Des machines à dessiner

Mettre de côté l’idée selon laquelle « Il faut avoir un projet, voire une idée, avant de chercher. » et accepter que celle-ci puisse apparaitre de la forme, de l’observation et du temps qui passe. Prendre conscience que le hasard se prépare et se maitrise et que l’accident, lui, est exploitable. Aller de références en expérimentations à la rencontre de l’art et du graphisme génératif[1] L’art génératif utilise des algorithmes qui génèrent une œuvre de manière autonome. Voir l’œuvre de Stanza, « The mirella Variations » et lire sur le site l’encart sur l’art … Continue reading.

La démarche[2]Cette démarche a été réalisée avec des étudiants de BAC 2 en graphisme, mais elle est transposable avec des plus jeunes. Pour ceux qui veulent voir : http://wp.me/p56wd2-cI comprend trois phases de travail : l’expérimentation, la production et la présentation. Il faut compter deux séances de 4 heures, par phase, avec des étudiants de bac 2 en graphisme.

On observe, on apprivoise, on teste

Les étudiants ont du choisir un objet « actif » ou dont une partie est « active », c’est à dire qui peut fonctionner sans que l’activité ne soit totalement maitrisable par l’humain, comme des objets mécaniques (jouets mécaniques, batteur mécanique, mécanisme d’horloge, machine à écrire, pendule, réveil, essoreuse à salade, etc.) ou électriques, à branchement ou à piles, (aspirateur, lecteur de vinyles, robot ménager, toaster, scie circulaire, imprimante, tondeuse, ventilateur, rasoir, couteau électrique, robots, baffle, etc.).
Lors de la première séance, je leur demande de faire fonctionner leurs objets et de les observer : que font ces objets ? De quoi sont-ils capables ? Ils tournent plus ou moins vite, avancent, émettent des ondes, martèlent, vibrent, produisent du vent, un battement…
Aux endroits jugés pertinents, on fixe un marqueur, un pinceau, on remplit un réservoir d’encre, on laisse l’objet se trainer dans la couleur, projeter de l’encre ou de l’air, bouger librement sur une longue bande de papier, pour faire de cet objet un outil de dessin génératif. Chacun expérimente ensuite différents supports, différents mécanismes, différents médiums, différentes positions, etc.
On dompte le hasard, en amont et en aval, en fixant, petit à petit, des règles et ainsi, les algorithmes se définissent. On exploite l’accident, renforçant ou effaçant ce qu’il provoque. Des limites spatiales ou temporelles commencent à se mettre en question. La voiturette va-t-elle tourner la durée de la pile (une vingtaine d’heures) ? Les pastels gras seraient-ils des informations codables permettant de générer des identités visuelles ? La poudre projetée par le baffle peut-elle traduire des chansons ? La machine à écrire peut-elle réinventer l’écriture ?
Au-delà de l’objectif d’expérimentation, il y a, au centre de la démarche, un ensemble de questionnements dialectiques permanents : entre technique et art, entre art et science, entre l’artiste et la machine, entre l’analogique et le numérique.
Après trois heures d’expérimentations, je propose un moment de recul, par l’écrit, pour structurer la réflexion et garder des traces :
que me dit, ici et maintenant, mon intelligence (sur ce que je fais, vois, comprends/sur la machine, son action, mon action/les questions que je me pose, etc.). Il s’agit de raisonner, de parler hypothèses, d’analyser ;
que me disent maintenant mes émotions, mes sensations (en termes de plaisir ou d’ennui, de découvertes, de surprises, de frustrations). À propos d’attitudes ou d’esthétique, d’art ou de technique, de confort ou de risques ;
comment je vois la suite ? Des hypothèses ? Des pistes ?;
de quoi ai-je besoin pour continuer ? Très concrètement en termes de matériel, de temps, d’espaces, d’attitudes, de références.
L’évaluation portera sur la démarche créative [fluidité, flexibilité, originalité, pertinence] pour chacune des étapes ci-dessus.

