Des épreuves interdisciplinaires à l’épreuves

Dans notre école professionnelle,
nous avons mis en
place un deuxième degré expérimental,
à vocation orientante
: il n’y a plus d’options,
les cours généraux sont renforcés
et les élèves ont des
cours d’initiation aux trois
formations organisées dans
l’école au troisième degré. Ils
suivent également un cours
de « Projet Personnel » qui
vise à les amener à poser un
choix de formation réfléchi.

Dans le cadre du cours
de Projet Personnel,
ils composent un portfolio
dans lequel ils déposent
les preuves de
la maitrise des compétences qu’ils
ont acquises dans chaque cours.

En fin de 3e, les élèves viennent
présenter le contenu de leur portfolio
devant un jury de trois professeurs.

Ils apprennent ainsi à mettre
des mots sur les compétences exercées
dans les différents cours.

En fin de 4e, ils viennent présenter
un travail personnel qui
s’appuie sur le contenu de leur portfolio
et dans lequel ils défendent
leur choix d’option pour la suite
de leur formation. En fonction des
besoins exprimés et de l’orientation
professionnelle envisagée, ils
sont soutenus dans leur rédaction
par un professeur coach. Chaque
professeur soutient au maximum
trois élèves. La défense orale du travail,
devant un jury de trois professeurs,
est prévue pendant la session
d’examens. L’écrit est évalué par les
cours de Projet Personnel, Français
et Travaux sur ordinateur. Un
groupe de travail d’enseignants s’est
réuni régulièrement pour définir les
consignes de rédaction ainsi que les
grilles d’évaluation, tant pour l’écrit
que pour la défense orale de ce travail.

PLUS TARD JE SERAI…

Les élèves de 4e doivent rédiger
un travail de trois pages, centré sur
la justification du secteur de formation
vers lequel ils comptent se diriger.
Il doit contenir une interview
d’un professionnel de ce secteur.
Suite à la rencontre avec ce professionnel
et à l’analyse de leurs compétences,
les élèves doivent pouvoir
argumenter sur la pertinence
de leur choix. Au-delà des compétences
utilisées pour la rédaction,
nous faisons le pari que la réflexion
induite par ce travail va leur donner
davantage de chances pour la réussite
de la suite de leur formation.
Les consignes de rédaction ont
été données début mai. Mais, pour
certains élèves, c’est très compliqué
de se mettre à écrire, de prendre un
rendez-vous avec un professionnel, même avec qui ils pourraient
prendre rendez-vous. Les semaines
passent, les coachs ne sont
pas sollicités, les travaux n’avancent
pas. Solo me dit qu’il a réalisé une
interview dans un centre de planning,
il a interrogé une assistante
sociale. Je m’étonne : il ne veut pas
devenir assistant social, mais aide
familial. En fait, il est allé dans ce
centre, car il passe souvent devant
et s’est dit qu’un centre de planning,
ça concernait les familles, donc il
devait y avoir du personnel du genre
« aide familial », ce que n’a pas démenti
l’assistante sociale ouverte à
ses questions. Devant mon refus de
considérer la validité de cette interview,
Solo, accompagné de Farid et
Karim (qui n’avaient pas encore entamé
de démarches non plus), sont
allés dans un centre de services à
domicile et ont interrogé, à trois, la
même aide familiale. Mais, me rassurent-
ils, ils se sont arrangés pour
que leurs réponses ne soient pas
semblables ! Une semaine avant la
défense de leur travail, Jonathan n’a
toujours pas de personne à contacter.
Espérance l’aide pour téléphoner
et l’accompagne au service de
soins à domicile d’une polyclinique
proche de l’école. Jordan m’assure
qu’il a rédigé ses trois pages dont je
n’arrive pas à voir une ligne. Nora
a réalisé son interview, mais s’est
contentée de réponses minimalistes
dont elle ne peut tirer que peu
d’informations sur le métier d’institutrice
maternelle qui l’intéresse.
Je consacre donc quelques heures
de mon cours de français
pour que les plus effrayés
par la tâche commencent
réellement à se questionner
et à rédiger. J’en consacrerai
encore deux pour les
entrainer à leur prestation
orale.

