Quand CGé appelle au changement de l’école pour lutter contre les inégalités et soutient que ce changement des pratiques pédagogiques dans les classes n’adviendra pas sans une large mobilisation des enseignants, il fait violence aux acteurs de l’école.
Quand CGé dit sa conviction et son expérience professionnelle — que les enseignants sont pris dans un système qui les dépasse évidemment et qui fabrique structurellement les inégalités scolaires à l’échelle de l’enseignement obligatoire francophone, mais qu’ils ont une marge de manœuvre qu’ils peuvent et idéalement doivent investir – sans quoi nous avons la conviction que rien ne changera — CGé est vécu comme violent, injuste et irréaliste.
Nous avons donc tout faux et intérêt à explorer et dénouer ce nœud vite fait, sous peine d’être contre-productifs… Comment sortir du malentendu ?
« Marge de manœuvre et responsabilité ne veulent pas dire culpabilité. »
Parler de marge de manœuvre et de responsabilité ne veut évidemment pas dire que nous pensons que les profs sont coupables de ce qui se passe : ils font certainement au mieux de ce qu’ils peuvent dans le cadre qui les enferme actuellement.
Le Pacte invite à sortir de ce cadre, mais si cette sortie de cadre n’est pas pensée collectivement dans chaque école, à l’initiative du PO, de la direction et avec tous les enseignants, alors les enseignants se sentent certainement coincés, grugés, mis seuls face à un objectif inatteignable. Et si les profs estiment que les conditions de cette sortie de cadre ne sont pas réunies, alors, ça mérite d’étayer en quoi elles ne sont pas réunies et de se battre collectivement pour qu’elles le soient.
De quelle marge de manœuvre
parle-t-on ?
De celle qui tient à la posture, à la façon dont on enseigne, dont on interagit avec les élèves, avec leurs parents et dont on fait collectif avec les collègues. Collectif pour créer le plus de cohérence et de complémentarité dans l’enseignement dispensé, collectif pour se soutenir entre collègues, parce que c’est régulièrement difficile.
C’est la machine scolaire qu’il faut changer, mais la machine scolaire ne changera pas sans que chacun s’implique. Si l’école est un bateau, le directeur le capitaine et les enseignants les marins, individuellement aucun marin ne peut infléchir réellement la trajectoire du bateau. Collectivement, difficile d’imaginer que le capitaine refuse de se mettre autour de la table pour négocier. Mais faire collectif ne va pas de soi, et encore moins en secondaire où les enseignants se croisent à peine, courant d’un groupe classe à l’autre.
Cette marge de manœuvre devrait donc exister, mais régulièrement, pour partie, elle n’est pas présente.
Alors, revendiquons-la. Ça commence par là.
Mais manœuvrer pour aller où ?
Le malentendu n’est-il pas là aussi ? Dans la compréhension du but à atteindre ?
Pas un but bureaucratique, abstrait, défini d’en haut — de gagner quelques pourcents de réussite ou de non-redoublement — qui semble sorti de nulle part. Un but humain, démocratique, de changer l’école dans le sens de lui assigner l’objectif de faire maitriser par tous les élèves, au terme d’un tronc commun allant de 3 à 15 ans, des savoirs dont ils ont besoin pour comprendre le monde et y agir solidairement avec les autres. Et pas des savoirs de distinction qui encombrent les référentiels et serviront juste à les positionner mieux dans une future lutte des places. C’est ambitieux, mais l’actualité quotidienne nous prouve son urgence absolue. Et pour le formuler autrement, plus simplement : faire que chaque enfant parte à l’école, heureux d’y aller, pas avec la boule au ventre, s’y frotte respectueusement aux autres, et que tous y découvrent des savoirs qui donnent des clés de compréhension de la société dans laquelle ils vivent.
Et responsabilité…
Et oui — hélas ou heureusement ? — une bonne part de ce défi repose sur les épaules des enseignants : lourde, mais passionnante tâche que de se retourner collectivement sur leurs pratiques, chercher dans ce qu’ils savent et dans ce que la recherche peut éclairer, explorer ce qu’ils pourraient modifier dans leur façon d’appréhender leurs élèves et de donner cours. Nous ne pouvons rester dans les impasses actuelles que sont l’adaptation à un plus bas niveau d’exigence de nombreuses écoles scolarisant les enfants de milieux populaires d’une part et d’autre part, la sélection discrète par réorientations à laquelle recourent bon nombre d’écoles scolarisant un public plus favorisé socioéconomiquement.
Et ça nécessite de comprendre comment faire pédagogiquement pour que les enfants soient bien tous capables.
Comment rendre sens et dignité au métier d’enseignant et garantir des conditions de travail favorables au bienêtre des travailleurs de l’école, éléments indispensables à l’amélioration de la réussite des enfants de milieux populaires ? c’est fort probablement la question-clé à laquelle il faut apporter des réponses, ce qui devrait permettre d’avancer dans le respect des enseignants et des élèves qui sont actuellement détruits[1]« Détruits » est le mot utilisé par les parents de milieux populaires et par les écoles de devoirs qui travaillent avec ces enfants. Probablement, les enseignants qui quittent l’école … Continue reading par le système scolaire en place.
Cette question, nous nous la sommes mise à l’agenda du mouvement.
Bienvenue à tous ceux qui veulent la travailler avec nous[2]Si intéressés, n’hésitez pas à nous écrire sur l’adresse fred.mawet@changement-egalite.be .
Se mettre en marche et surtout, ne pas rester seuls.
Notes de bas de page
↑1 | « Détruits » est le mot utilisé par les parents de milieux populaires et par les écoles de devoirs qui travaillent avec ces enfants. Probablement, les enseignants qui quittent l’école prématurément la quittent-ils par crainte d’être eux-mêmes détruits… |
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↑2 | Si intéressés, n’hésitez pas à nous écrire sur l’adresse fred.mawet@changement-egalite.be |