôt que des étiquettes

Être acteur comme enseignants et comme élèves ne se réalise pas d’un seul coup. S’appeler pédagogie active, non plus… Et que recouvrent ces mots ? Se mettre au travail et à plusieurs, voilà ce qui se dessine dans ces lignes.

Je suis aujourd’hui, et depuis douze ans, directrice d’une école fondamentale située à Laeken, entre le Canal et Tour et Taxis. [1]À lire dans le TRACeS, n° 230, deux articles de Michèle Masil et de Noëlle De Smet, « Construire du commun pour apprendre » et « Construire du commun pour un vécu collectif ».
J’ai débuté ma carrière dans une école fondamentale de la Ville de Bruxelles, dans le quartier des Marolles. J’étais une jeune instit remplie d’idéal !
J’ai commencé à enseigner avec des leçons plutôt traditionnelles et avec du travail individualisé sous forme de contrats. Au fil du temps, j’ai dû reconnaitre que peu d’élèves en tiraient profit, seulement les plus scolaires. Je n’avais pas choisi ce métier pour faire ce constat.
J’ai donc développé, assez vite, avec mes autres jeunes collègues de l’époque, des méthodes d’apprentissage qui partaient de l’élève et se centraient sur lui, qui le rendaient plus acteur et donnaient davantage de sens à ses apprentissages.
Nous avons beaucoup réfléchi ensemble — co-construction déjà ? — chercher une pédagogie différente, liée au projet et organisée en ateliers. Cela nous a amenés à remettre en question l’évaluation chiffrée, les moyennes et le redoublement.
Nous étions emballés et nos élèves aussi. Nous expérimentions, rectifions, essayions encore. Nous étions tous en projet d’apprendre et de nous tromper, adultes et enfants ! Plus de bulletin, déjà, mais un carnet de commentaires avec des conseils individualisés.
Les parents nous accordaient leur confiance. À l’époque, pas de CEB, pas de pression de résultat. Les écoles secondaires nous demandaient la liste des élèves que nous estimions capables de suivre leur enseignement, liste que nous envoyions d’office avec les noms de tous nos élèves pour ne pas marcher avec eux dans la sélection de leur public.
J’étais aussi avide d’apprendre et j’allais en formation. Deux de celles-ci ont véritablement renforcé ma vision des rôles d’un enseignant et d’un élève : la gestion mentale donnée par Anne Moinet et la philosophie pour enfants animée par Martine Nolis.
Nos élèves apprenaient et s’épanouissaient, sous notre regard attentif et porteur, sans l’étiquette d’une pédagogie particulière. Nos supérieurs hiérarchiques nous laissaient une certaine liberté pédagogique qui nous donnait des ailes.
Fin des années 90, arrivent alors le décret Missions et celui de L’École de la réussite (qui était traduit en livret avec des détails explicites et clairs, quasi introuvables aujourd’hui). Un nouveau contrat pour l’école qui me parle immédiatement.
Des mots comme travail en cycles, compétences à atteindre en étapes, tronc commun, évaluation formative s’y retrouvent et confirment le sens de nos changements pédagogiques. Je pensais que ces documents allaient révolutionner notre système d’enseignement francophone qui en avait déjà bien besoin.
Quelques années plus tard, en 2007, enrichie de toutes ces expériences, de ces échanges, j’accepte de prendre le poste de direction, avec une équipe qui n’a pas accompli le même chemin que moi et avec une autre fonction à assumer !

Pas fière au début !

