« Les fractions, c’est difficile, je n’y comprends rien ! » disent souvent les élèves.
Dans ma classe de 5e primaire, j’étais chaque année confrontée à une compréhension superficielle des fractions. La majorité des élèves appliquaient ce qu’ils avaient « appris », mais en creusant, je me rendais compte qu’ils n’avaient pas compris.
On nous parle de différenciation, d’erreur comme source d’apprentissage, de socioconstruction des savoirs… Mais je ne sais pas toujours comment mettre tout cela en pratique dans ma classe. En mathématiques, je me contente parfois d’apprendre aux élèves à exécuter des calculs sans trop travailler le sens. J’ai participé à un atelier[1]RPé 2011. de trois jours « Sur le terrain des fractions ! » où j’ai vécu des activités d’apprentissage[2] Oser les fractions dans tous les sens, guide méthodologique et documents reproductibles — 5/12 ans, M. de Terwangne, C. Hauchart et F. Lucas,
De Boeck, 2007. autour des fractions. Depuis j’ai changé ma pratique : on fait et on se parle de ce que l’on a découvert en faisant, des questions qui ont émergé.
Chaque élève reçoit les pièces prédécoupées d’un des 6 puzzles proposés et une feuille A4 qui représente une unité. L’activité se déroule en trois temps :
– Reconstituer le puzzle ;
– Rechercher un nom de fraction pour chaque pièce du puzzle ;
– Vérifier les noms de fractions choisis.
À la fin de chaque séquence, nous posons un regard sur nos démarches et nous partageons nos découvertes, impressions et questionnements. Chacun garde une trace de ce que l’activité lui a appris. En parlant de trace, je trouve intéressant de travailler sans gomme pour se souvenir de ses erreurs.
Chacun a la même tâche, mais il y a 6 puzzles avec des niveaux de difficulté différents. On travaille avec les familles de fraction. L’enseignant peut être là où il doit être et ne laisse personne désespérer. Plusieurs enfants travaillent sur le même puzzle, il faut éviter qu’ils soient assis l’un à côté de l’autre, car pour commencer, chacun cherche seul. Après 5 minutes, ceux qui ont des trouvailles les partagent. En cours d’activité, quand un enfant peine, j’incite au co-pillage : aller voir comment les autres font pour se relancer.
Au terme de cette activité, déjà des constats :
– « Avec les formes, on peut en mettre 2 ensemble, par exemple 2 triangles et en faire un carré ou un rectangle plus facile à placer. »
– « Moi, je place d’abord les grandes formes au début, c’est plus facile. »
– « J’ai essayé de faire d’abord le contour, mais ça coince vite. Il faut alors trouver une autre façon de faire. »
– « Il y a souvent plusieurs possibilités pour faire le puzzle. On peut déplacer des formes. Ça veut dire qu’elles prennent la même place. »
Les pièces du puzzle ont été collées. « Quel nom de morceau connaissez-vous ? » Les premiers termes de fractions émergent facilement : la moitié, le quart, le tiers… On se rappelle comment on écrit cela en lettres et en symboles mathématiques.
« Et les autres morceaux ? » Un temps individuel pour chercher, en comparant les pièces ou en les déplaçant.
Les enfants qui ont un même puzzle se réunissent ensuite pour comparer les noms qu’ils ont donnés aux formes. Un élève dit qu’un quart s’appelle comme ça parce qu’il rentre en tout 4 fois dans l’entier. Certains lancent des noms tels que 3/2 et d’autres réagissent : « C’est impossible, tu parles d’un morceau, donc il doit s’appeler 1 quelque chose… Compte combien de fois il entre dans ta feuille ? » Certains nomment des pièces en en prenant une autre comme référence et non plus l’entier.
Les sous-groupes présentent leur travail et pointent éventuellement un désaccord tenace.
La mise en commun est riche :
– « Pour certaines pièces, c’est facile de compter combien de fois elles rentrent, mais pour d’autres, c’est plus compliqué. Il faut les transformer dans sa tête en une autre forme en la coupant à un endroit. »
– « Mais moi, je ne suis pas d’accord qu’un carré 1/32 et un triangle 1/32 portent le même nom. Ils sont différents ! »
– « Ce n’est pas la forme qui décide du nom, c’est la place que le morceau prend. Si 2 mêmes rectangles prennent la même place que 2 mêmes triangles, ils occupent la même place, donc ils portent le même nom. »
– « D’ailleurs, regarde, si tu découpes cette pointe de triangle et que tu la tournes dans le trou, tu obtiens le rectangle. »
– « Maintenant je comprends que 1/12 est plus petit que 1/6, car on coupe en plus de morceaux. Les morceaux sont donc plus petits. Ça fonctionne à l’envers d’habitude. »
– « Dans les fractions, le plus grand, c’est le plus petit. » « Non, ce n’est pas vrai… Tu dois dire dénominateur ! » « Oui, mais du coup, ce que je pensais avant, maintenant je sais que c’est faux. Avant, pour moi, 1/6 + 1/6 = 2/12. Ce n’est carrément pas possible que 2 plus grands morceaux mis ensemble donnent 2 plus petits morceaux. Il faut réfléchir autrement. Il faut le voir. »
– « Aujourd’hui, j’ai appris que si on fait une fraction plus la même fraction, c’est comme si on divisait en 2 :. 1/6 + 1/6 = 2/6, mais en fait ça prend la même place que 1/3. »
– « Et puis, moi, je ne savais pas qu’on pouvait mélanger des fractions qui n’ont pas le même dénominateur. »
– « Moi, je comprends mieux depuis que chacun dit ce qu’il a compris. »
Le support puzzle favorise la visualisation des équivalences.
Les enfants établissent des constances : 1/2 + 1/2 = 1, 1/4 + 1/4 = 1/2, 1/32 + 1/32 = 1/16…
Ils regroupent les fractions qui portent le même nom et petit à petit, arrivent à l’unité.
Le tableau est rempli d’un calcul paraissant si compliqué !
Nous répétons la vérification en collectif pour les premiers puzzles. Ensuite, chacun se lance seul avec ses propres groupements et son organisation écrite pour les autres puzzles.
Dans les échanges, on voit les liens avec d’autres apprentissages et le sens qui s’est construit :
– « En vérifiant, on peut l’écrire sous forme d’arbre comme on faisait en 2e année. »
– « Ou alors, on fait des lignes de calculs de plus en plus simples pour finir par atteindre l’unité. »
– « C’est surement pour ça d’ailleurs qu’on appelle cela la simplification de fractions. »
– « Les tables de multiplication nous ont bien servi. »
– « Les fractions ne fonctionnent pas comme les nombres entiers. »
– « Au début de l’année, on aurait vu ça au tableau, on aurait eu peur, on n’aurait rien compris et là, après avoir travaillé tous les jours en disant ce qu’on a découvert, c’est tout facile ! »