Diverger

Dans ma classe, les enfants ont dix et onze ans. C’est une classe double niveau en milieu rural dans le sud Luxembourg. L’esprit critique est inscrit dans notre projet d’établissement. C’est vendeur, mais au cœur des questions des enfants, pas toujours facile de ne pas donner son avis et de faire évoluer leur pensée.

Nous sommes abonnés au Journal Des Enfants. Il y a quelques mois, un article expliquant que la Turquie allait ouvrir ses frontières vers la Grèce a suscité beaucoup de questions des élèves. L’envie d’en parler et d’en savoir plus s’est vite fait ressentir. J’ai commencé par ouvrir un temps d’apprentissage pour éclaircir l’information. Où se situent la Grèce et la Turquie, qu’est-ce qu’une frontière, qui appelle-t-on migrants ? Ensuite, un temps de parole a été consacré au dépôt du ressenti, mais aussi à leurs questions : pourquoi prennent-ils tant de risques pour quitter leur pays d’origine, pourquoi dans certains pays il n’y a pas de frontière et dans d’autres oui ? À la fin de la discussion, les élèves donnent leur avis : « Moi, je comprends les Turcs » ; « Moi, je trouve que les Grecs sont durs » ; « Pourquoi tu dis qu’on a une part de responsabilité ? » ; « Pourquoi ils ne discutent pas ensemble ? »

« S’initier à l’esprit critique dans nos pratiques avec la recherche d’informations divergentes. »

Une évidence me vient rapidement à l’esprit. Comme toujours, rien n’est binaire, il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Il y a tellement de paramètres pour comprendre tous ces enjeux et je ne suis même pas certaine de les maitriser moi-même. Mais le but, c’est quand même de leur apprendre à nuancer et à confronter leurs interprétations. Comment ? Que faire de toutes ces questions, ces réflexions ?

Infos divergentes

Une autre manière de s’initier à l’esprit critique dans nos pratiques est la recherche d’informations divergentes. Dans notre école, une large place est accordée aux recherches en tout genre et notamment à la présentation de travaux divers. Dès la deuxième primaire, les enfants sont invités à préparer en classe des petits exposés. La présentation d’informations contradictoires est une consigne centrale dès le départ. Chez les plus jeunes, ils commencent souvent par des recherches sur les animaux. Nous avons la chance d’avoir une bibliothèque bien fournie et donc l’opportunité pour chaque enfant d’avoir au moins deux ouvrages sur le même animal. Les premières infos trouvées tournent souvent autour de la taille et du poids de l’animal. Les enfants prennent cette recherche comme un défi amusant et, petit à petit, cela devient naturel de l’insérer dans les exposés. En fin de sixième primaire, les enfants présentent un chef-d’œuvre pédagogique. Une part est consacrée à l’explication des infos divergentes. Parfois, ce sont de simples chiffres qui parlent d’eux-mêmes, mais parfois, l’info donne à réfléchir. Exemple avec un chef-d’œuvre sur le thème du nucléaire : « Un livre dit que Hiroshima a fait 70 000 victimes alors que dans mon encyclopédie il est écrit 140 000, c’est beaucoup quand même comme différence alors j’ai cherché pourquoi et en fait, c’est les États-Unis qui disent le moins de victimes et les Japonais le plus ». En préparant cette consigne, l’enfant aura discuté avec plusieurs personnes pour comprendre pourquoi les États-Unis constataient moins de victimes que les Japonais. « C’est comme aux manifestations, les organisateurs disent toujours qu’ils sont plus », dira-t-il.

Déballer

Dernièrement, toujours avec les plus grands, nous nous sommes mis à regarder régulièrement le Journal Arte Junior. Après cette séquence qui dure six minutes, je prévois une dizaine de minutes pour décanter l’info. Il y a des questions, mais aussi des réflexions diverses en fonction des sujets évoqués. Un enfant m’a fait remarquer qu’en répondant à certaines questions je m’éloignais du sujet et que ça partait dans tous les sens. Sic. Il avait raison. J’ai tendance à m’emballer sur des sujets de société et à donner mon avis. J’ai donc proposé à cet enfant de créer une nouvelle responsabilité. Celle de mener le débat après la diffusion du journal. En discutant de cette responsabilité, nous avons décidé que le responsable ouvrirait et fermerait le temps débat, donnerait la parole équitablement et qu’il s’assurerait du suivi des conversations. Par exemple, un enfant a entendu dire qu’une éolienne produisait moins d’énergie qu’il n’en fallait pour sa fabrication. Il est chargé de vérifier l’info lors des moments de travaux autonomes. Le responsable s’assurera qu’il a bien fait sa mission.