Des rêves à la réalité

Mes premières années d’enseignement sont portées par des lectures [1]A.-S. Neill, Libres enfants de Summerhill, 1971. où des enfants géraient le quotidien de la classe, choisissaient des activités et faisaient Conseil. Cela faisait aussi écho à mon enfance où c’était important pour moi de me sentir considérée. Mes premiers élèves de cours moyen (9-10 ans) ont été les cobayes de mes ambitions : prises de paroles sauvages, règlements de compte, j’élève la voix, je rattrape, je fais la morale, j’autoritarise…

Mais, par où recommencer… J’avais besoin d’entendre des enseignants qui pratiquent le Conseil dans leur classe. Comment s’y prennent-ils ? Que disent-ils et que ne disent-ils pas ? À quel moment et à quelle occasion démarrer le Conseil ? À quoi sert-il, finalement ? Je rejoins le collectif isérois  [2]Des enseignants français qui se regroupent pour travailler ensemble leurs pratiques en PI. de PI parce que je devine pouvoir y trouver des réponses. Je lis, je me forme. Là, je découvre des questionnements, des inventions, des maitres-mots, un contenu, et c’est avec une classe maternelle que je fais mes premiers pas de Conseil réfléchi et travaillé.

Conseil en petite section

Proposer un espace de paroles pour et avec des enfants qui parlent à peine ! Les premières tentatives sont mémorables et comiques : je parle (beaucoup !), je décide (un peu) et je répète « Chut, on s’écoute ! » À nouveau plus de discipline que de présidence d’un Conseil. Je me suis sentie parfois seule avec mes velléités d’organisation collective et coopérative quand ce qui semblait surtout intéresser les élèves, c’était ces petites perles magiques qui se retournent d’un revers de main pour changer de forme ou l’oreille du voisin dans laquelle c’est si drôle de glisser un doigt. Donc je m’agace et m’impatiente… Puis je tempère. Quand je vois comment sont conduits certains conseils d’école avec des adultes, eux, ils ont quatre ans.
Je dois me rendre à cette évidence, j’ai trop d’attentes, je me suis fabriqué un idéal. Alors, peu à peu, je lâche cet idéal et je cherche : dix minutes de Conseil, c’est suffisant dans un premier temps. Un sujet à l’ordre du jour. « Tiens, il y a eu un problème avec les vélos dans la cour, que pouvons-nous faire ? » ou « Et le coin peinture, comment l’organise-t-on ? » ou « Que faisons-nous des constructions du matin ? » ou « Qui veille au rangement des livres au coin bibliothèque ? » ou « Bastien tape et mord, ce n’est plus possible… »
Avec les petits, ça ne peut être que pas-à-pas : oui, là, on peut réfléchir ensemble, trouver des solutions, se donner des règles. Tant pis pour les chuchotages, je les signale et signifie qu’ils gênent la classe et on continue. Et tant pis pour le nombre, un Conseil à trente, est-ce bien réaliste ? J’avance avec ceux qui comprennent l’enjeu et je fais confiance pour que toutes les petites graines semées germent un jour.

Conseil en grande section

J’ai aussi fait des Conseils avec des élèves de grande section de maternelle, c’était plus facile qu’avec les petits. Nous avions une petite pièce réservée, notre salle pour le Conseil, près de la classe, qui donnait un côté officiel à la chose. Des décisions prises avec l’accord de tous ont vraiment aidé à grandir… Avec huit vélos pour vingt-six élèves, c’est à celui qui court le plus vite, tape le plus fort ou négocie le mieux ? Des doigts se lèvent et proposent : « Chacun son tour, on fait des listes, dix minutes puis on tourne. » On discute, décide, essaie, rediscute… En quelques semaines, ce n’est plus la foire d’empoigne, sortir les vélos est devenu un plaisir et chacun y trouve son compte. Conduire le rang, essuyer la table, ouvrir la porte : d’autres occasions de conflits à parler ensemble. Au Conseil, quelqu’un se propose, c’est accepté et reconnu par le groupe classe et tous peuvent trouver un rôle à tenir… et se sentir considérés !

Aujourd’hui

Depuis septembre, je retrouve une classe de cours moyen (CM). Je ne saurais dire encore si le Conseil est au cœur de la vie de la classe, mais il n’en fait pas moins partie d’un tout et s’organise avec l’ensemble des institutions proposées par la PI. Pendant le Conseil, la vie de la classe s’organise, donc des responsabilités se prennent. Pour certaines d’entre elles, il vaut mieux quand même être reconnu, voilà les ceintures qui se mettent en place. Le Conseil n’est toujours pas un exercice aisé. Il me confronte aux enjeux que représente la présidence d’un Conseil même (ou surtout !) avec des enfants : de la rigueur, de la distance, de l’utilité pour le fonctionnement de la classe.
Je continue à creuser le sens que je lui donne, la façon dont je le porte auprès des élèves. Les questions restent vives : le nombre d’élèves, accepter de partager le pouvoir, être présente sans être autoritaire. Mais, quel que soit l’âge, le Conseil, ce n’est pas que pour faire bien dans la classe et je le souhaite tenu par les principes de la Pédagogie institutionnelle : l’implication concrète des élèves, une possibilité de construire avec eux les règles et l’envie de les respecter plutôt que de les plaquer de l’extérieur, un lieu de parole réel.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A.-S. Neill, Libres enfants de Summerhill, 1971.
2 Des enseignants français qui se regroupent pour travailler ensemble leurs pratiques en PI.