En boutade, j’ai l’habitude de dire aujourd’hui : « En Belgique, deux formations exigent la réussite d’un examen pour pouvoir les entamer. Il s’agit de la formation d’ingénieur civil organisée par les universités et… de la formation générale organisée par les établissements d’enseignement secondaire. »
Depuis l’année passée, tous les élèves de 6e primaire doivent passer un examen organisé par la Communauté française pour obtenir leur Certificat d’Études de Base (le CEB). Et moi, l’année passée, j’étais l’institutrice d’une classe de 26 élèves, en 6e primaire. Aux environs du 15 juin, pendant trois jours, mes élèves et moi avons donc participé à cet évènement, largement médiatisé dans la presse.
Chaque matin, la directrice de l’école me remettait les fascicules de questions auxquelles les enfants allaient devoir répondre et, chaque après-midi, je corrigeais les mêmes fascicules, mais d’autres élèves, d’autres écoles !
Les enfants de notre école restent dans leur classe avec leur enseignant. D’autres pouvoirs organisateurs regroupent les enfants de leurs écoles dans de vastes locaux (… une autre ressemblance avec l’examen d’entrée en polytechnique…), comme on a pu le voir dans les journaux télévisés de l’époque. J’ai dû retirer des murs de la classe tout ce qui était affiché et une collègue est venue en classe surveiller le déroulement des matinées d’examens.
L’après-midi, je retrouvais de nombreux collègues (toutes les écoles qui dépendent de la même inspection sont regroupées) dans les locaux d’une autre école. Dans chaque salle, une directrice était responsable d’organiser la correction des fascicules. La Communauté française a produit des grilles de critères de correction très détaillées que nous suivions pour déterminer si les réponses des enfants étaient correctes ou pas.
Après ces trois journées, très particulières, je me suis posé de nombreuses questions. À la lueur de ce qui s’est passé dans ma classe, dans l’école où je travaille, dans ces salles de correction, pendant des discussions avec des collègues et avec des militants de ChanGements pour l’Égalité, j’en suis arrivée à quelques constats.
D’abord, dans la classe. Pendant deux ans (les élèves gardent le même enseignant en 5e et 6e primaire), j’avais mis en place, non sans peine, une série d’habitudes pour mettre en évidence que ce qui compte en classe, c’est apprendre et ce n’est pas réussir ! Il s’agit donc, dans ma classe, de ne jamais se satisfaire d’une réponse, mais de pouvoir expliquer comment elle a été obtenue, de ne jamais répondre par hasard, mais de chercher une justification, de ne jamais recevoir de points, mais de se demander ce qu’on pourrait faire pour progresser…
Et puis arrive le CEB et il faut le réussir celui-là ! Un enfant obtient son CEB s’il obtient 50 % en français, en mathématique et en éveil. L’attitude à avoir devant une telle évaluation, avec de tels enjeux, ne correspond pas du tout au comportement attendu pour apprendre. L’essentiel, dans ce type d’évaluation, est de réussir la tâche, pas de comprendre. Il s’agit maintenant de tenir un tout autre discours aux enfants : « Surtout vous répondez à tout, même si vous ne comprenez pas ! Vous commencez par répondre aux questions qui vous donneront le plus de points ! »
Si, dans un article, ce changement d’attitude peut paraitre facile à mettre en place le temps d’une évaluation, il n’en est pas de même dans la vie d’une classe en discrimination positive. Les enfants de ma classe qui sont en difficulté ont beaucoup de mal à identifier les aspects cognitifs dans les situations d’apprentissage. Ce n’est que vers 10–11 ans qu’on peut commencer à verbaliser ce qui est important dans les activités proposées. Après quelques mois de remise en question, l’organisation même du CEB détruit une grosse partie du travail entrepris depuis seulement 2 ans. « Tu vois, les points, c’est important ! Si j’ai pas 50 %, je passe pas ! Regarde, on ne me demande jamais comment je fais ! Pourquoi, tu veux ça, toi ? » Et dans trois mois, ils seront en secondaire, avec d’autres copains, d’autres professeurs, d’autres centres d’intérêt… Que restera-t-il de ces deux années ?