On produit

Après le temps d’observation et de compréhension de la machine, il s’agit maintenant de définir ce que l’on pourrait appeler « l’algorithme » pour en parallèle, penser « série » et « sens ».
Il convient, tout au long du processus, de prendre un peu de hauteur vis-à-vis de la tentation du « tout au ludique » et donc, d’observer ce qui se passe, de comprendre.
L’observation des phénomènes doit permettre d’avancer dans deux directions en parallèle :
la mise au point technique (soigner les propositions et régler la machine) ;
l’analyse réflexive de chacun des étudiants doit pouvoir porter sur un ou plusieurs axes, et cela selon ce qu’est capable de faire la machine et selon des intentions se construisant au long de l’observation.
Les différents axes de réflexion possibles et identifiés à présent (ceci n’est donc pas exhaustif) portent sur :
le signe, la trace. Ceux-ci vont-ils m’emmener vers une proposition d’écriture, de signes graphiques, de peinture ou de dessin ? Et selon mes observations vais-je viser une application et une réflexion vers ce que me proposent ces différentes pistes : la possible création typographique ? Un travail d’identité visuelle ou de signalétique ? Une machine qui dessine, tout simplement ? ;
le rapport machine/humain. Dans quelle mesure ma machine est-elle autonome ? Quelle action dois-je exercer au minimum ? Dois-je la canaliser ? Dans certains cas, m’oblige-t-elle à participer, voire à la maitriser ? ;
l’outil en lui-même. Une question centrale est « de quoi cette machine est-elle capable ? ». Et pour qu’elle soit identifiée comme unique, comme pouvant apporter un « plus » à la création, « en quoi est-elle capable de produire du différent, du nouveau, et pas seulement des cercles ? ». Une autre série de questionnements se posent alors : comment utiliser, valoriser sa fonction première pour faire sens ? En effet un ventilateur permet, si je fixe un crayon sur une de ses pales, de produire un cercle, comme beaucoup d’autres objets. Mais un ventilateur produit du vent, autant exploiter cette piste plus singulière, comme la balance indique le poids, le métronome le tempo, etc. ;
le métalangage. Nous avons observé que certaines recherches nous mènent à réfléchir sur la représentation graphique elle-même. Et cela, grâce au hasard ou à l’accident, récupérés tous deux comme facteurs de création. Lorsque Maxime entoure sa projection de couleur, il n’a d’autre intention que de protéger l’espace de l’atelier. Et pourtant, il nous montre à voir que ce qui protégeait ses éclaboussures devient, au même moment une autre représentation graphique du geste qu’il posait. On peut comparer ce résultat à une coupe géologique mise en parallèle à une vue aérienne ou à un plan de bâtiment aux côtés de sa vue en coupe. Ce que propose Diego, en voulant imprimer sa trace plusieurs fois, nous emmène vers une réflexion sur les limites de l’impression manuelle. Un dessin algorithmique généré par ordinateur pourra être imprimé une infinité de fois, avec la même exactitude, nous aurons, à chaque fois, un original. L’impression manuelle nous propose l’inverse : une dégénérescence due aux limites de l’impression.
Ces axes de réflexion doivent permettre aux étudiants de définir leur algorithme en précisant des règles, en déterminant des limites afin de produire une série qui ait du sens. Il s’agit de faire une proposition graphique « à propos du graphisme génératif », de son processus de création et/ou de la production finale.
Les questions posées pour un moment d’écriture sont à ce moment-ci :
quelles sont les règles qui vont fixer mon algorithme ?;
que dire de mon intervention vs l’autonomie de la machine ?;
ai-je envisagé, fixé des limites de temps ? Pourquoi ?;
ai-je envisagé, fixé des limites d’espace ? Pourquoi ?;
ai-je envisagé différents possibles ?.
Et un peu plus tard dans le processus :
décrivez maintenant votre algorithme : espace, temps, couleurs, etc. codes, signes et traces : exploitation des possibles ;
sur quel(s) axe(s) porte ma réflexion (le signe, le rapport moi-outil, le sens de l’outil, le métalangage) ? ;
comment je vois la suite : intentions, série….
L’évaluation portera sur l’intérêt artistique et/ou les pistes de communication, les déclinaisons, ainsi que sur la cohérence entre le discours et les propositions plastiques.

On présente, on communique

Les expérimentations étant terminées, les étudiants passent à la réalisation de trois supports de communication. Pour éviter de ne garder que les aspects formels et ludiques de l’expérience, les étudiants, via ces supports [outre leur intérêt intrinsèque dans la formation], doivent se poser deux questions essentielles :
que communiquer ? L’expérience ? La machine ? Le plaisir ? La finalisation ? Chacun a fait ses choix parce que chaque démarche était singulière ;
comment communiquer via trois supports dont les différences de formats obligent à repenser le processus : une affiche est éphémère et directe, une plaquette est plus complète, transportable, rangeable et une vidéo est linéaire, en mouvement et sonore.
L’évaluation portera sur le contenu (analyse, synthèse, clarté, intelligence du propos) et sur la mise en forme (mise en page, pertinence du support, choix graphiques, mise en évidence du propos, visuel contemporain, cohérence du système graphique, rapport texte-image). « Attention tout de même, soyez brefs et concis dans votre littérature, place aux images ! »

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1  L’art génératif utilise des algorithmes qui génèrent une œuvre de manière autonome. Voir l’œuvre de Stanza, « The mirella Variations » et lire sur le site l’encart sur l’art génératif. https://goo.gl/xnT79w
2 Cette démarche a été réalisée avec des étudiants de BAC 2 en graphisme, mais elle est transposable avec des plus jeunes. Pour ceux qui veulent voir : http://wp.me/p56wd2-cI