Des mots pour grandir

L’année dernière, notre projet d’auto-formation[1]Car il s’agit bien de cela dans notre équipe « fondamental » de CGé, qui regroupe des enseignants. s’articulait autour des compétences en « savoir-parler »[2]Voir les socles en langue maternelle. et de l’importance de construire des activités d’apprentissage multi-épisodes où chaque enfant est impliqué à tout moment.

En découvrant les résultats des recherches de A. Lieury[3]A. Lieury, Apprentissage scolaire : mieux impliquer la mémoire. Recherche-action réalisée dans le cadre d’une convention avec le ministère de l’Enseignement agricole français., nous avons pris conscience de l’importance de la maîtrise d’un vocabulaire impressionnant pour la réussite scolaire. « Pour évaluer la mise en mémoire de ce vocabulaire encyclopédique, nous avons suivi huit classes d’un collège de Rennes, de la 6e jusqu’à la 3e. L’inventaire (à partir des manuels) du vocabulaire à apprendre en 6ème a fourni 6000 mots (en plus du vocabulaire courant). L’estimation, en fin d’année, du vocabulaire acquis a donné une valeur moyenne de 2500 mots, mais avec de grandes disparités : 4000 concepts chez le meilleur élève (17/20 de moyenne scolaire générale), contre 1000 chez l’élève ayant la moyenne scolaire la plus basse (4,5/20). (…) Devant un tel « océan de mots », deux questions se posent : par quelles méthodes compenser les retards ? Comment optimiser l’apprentissage en situation normale ? »

Nous avons donc cherché diverses stratégies pour tenter de répondre à ces questions en cohérence avec nos convictions. Voici une des démarches travaillées et vécues en classe sous diverses formes.

Avec l’idée d’apprendre aux enfants à utiliser les unités lexicales et grammaticales au sein des phrases (voir socles et programmes), nous avons utilisé le « calendrier des incollables » comme matériel de base. Il s’agit d’un calendrier, plus ou moins adapté à chaque tranche d’âge, proposant un mot par jour.

En classe

1e étape : Mobiliser ses connaissances pour élaborer des contenus. Chaque jour, on tourne une page du calendrier pour y découvrir un nouveau mot, sa définition et une situation dessinée illustrant ce mot. Celui-ci et sa définition sont notés par chaque enfant sur une page récapitulative. C’est l’occasion de reprendre les mots vus précédemment et d’essayer de se rappeler leur signification. Ce travail peut se faire parfois en collectif, parfois par petits groupes de trois ou quatre.

2e étape : Utiliser les unités lexicales. À la fin du mois, les enfants reçoivent une série d’étiquettes avec l’illustration des mots et une série avec les définitions.

Le premier travail consiste à retrouver la définition correspondant à l’illustration. Ils effectuent ce travail par deux, l’un recherche et l’autre corrige à l’aide de la feuille construite pendant le mois. En fait, ils ont une bonne cinquantaine d’étiquettes à manipuler. Chaque groupe travaille à son rythme et il n’est pas nécessaire de tout réussir du premier coup. On est toujours en apprentissage. L’erreur est permise.

Le travail d’appropriation active des nouveaux mots commence ensuite. Un des deux enfants du groupe reçoit les étiquettes illustrées, l’autre la page avec les définitions. Ce dernier propose un mot. L’autre doit d’abord trouver la carte illustrant ce mot : élaborer à nouveau la signification du mot. Puis il essaie de le mettre dans une phrase, de trouver un contexte d’utilisation de ce mot. Il peut s’aider de l’écrit si nécessaire. C’est l’enfant qui possède les définitions qui est juge de la correction de la formulation de son équipier. Tous les cinq mots on change de rôle.

L’enseignant observe si le travail se fait sérieusement. Il n’intervient que pour aider l’un ou l’autre groupe à se mettre d’accord ou pour exiger une formulation plus précise quand les deux enfants se contentent d’un à peu près. Il sert en fait de référent externe en cas de problème.

Réflexions à propos de la démarche

– Si la première étape sert de découverte, il est indispensable de passer à la seconde pour amener chaque enfant à s’approprier vraiment au moins une partie du vocabulaire.
– Il n’est pas certain que tout ce que disent les enfants est absolument correct. Mais si l’apprentissage de la langue devait se faire sans erreur, combien d’enfants arriveraient à parler ? C’est bien en parlant et en ajustant peu à peu que l’on améliore sa langue. Il faut seulement avoir l’occasion de parler… beaucoup, et non une minute sur les cinquante minutes de cours parce que la moitié du temps est utilisée par l’enseignant et l’autre moitié partagée en vingt-cinq !
– Les nombreuses interventions de l’enseignant, rapides et précises, dans tous les groupes permettent à chacun de détecter, de corriger ses erreurs et de naviguer au plus près des concepts manipulés. Plus une activité est ouverte (dans son contenu, son rythme et l’autonomie de travail des enfants), plus une différenciation est possible.
– L’activité doit être vécue à maintes reprises si l’on veut que tous les enfants commencent à mettre ces connaissances en mémoire à long terme. Si de plus, l’enseignant les met en évidence lors des rencontres fortuites, d’autres liens se construiront. Proposer des situations d’écriture où il sera possible d’utiliser ce nouveau vocabulaire devient donc aussi indispensable.
– On peut penser que l’activité est très formelle parce qu’elle ne fonctionne pas dans un acte de communication imposé par la vie. La réalité montre que les enfants s’y accrochent parce qu’ils se sentent grandir dans la maîtrise d’un vocabulaire qui, s’il n’est pas le leur (celui de tous les jours), est bien celui des livres qu’ils utilisent ou lisent. Il s’agit d’éviter qu’« alors, faute de mots, faute de « mots outils », il cesse de penser… Il cesse d’essayer de comprendre ce qui se dit, ce qui se lit en classe : les textes d’histoire ou de géographie, les énoncés des problèmes de maths ou de phy-sique sont pratiquement indécodables pour lui qui s’exprime différemment. Il renonce vite à essayer de comprendre, il renonce à essayer de se faire comprendre : sa marginalisation est déjà amorcée… C’est un exclu à vie. (…) »[4]C. Grabner Lannion (Côtes-du-Nord). Le monde de l’éducation. Février 1982


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Un taxidermiste Abdiquer Un haras Une infraction

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Car il s’agit bien de cela dans notre équipe « fondamental » de CGé, qui regroupe des enseignants.
2 Voir les socles en langue maternelle.
3 A. Lieury, Apprentissage scolaire : mieux impliquer la mémoire. Recherche-action réalisée dans le cadre d’une convention avec le ministère de l’Enseignement agricole français.
4 C. Grabner Lannion (Côtes-du-Nord). Le monde de l’éducation. Février 1982