Le mois de mars aura été riche en prises de position sur l’état de nos systèmes de formation. Des économistes, des banquiers, des sociologues, l’Itinera Institute, ….des gens qui ne manient pas la langue de bois. Ainsi, le délicieux Etienne de Callatay propose de supprimer les allocations de chômage des jeunes qui auraient choisi des études « inutiles » (par exemple la philosophie ou la sociologie !). Réplique vigoureuse de Jean De Munck : « il voudrait transformer l’université en entreprise de formation de bons petits soldats de l’utilitarisme, prêts à mourir pour le marché » [1]La Libre Belgique, 21-03-2013.
De son côté, l’UWE reprend une fois de plus son antienne bien connue et dénonce l’inadéquation entre la formation dans l’enseignement secondaire et les emplois offerts. Elle conclut sobrement : « la politique d’enseignement est un échec ». On serait tenté de lui emboiter le pas … mais pour de toutes autres raisons ! Car, on ne le dit pas assez, « jamais les entreprises n’ont disposé d’une telle réserve de personnel diplômé et qualifié » comme le souligne Mateo Alaluf qui ajoute « beaucoup de jeunes achèvent leur scolarité avec succès sans pouvoir accéder pour autant à un emploi » [2]Politique, revue de débats, n°79, mars 2013, le « dictionnaire du prêt-à-penser » de Mateo Alaluf, à lire intégralement et à diffuser largement http://politique.eu.org/spip.php?article2673. Parce que les jobs manquent cruellement. C’est ce que certains tentent de faire oublier avec le refrain de l’inadéquation.
Quant à la frange des jeunes qui décrochent avant le terme de la scolarité et se retrouvent sans qualification (entre 15 et 20% d’une classe d’âge !), d’accord avec l’UWE pour dire qu’il s’agit d’un grave problème de société. Mais ce ne sont pas ces jeunes-là que les entreprises voudraient recruter, même s’ils avaient terminé avec fruit une 6° ou une 7° professionnelle. Que les entreprises commencent par leur offrir des stages intéressants en nombre suffisant. Ces jeunes-là sont victimes d’un système ségrégatif qui oriente par l’échec, qui massacre à feux doux les enfants des familles pauvres, qui ne s’est jusqu’ici jamais donné les moyens d’organiser le parcours scolaire en prenant en compte les caractéristiques socioculturelles de ces populations. Un système qui hiérarchise, trie, exclut les faibles … et favorise les privilégiés.
« La base du problème se trouve au niveau de l’enseignement secondaire », diagnostique Vincent Reuter de l’UWE. Que nenni ! C’est à l’école maternelle qu’il faut tout mettre en œuvre pour réussir l’accrochage des enfants et de leurs parents. Quinze élèves par classe maximum et un encadrement spécialement préparé à travailler avec des publics éloignés de la culture de l’école. Ensuite, tout au long de la scolarité du fondement (tronc commun jusqu’à 15 ou 16 ans), il faut introduire et réserver une place de choix aux activités technologiques et artistiques. Elles doivent être considérées comme aussi importantes que les autres. C’est la seule manière de préparer des choix d’orientation positifs. Voilà « la base du problème » et des réformes qui s’imposent.
Mais, côté « patrons » de l’enseignement, on tient un tout autre discours : « Surtout pas de réformes de structures, les enseignants détestent », dit en substance la ministre Simonet. Dans la foulée, elle vient de préconiser quelques mesurettes pour le premier degré de l’enseignement secondaire. Sympathiques, mais vraiment pas à la hauteur des défis à relever. Et voilà – surprise ?- que la rejoint Etienne Michel, le boss du Segec : « nous ne croyons pas que l’amélioration du système éducatif passe nécessairement par de grandes réformes de structures ou passe nécessairement par l’injection de moyens supplémentaires ». C’est la conclusion qu’il tire d’une intéressante étude [3]Benoît De Waele, Pratiques d’écoles et équité, Segec qui confirme ce que la recherche a mis en évidence depuis belle lurette : il y a un « effet établissement ». Autrement dit : à population quasi identique, les résultats peuvent varier sensiblement d’une école à l’autre. L’étude montre que, même dans des établissements fréquentés par des publics très défavorisés, on peut arriver à des « résultats encourageants ». Pour autant que de nombreuses conditions rarement remplies soient réunies : une direction « volontariste …plutôt que gestionnaire qui mobilise son équipe » ; une approche pédagogique avec « prise en charge étendue des élèves » ; un travail collectif exigeant un investissement personnel en dehors de la classe ; un climat scolaire propice à la qualité des apprentissages ; etc.
Est-ce généralisable ? Bien sûr que non … dans l’état actuel du système scolaire et de la formation des maîtres. Avec des moyens supplémentaires ? Oui, s’ils sont conséquents et réservés aux équipes et aux écoles qui travaillent avec les publics les plus défavorisés. Des moyens d’ordre qualitatif surtout. Comment ? « La démocratisation de l’enseignement nécessite encore un travail d’envergure et demande peut-être et surtout un réflexe de solidarité de la part des groupes les plus privilégiés de notre société. Il est de l’intérêt de tous que toutes les écoles offrent un enseignement de haute qualité ». C’est la Fondation Roi Baudouin qui l’écrit [4]Gaspillage des talents, Fondation Roi Baudouin, 2011.
Notes de bas de page
↑1 | La Libre Belgique, 21-03-2013 |
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↑2 | Politique, revue de débats, n°79, mars 2013, le « dictionnaire du prêt-à-penser » de Mateo Alaluf, à lire intégralement et à diffuser largement http://politique.eu.org/spip.php?article2673 |
↑3 | Benoît De Waele, Pratiques d’écoles et équité, Segec |
↑4 | Gaspillage des talents, Fondation Roi Baudouin, 2011 |