PROGRESSER DANS LA MAITRISE DU FRANÇAIS

Une fois qu’ils se sont
mis à écrire, je leur rappelle
que l’orthographe va
intervenir pour une partie
des points de français.

Les élèves et leurs coachs
ont reçu les critères d’évaluation de
l’orthographe, correspondant aux
compétences travaillées pendant
l’année. Les coachs peuvent faire
réfléchir les élèves qu’ils suivent
sur l’orthographe des 100 premiers
mots de leur texte, ainsi que sur la
structure générale du texte ; les
élèves doivent se débrouiller seuls
pour le reste. Les élèves rouspètent.

Farid se plaint : « Madame, la grammaire,
ça marche pas ! J’y arrive pas,
je fais trop de fautes ! » L’exercice
semble insurmontable. La moitié
des élèves est toujours en grandes
difficultés orthographiques. Par
exemple, Zahra. C’est une jeune fille
très autonome, régulière au cours.
Dans le cadre de la pièce de théâtre
que nous avons montée, elle a pris
des initiatives pour les costumes et
les décors, a réussi à mémoriser et
à interpréter valablement son rôle.

Elle travaille dans une pizzéria pour
gagner de l’argent en dehors des
cours et gère son temps de manière
fort efficace. Elle calcule mentalement
sans problème, mais n’accorde
quasi aucun nom, aucun verbe, ne
reconnait pas les adjectifs et se perd
dans les homophones : est – et, sont
– son, se – ce… Cela me pose question
: qu’est-ce qui coince dans l’apprentissage
du français d’une jeune
fille si logique pour que la logique
de la langue lui reste hermétique ?

En classe, nous décidons de revoir
les accords, à partir de l’analyse
de quelques phrases. Nous travaillons
sur un extrait de texte vu dans
le cadre de la pièce de théâtre. Je
fais comparer deux phrases :

• Je vois un spectacle terrifiant.

• J’ai vu un spectacle fort terrifiant.
« Vois » est identifié comme verbe
conjugué. Par contre, dans la deuxième
phrase, Zahra (et la plupart
des autres élèves) trouve qu’il y a
deux verbes, sans faire référence à
la première. De même, « terrifiant »
est reconnu comme adjectif dans la
première, pas dans la deuxième. Et
« fort » pose problème : comment
accorder s’il s’agissait de plusieurs
spectacles ? La différence entre
catégories de mots variables et invariables
n’est pas comprise. Farid
conclut « C’est ça qui est dur, hein
madame, en français. On ne sait jamais
comment on doit écrire ! » Nous
avons pourtant travaillé régulièrement
à verbaliser les justifications
d’erreurs à partir de leurs écrits, à
comparer, à argumenter pour tenter
de structurer une grammaire
de l’écrit qui fasse sens pour eux.

Comment les outiller pour qu’ils automatisent
l’attention aux accords,
aux structures de phrases correctes,
à la logique du récit ? Jusqu’où fautil
les accompagner ?

QUELLE ÉVALUATION DE L’EXPÉRIENCE ?

À partir de leur projet de formation,
les élèves sont confrontés à des
exigences explicites pour lesquelles
nous les entrainons. Le travail demandé
en cette fin d’année vise à les
mettre en situation de transférer :
nous leur fournissons une trame
pour la structure et nous les aidons
à appliquer ce qui a été travaillé en
classe dans les cent premiers mots
de leur texte. Leurs résultats s’amélioreront-
ils ? L’expérience vaut en
tout cas d’être tentée.

La définition de ces épreuves
interdisciplinaires nous amène à davantage
de rigueur. Les outils créés
serviront de base au travail pédagogique
de l’année scolaire prochaine.

Les grilles d’évaluation vont être
utilisées dès le début de l’année.

Elles nous aideront à diagnostiquer
de façon collective les difficultés
des élèves et peut-être, à développer
collectivement également des outils
adaptés.