Des êtres qui s’éveillent à la vie, dans une forêt où la musique apaise les géants

C’était un matin lumineux. Une inspiration m’indiqua comment pénétrer dans cette forêt. Mais c’est l’enfance qui lui a insufflé la vie. Les enfants de maternelle et mon complice de toujours : l’accordéon.

Des enfants qui s'éveillent à la vie dans un monde vivant et mouvant
Des enfants qui s’éveillent à la vie dans un monde vivant et mouvant
Depuis j’y suis retournée mille fois et des centaines d’enfants s’y sont aventurés avec moi. Chaque groupe me conduisant vers des espaces encore inexplorés…

« Dans cette forêt il y a beaucoup d’arbres, un tas d’animaux qui y vivent et plein d’enfants qui y jouent. Cette forêt appartient à un géant. C’est bien connu, les géants ne supportent pas le bruit et l’agitation. Celui-ci en devient enragé : il attrape ce qui bouge ou fait du bruit, et l’enferme dans le frigo…[1]Vous l’avez reconnu ? Le géant : celui qui ne supporte pas bien l’agitation des enfants. Et si c’était nous ? Les adultes, les enseignants… Certains jours ou chaque matin, … Continue reading

Mais, il est très sensible à la musique. Quand il entend la musique, il s’apaise et même s’endort. Alors les enfants peuvent courir partout dans la forêt (en ouvrant bien les yeux pour éviter de se cogner contre un arbre, ou un animal, ou a un autre enfant : on se blesserait et alors on ne saurait plus jouer, ce serait dommage). Si la musique s’arrête, tout le monde (les enfants, les animaux…) se cache immédiatement derrière un des petits cailloux magiques que les lutins ont déposé dans la forêt. Petits cailloux blancs qui rendent les êtres invisibles au géant ».

Exploration de l’espace

J’ai raconté cette histoire, puis l’accordéon s’est mis à jouer une mélodie aussi rapide que les pas des enfants qui courent. Alors ceux-ci se sont mis à courir dans toute la classe (la forêt), cherchant du regard où il y avait de l’espace disponible pour foncer en évitant les obstacles.
C’est difficile pour certains : ils avancent comme s’ils étaient dans l’obscurité, les bras et les mains tendues devant eux.

Je les observe : les uns qui courent, les autres qui hésitent, ceux qui trépignent et font du sur place, ceux qui se bousculent ; les mains de Marie qui la protègent de la bousculade, celles de Martin qui l’aident à se frayer un passage, celles de Dylan qui semblent[2]Il faut bien sûr rester prudent dans l’observation ; nos références morales ont tendance à nous aveugler et si nous n’y prenons garde nous jugeons et interprétons souvent erronément … Continue reading bousculer ceux qui se trouvent sur son passage…

Il s’agira de les rassurer, les guider et de les encourager pour qu’ils aient confiance en eux et dans leur capacité d’observer ce qui se passe autour d’eux (de loin et de près) et leur capacité de trouver une réaction adéquate si un obstacle ou un danger se présente. Ils géreront alors de mieux en mieux ces espaces et sauront s’engager sans crainte dans les voies qu’ils se sont choisis.

Dès que l’accordéon se tait, les enfants s’arrêtent et « se cachent » derrière un caillou magique. Il y en a toujours un qui se trouve tout près des pieds.

« Le géant est réveillé. Il lui semblait avoir entendu du remue-ménage dans la forêt ; il sort de sa maison, scrute de son regard perçant ; bizarre, il ne voit personne, seulement des petits cailloux blancs… Alors il retourne vers sa cabane en grommelant « Je suis pourtant sûre d’avoir entendu… »

Les enfants ont compris les règles. Tous entiers dans ce plaisir de courir, d’arriver à maîtriser l’espace, ils doivent pourtant rester attentifs au son de la musique. Et aux silences aussi. L’accordéoniste les surprend, il s’amuse. Les enfants aussi. Rires…

La musique change : c’est le son du « serpent qui glisse silencieusement sous les feuilles ».

Et voilà tous les enfants qui rampent comme les serpents (et pratiquent en même temps de la relaxation active).

L’expérimentation et l’organisation de l’espace

Ils expérimentent un nouvel angle de vue sur l’espace. Plus difficile à gérer : plus bas, près du sol, on voit moins loin ; chacun prend beaucoup plus de place, il faut savoir ce qui se passe derrière nous, les pieds sont invisibles mais doivent être maîtrisés pour préserver l’espace de chacun…

Le silence ; « Vite les serpents se recroquevillent et se cachent derrière les petits cailloux ! Oh une queue qui dépasse ! Le géant s’approche pour attraper le serpent… Ouf, le serpent a réussi juste à temps à cacher sa queue. » (Supporte pas le remue-ménage ce géant, mais les enfants sont intelligents et la meneuse de jeu aime beaucoup établir avec eux cette complicité qui leur permet d’être toujours gagnants. Si le géant les attrape – parfois ils n’étaient pas cachés à temps ou alors trop bruyants – alors la femme du géant les aidera même à s’échapper dès qu’ils se sentent assez forts pour ne plus se faire attraper.)

Les musiques vont s’alterner, les mouvements aussi, ainsi que les angles de vue, l’organisation de l’espace et des déplacements. L’araignée qui se déplace à reculons, les grenouilles qui sautent en l’air, les cailloux qui roulent, les oiseaux qui grimpent en haut des arbres (les bancs, les chaises, les espaliers…), les escargots qui sont très lents et farouches (ils sortent à peine la tête de leur coquille), les chevaux qui galopent à la queue leu leu sur le petit sentier qui borde la forêt (sinon ils s’accrocheraient dans les branches des arbres), les lutins qui dansent par deux ou qui jouent à cache-cache dans les buissons…

À l’écoute de la musique, des autres, des espaces disponibles ; prendre place et gérer sa place dans un monde vivant et mouvant… une forêt pleine de vies, qui s’explore de manière joyeuse et ludique. Un lieu si plaisant que les grands de dix, onze ans (qui l’ont découvert quand ils en avaient trois ou quatre) me demandent encore régulièrement d’y refaire un tour.

Bien sûr, il arrive que des enfants mettent le géant au défi. Un jour très agité, il les a même tous fait s’asseoir. Quelques filles ont montré comment jouer dans cette forêt et se protéger du géant en restant bien à l’écoute de la musique. Les filles comprennent souvent plus vite que les garçons. Alors elles ont toutes pu essayer. Mais les garçons n’aiment pas du tout observer la supériorité des filles, alors en un coup, ils comprennent et c’est reparti…

Enseignants, soyez prudents, si vous pénétrez un jour avec votre classe dans cette forêt (munis de votre flûte, de vos tambourins et autres noix de coco, en compagnie de votre intuition et de votre bienveillante attention), ils risquent de vous y entraîner souvent. Alors prenez-y du plaisir, ou bien évitez-là soigneusement !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Vous l’avez reconnu ? Le géant : celui qui ne supporte pas bien l’agitation des enfants. Et si c’était nous ? Les adultes, les enseignants… Certains jours ou chaque matin, quand on voudrait que les enfants soient calmes et sages, à notre image. Moi j’y pense chaque fois que je le raconte. Et j’ai du bonheur à être à la fois ce géant, et le musicien qui sait l’apaiser et permettre à la vie d’être remuante.
2 Il faut bien sûr rester prudent dans l’observation ; nos références morales ont tendance à nous aveugler et si nous n’y prenons garde nous jugeons et interprétons souvent erronément les intentions de l’enfant.