Des bulletins, des zéros, du redoublement, des rangées de bancs face au tableau, des parents un peu agressifs, des jeunes parfois violents, une équipe en action dont certains, depuis très longtemps, présents dans l’école !
De gros changements à mettre en place pour conserver le gout d’apprendre et de s’impliquer, pour diminuer la violence au sein de l’école et donner envie aux membres de l’équipe éducative de devenir les acteurs de ces changements qui les amèneront à développer sans cesse de nouveaux défis toujours plus passionnants !
Je me suis donc appuyée sur les décrets et les documents légaux pour démarrer et me fixer des objectifs clairs qui seraient atteints si j’étais la garante du temps (ne pas hésiter à modifier certaines habitudes ou horaires pour trouver plus de temps de concertation et de partages), un moteur positif (encourager, soutenir et essayer aussi), le relais avec notre PO (qui nous a donné carte blanche, lors de nos propositions de changement et nous en avons ressenti de la fierté) et les parents (expliquer nos actions, inviter à venir voir nos pratiques, être disponible…) et la coordinatrice des travaux et des échanges (entre les équipes et entre les niveaux d’enseignement).
Pour y arriver, une intense collaboration se met en place : des réunions d’information, des concertations constructives en petits et en grands groupes, des échanges de pratiques de classe, de l’élaboration d’outils communs (méthodologiques et d’évaluation) et la fierté de pratiques partagées (on se félicite et on partage nos réussites).
Notre premier défi : modifier l’évaluation, supprimer les points et le bulletin et les remplacer par le portfolio individuel pour chaque élève qui va modifier la posture de l’élève, de l’enseignant et de la famille. Cet outil renforce l’estime de soi de l’élève et le rend acteur de ses progrès. Il renforce le lien école-famille et ouvre la porte de la réussite et de l’orientation positive pour tous les élèves. La philosophie du portfolio demande aussi en parallèle d’avoir une pédagogie alternative qui donne une vraie place d’apprenants responsables aux élèves (notamment, comment j’apprends et comment je réagis face à une difficulté ?).
Second défi : faire de notre école une école citoyenne (formation et travail de collaboration avec le MIEC et l’Université de paix de Namur, programme Graines de médiateurs).
Une Loi, des règles communes, des ceintures de compétences, une manière éducative responsable de gérer les conflits et les dérives potentiels.
Grâce à cette philosophie de travail, les tensions et la violence diminuent.
Troisième défi : créer du commun.
On s’engage à lire des ouvrages ou articles pédagogiques, à se former volontairement, à être curieux, à aller voir ailleurs, à accueillir des personnes-ressources dans l’école (des spécialistes, des formateurs, des conseillers), à ouvrir les portes de nos classes (on va voir les uns chez les autres) pour construire des outils et des processus communs (référents, escaliers de progrès, stratégies de lecture et de résolution de problèmes, quoi de neuf, rituels, défis page blanche, cahier de mes apprentissages…. ) qui rendent le continuum plus accessible à tous les élèves, même les plus fragiles.
Quatrième défi : mieux se connaitre pour mieux collaborer. On se découvre des talents qui deviennent des forces quand ils s’unissent pour pallier des faiblesses. Et ça, c’est valable pour tout le monde ! On se fait confiance, on fait confiance aux enfants et à leurs parents, à qui nous expliquons nos rôles respectifs (ce que nous attendons d’eux et ce qu’eux peuvent attendre de nous) et tout le possible (projets, fêtes).

Notre défi actuel

Il s’agit de favoriser la coopération, pour oser des défis plus complexes pour tous !
Pendant toutes ces années, nous n’avons pas prétendu à une étiquette de pédagogie particulière, nous avons juste pris le temps de définir nos valeurs communes (à travers notre projet d’établissement), de rendre nos objectifs explicites (nos actions concrètes) et d’oser des ambitions fortes (l’école à visée inclusive avec la réussite pour tous) qui ont mobilisé tout le monde, sans que personne ne doive avoir été choisi pour travailler dans notre école (dans notre PO, ce ne sont pas les directions qui engagent le personnel), quasi sans départ de collègues (en douze ans !) et sans moyens particuliers. Nous avons ouvert nos portes à ceux qui voulaient voir comment tout ça fonctionnait en vrai. Le portfolio a fait son bout de chemin et est mis en place dans de nombreuses écoles, aussi en secondaire….
Tout le monde n’y est pas allé au même rythme, mais nous avons relevé nos défis ensemble et nous avons avancé vers une pédagogie plus active et plus juste, dans laquelle chaque élève trouve sa place et progresse, à son rythme et avec des exigences claires, mais sans pression institutionnelle.
Aujourd’hui, nous sommes fiers, un peu épuisés parfois de cet engagement perpétuel, mais tellement convaincus que ce que nous avons mis en place dans l’école est le chemin vers l’épanouissement et la réussite de tous.
La sérénité y est de mise et la confiance est le maitre mot.
Dans ces conditions remarquables, chacun assume son rôle en pleine responsabilité et chaque élève est amené à penser et à apprendre librement à partir de moments pédagogiques variés qui donnent du sens aux apprentissages.
Alors, active, alternative ou traditionnelle, tant que l’école se positionne pour tous et s’approprie les clés d’une pédagogie au service de chaque élève, moi je signe !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 À lire dans le TRACeS, n° 230, deux articles de Michèle Masil et de Noëlle De Smet, « Construire du commun pour apprendre » et « Construire du commun pour un vécu collectif ».