Jusqu’à un âge certain, les enfants se demandent pourquoi nous mangeons si c’est pour tout rejeter dans les wc.
Comment aider les enfants (et les moins jeunes…), à comprendre l’essentiel de la fonction de ce tube à deux orifices ? L’objectif de Wim DELVOYE avec son installation intitulée « cloaca » (voir plus loin) n’est certainement pas d’éclairer leurs lanternes à ce sujet…
— Tentatives lors d’un atelier au cours duquel une douzaine de participants est confrontée à cinq situations-problèmes gravitant autour de la digestion chez l’humain… Chacun opte pour la situation qui l’interpelle.
Les uns choisissent de partir de l’évocation de l’expérience de René-Antoine FERCHAULT DE REAUMUR (1752) qui mit un morceau de viande dans un tube en fer blanc, le donna à manger à une buse et retrouva le lendemain, le tube intact, alors que la viande avait diminué de volume et était couverte d’une bouillie.
À l’instar de REAUMUR deux siècles plus tôt, les participants se demandent si la digestion est en partie due à des actions d’ordre chimique. Ils décident de réaliser une expérience pour tenter de répondre à leur question.
Ils prennent environ cinquante grammes de viande hachée et la divisent en sept portions qu’ils répartissent dans différents berlins (récipients en verre à col rétréci utilisés en laboratoire), contenant de l’eau distillée. Dans chacun d’eux, les conditions sont différentes : pour certains, une agitation vigoureuse imite le broyage mécanique de l’estomac ; l’addition de quelques gouttes d’acide chlorhydrique (HCl) dilué permet d’obtenir un pH proche de celui de l’estomac (pH = 2) et l’ajout d’une pointe de spatule de pepsine, enzyme de l’estomac porcin, est testé également. Ils disposent chaque berlin dans une yaourtière pour obtenir une température proche de celle notre corps.
Après environ trente minutes, ils examinent attentivement l’évolution visible dans les différents mélanges. Cela donne les résultats suivants :
Leurs observations leur permettent de confirmer l’importance du broyage d’une part, mais également qu’une action chimique par la pepsine dans des conditions de pH optimales est indispensable pour l’obtention de matières en suspension dans un liquide trouble. Ils en déduisent que c’est dans ces conditions que la digestion des protéines a débuté.
Ils proposent alors comme réponse à leur questionnement que, en effet, la digestion dans l’estomac est non seulement de nature mécanique, mais également de nature chimique.
D’autres furent intrigués par l’installation de Wim DELVOYE qui imite la digestion. Elle est composée de six cloches de verre reliées par des tuyaux et des pompes et contenant des enzymes et des bactéries. L’ensemble est géré par ordinateur et maintenu à la température corporelle. Des aliments y transitent pendant vingt-sept heures et il en résulte des déjections qui sortent à l’autre extrémité. Il leur est demandé d’en faire non une critique artistique ou philosophique, mais biologique.
Parmi les participants, certains réalisent bien qu’il manque quelque chose, mais quoi ? Et où ? L’obstacle à franchir est bien là… Une discussion passionnée s’engage : « Pourquoi mangeons-nous si tout ressort finalement ? » « Comment l’énergie parvient-elle à nos cellules ? »… Tandis que ceux-ci s’informent dans des livres et manuels, d’autres, connaissant la réponse, schématisent le processus manquant sur un panneau. Un nouvel échange s’engage au cours duquel les mots « absorption intestinale », « nutriments », « passage dans le sang » sont prononcés. L’obstacle semble donc surmonté !
Mais comment permettre aux enfants de comprendre ce phénomène invisible, car il a lieu au niveau de la paroi de notre intestin grêle ? Comment modéliser ce qui s’y passe et bousculer la représentation des enfants d’un tube digestif « simple tunnel qui transforme les tartines, les carottes et le chocolat en excréments » ?
Des smarties modélisants
Ils se sont alors aidés d’un matériel hétéroclite afin de modéliser comment des aliments contenus dans le tube digestif peuvent se retrouver dans le sang : des smarties (ce sont les aliments), un filtre à café, un entonnoir, un berlin, de l’eau, du colorant alimentaire rouge. Certains versent de l’eau dans le berlin et la colorent en rouge pour imiter le sang. D’autres aspergent les smarties d’eau (= les sucs digestifs) et les écrasent. Ils étalent ce mélange sur le filtre posé sur l’entonnoir et tiennent l’entonnoir au-dessus du berlin. Ils versent un peu d’eau sur le mélange et nous expliquent : « L’entonnoir et le filtre représentent la paroi de l’intestin grêle. Les aliments figurés par les smarties ont été digérés lors de leur parcours dans l’estomac et le début de l’intestin grêle, ils sont donc décomposés… Nous ajoutons un peu d’eau pour montrer que la digestion chimique se termine ici et nous observons que du liquide coloré par les smarties traverse le filtre et tombe dans le berlin… »
Ils présentent alors leur schéma d’une portion de la paroi intestinale bien irriguée et expliquent : « De la même façon, les nutriments résultants de la digestion traversent la paroi de l’intestin grêle et passent dans le sang circulant dans les capillaires situés juste sous la couche de cellules qui bordent l’intestin. C’est ce qu’on appelle l’absorption intestinale. »
Ils reviennent alors à la situation-problème et affirment que le dispositif exposé par Wim DELVOYE passe sous silence ce processus essentiel, ce qui entretient la vision du tube sans grand intérêt pour le corps… alors que lorsqu’on lui ajoute l’absorption intestinale, la digestion prend tout son sens…
Les autres situations-problèmes s’intéressaient à la surface d’échange de l’intestin grêle, aux trajets des liquides et des solides dans notre corps et au fait qu’un bébé boit du lait alors qu’il fabrique du muscle… (voir à ce sujet la banque de situations-problèmes de DE VECCHI référencée en notes).
La résolution de l’ensemble de ces situations-problèmes a permis aux participants de l’atelier de mieux comprendre les rôles de la digestion. Suite à cela, on aurait pu affirmer ensemble haut et fort : « Digérons, digérons, il en restera toujours quelque chose ! »
Sources :
— R. TAVERNIER, Enseigner la biologie et la géologie à l’école élémentaire, Bordas, 1992.
— http://art.and.facts.site.free.fr/Site/10insolites/cloaca.html.
— Gérard DE VECCHI, Une banque de situations-problèmes tous niveaux, Hachette Éducation, 2004.
— Ch. VAN DEN EYNDE, F. SANGLARD et R. LUTTERS, Travail de groupe à propos de la situation-problème partant de l’expérience de REAUMUR, ISPG année académique 2008–09.