J’ai été frappée par les critères de correction que nous avons reçus. L’optique prise par ceux qui les ont élaborés est très certainement de regarder ce que l’enfant a réussi plutôt que ce qu’il a raté. Très souvent, en examinant les réponses des enfants, je constatais que, bien qu’ils aient obtenu un nombre de points non négligeable à la question, les enfants n’avaient rien compris.
Loin de moi l’idée de changer les critères pour que moins d’enfants réussissent ! Cependant, je me demande aujourd’hui ce que signifie « avoir son CEB ». Quels renseignements sur les savoirs et, plus importants, sur les compétences cognitives des enfants peut-on en déduire ?
Et si on ne peut rien en déduire, à quoi cela sert-il de l’organiser ? Surtout s’il nuit à la construction d’une attitude correcte face aux apprentissages, attitude bien plus largement répandue dans les familles des milieux favorisés !
Quand un élève « rate » son CEB, il est alors inscrit dans une classe d’enseignement différencié, dans une école secondaire. À la fin de cette première année différenciée, les enfants tenteront à nouveau leur chance et passeront le CEB avec les enfants de 6e primaire. Tous les enfants qui ont échoué se retrouvent donc dans la même (ou les mêmes) classe. Alors que regrouper les enfants en difficulté est tout à fait déconseillé, voire interdit, dans les écoles primaires, il semblerait qu’une fois 12 ans les problèmes soient différents et permettent de regrouper ainsi les élèves en difficultés !
Les enfants ont aussi des enseignants différents, en mathématique et en français. Ces derniers n’observent donc que partiellement les compétences cognitives des enfants.
Les résultats obtenus par les enfants de ces classes différenciées montrent bien à quel point ce qui est mis en place aujourd’hui est insuffisant : en 6e primaire, 89,4 % des enfants ont obtenu leur CEB. En 1re année différenciée seulement 16,7 % des élèves l’ont obtenu.[1]Ces résultats et d’autres peuvent être consultés sur le site www.enseignement.be, à la page http://www.enseignement.be/index.php?page=25527.
Lors d’une conférence donnée par un chercheur en pédagogie sur l’évaluation des compétences, j’ai demandé à l’orateur quel était son avis sur l’organisation d’une épreuve en fin de secondaire, un peu comme le BAC en France. Il m’a répondu qu’il serait en effet peut-être nécessaire d’envisager une épreuve certificative en fin de secondaire, mais surtout pas en fin de primaire ! Et pourtant, le CEB a vu le jour bien avant l’organisation d’un BAC en fin de scolarité secondaire !
L’épreuve externe d’évaluation certificative en fin de primaire est en place depuis l’année passée. Depuis plus de dix ans, par contre, des épreuves externes d’évaluation non certificative sont organisées en 2e et 5e primaires (et également dans le secondaire). Les résultats des élèves, accompagnés d’une analyse statistique, sont communiqués aux écoles. Ensuite, en fonction des difficultés rencontrées majoritairement par les enfants de la Communauté française, des pistes didactiques sont élaborées et distribuées dans les écoles.
J’ai personnellement toujours trouvé très intéressantes les informations que je pouvais déduire de ces épreuves : informations sur les compétences de mes élèves (ici, comme en classe, je leur demande de ne pas répondre au hasard), informations sur la manière dont nous travaillons à l’école, informations sur les améliorations possibles de mes pratiques. Mais j’ai toujours aussi été très étonnée du peu de discussions que suscitaient ces évaluations chez les enseignants. Et aujourd’hui, à mon grand étonnement, ce sont les discussions autour du CEB qui préoccupent plus les enseignants ! Pourquoi ? Une nouvelle question à discuter !
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Notes de bas de page
↑1 | Ces résultats et d’autres peuvent être consultés sur le site www.enseignement.be, à la page http://www.enseignement.be/index.php?page=25527. |
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