Dimitri, le pouvoir des fleurs

Etre le maître mais ne pas se prendre pour le maître, un bon terreau pour laisser pousser toutes les plantes.

Dimitri est un garçon âgé de 8 ans lorsqu’il entre dans ma classe en septembre 1997. Il est l’ainé d’une fratrie de quatre enfants. Ses parents sont connus des services sociaux, ne travaillent pas, et font les grosses poubelles une fois par mois jusque quatre heures du matin avec Dimitri dans le quartier est de Roubaix. Il est en très grosse difficulté, suivi par de nombreux réseaux d’aide extérieurs et internes à l’école. C’est pour cela qu’il est orienté dans une classe d’intégration, à petit effectif – 12 élèves maximum.

C’est un enfant qui a du caractère. Il ne se laisse pas faire. Les élèves de sa classe le savent et en jouent, se moquant de ses réactions – excessives, grossières, décalées pour un enfant de son âge. Il prend rapidement une place de souffre-douleur dans le groupe classe. Il n’entre pas dans les apprentissages. Pourtant il témoigne de réelles capacités de raisonnement à l’oral lors des moments de paroles et de décision. Son comportement violent, provocateur, m’entrainerait vite à adopter une relation identique à celle du groupe classe et à en faire mon souffre-douleur. Tout serait tellement plus facile, tout rentrerait dans un ordre des choses….

Le géranium à l’appui

Dans la classe, mon prédécesseur m’a laissé des plantes, des géraniums en jardinières disposées sur le rebord intérieur des fenêtres. Lors des premiers conseils des métiers, Dimitri se propose de faire métier – plante. Pas d’avis contre de la classe. Il commence son métier sérieusement, chaque matin. Il s’équipe, trouve un arrosoir, une bouteille et pose ses objets dans un endroit de la classe. Les semaines passent et les plantes poussent. Arrosées tous les jours, elles ne tardent pas à être noyées. Dimitri continue pourtant et s’écrie un jour : ” Elles crèvent !

Je suis inquiet. Trop content de le voir calme, presque heureux tous les matins, je n’ai pas osé le lui dire. Au conseil, à l’ordre du jour des métiers, Dimitri s’inscrit : ” C’est pas grave pour les plantes, j’vais en ramener d’autres. Mes parents y sont riches, au marché, on va acheter “.

Quelques jours plus tard, au quoi de neuf du lundi, il ramène un pot avec une plante, s’inscrit, et montre son objet, très fier. Il installe sa plante à côté de la plante crevée. Puis il décide lors du conseil suivant, de changer de métier. Discussion : qui va faire métier – plante avec sa plante ? Il est d’accord d’offrir sa plante à la classe, en accompagnant au début le futur élu pour faire ce métier, ce qui fut dit fut fait.

Avant de faire son métier, il n’y a pas grand chose qui pousse pour Dimitri, ça ne prend pas, ça n’apprend pas. Sur quoi ou sur qui peut-il prendre appui pour vivre autrement que ce qu’il connait déjà, entre s’exclure et se faire exclure ? Il choisit de prendre en main un métier dans la classe et décide de se prendre en main pour remplacer les plantes crevées. Ce métier participe à rendre le cadre qui le fait tant souffrir à être plus agréable, à rendre sa classe plus jolie et accueillante. Il passe le relai à un autre, se sépare de sa plante. Il renonce à sa place pour la laisser vacante. En se prenant pour le responsable d’une plante, il a pu créer du lien, lui l’exclu.

Arroser mais pas trop

Le maitre n’intervient pas pour stopper l’arrosage et expliquer son erreur, débordé par le démarrage de sa classe institutionnelle. Une situation concrète d’appropriation de la démarche scientifique vient de lui échapper. La conséquence affective d’une connaissance en biologie sur les différents facteurs de croissance d’un organisme vivant du règne végétal aurait pu éviter l’échec. L’élève n’est pas en réussite…. Il n’est pas encore un bon maitre. Il ne s’est pas pris pour un maitre, trop heureux de voir germer de ce gamin des quartiers sinistrés de Roubaix autre chose que la violence. Il a tenté de saisir ses moments très courts, précieux pour ne pas glisser dans une haine envers ce sale morveux ! Tous les matins, durant ces premiers mois de classe, il avait rendez-vous avec un autre Dimitri, autre chose que le bolide… et chaque matin, il s’autorisait à penser qu’après tout, tout n’est pas perdu.

Si Dimitri vient à l’école rien que pour s’occuper d’une plante, il s’occupera un jour d’autre chose. Il s’occupera même d’apprentissage…. C’est un peu cela le pouvoir des fleurs.