Du cocon à l’autonomie

Je suis dans ma chambre qui ne le sera bientôt plus. Je remplis des caisses. Je trie : « ça j’emmène, ça, je laisse ». Et je chante… Je m’en vais.

Je quitte la cage dorée, la maison douillette de l’enfance, la sécurité. Je quitte les peurs de ma mère pour sa petite fille. Je quitte Uccle, et mon adolescence trainée dans une école « huppée », où je me sentais décalée, et seule… Je m’en vais.

Je m’en vais vers une « maison bleue », pas vraiment adossée à la colline, pas vraiment ouverte à tous les vents non plus… Une maison en plein cœur de Bruxelles, à Saint-Josse. J’y suis attendue par quatre personnes désireuses de partager là un entredeux. Étant en période de stage, je suis juste entre les deux : un pied encore à l’unif, un pied dans un centre PMS. Avant cela, il y a eu quatre années de vie étudiante, en kot, déjà un pied hors de la maison, et des expériences de vie communautaire… Pourtant, je sens que ce nouveau départ est différent, plus définitif, il correspond aussi à un choix personnel. Choix d’un quartier et choix d’un projet de vie communautaire, ancrée dans ce quartier. Un choix… parmi d’autres possibles. Parce qu’il y a d’autres possibles pour moi, je peux faire un choix. Et, ce choix au début d’une vie adulte n’est pas anodin.

Ma voix

La vie communautaire se structure autour de différents temps de réunion. Et c’est la découverte de la confrontation, de la négociation, des réflexions autour des décisions multiples que suppose la vie ensemble.

Ces réunions, régulières, concernent la vie dans la maison : la répartition des tâches, l’aménagement de la vie pendant les périodes de blocus, la confrontation des différents régimes et habitudes alimentaires. Et puis, la gestion des départs et des arrivées. L’accueil de nouveaux « locataires » : quelle procédure mettre en place, quels critères pour accepter ou refuser l’entrée de quelqu’un dans la maison ? Quelqu’un qui ne resterait que trois mois, on accepte ? On refuse ? Les visions se choquent, les arguments se construisent au fil des discussions, des voix différentes s’expriment, avant de décider… Et parmi ces voix, la mienne… J’ai donc une place dans les débats… mais pas toute la place. Je découvre à travers ces expériences ma capacité à interpeler, à proposer, à prendre des responsabilités. Je découvre qu’on peut compter sur moi.

Un quartier, des parcours

Notre vie communautaire se veut ancrée dans le quartier. Alors, nous cherchons ensemble à mettre des mots sur ce projet, puis, nous tentons ensemble de concrétiser ces mots. Et, là encore, là surtout, des divergences importantes apparaissent. Derrière ce qui ressemblait à une évidence, se cachent des représentations très différentes… Je croyais que cette dimension d’une participation à la vie d’un quartier populaire nous rapprochait, je découvre qu’elle nous divise. Je pensais que nous avions tous choisi de vivre là… Ce n’est pas le cas. Ce qui est pour moi désir de rencontre est pour d’autres sources de stress ou de déplaisir. Les parcours qui nous ont menés à habiter cette maison sont différents. L’un vient de la campagne et pour lui vivre en ville est un défi en soi, un autre a grandi dans le quartier, et pour lui, loger des sans-abris à la maison va de soi -pas nécessaire de demander l’avis des autres-, un autre encore est là d’abord pour ne pas habiter seul et désireux surtout de temps de convivialité…

Ce qui nous est commun, par contre, c’est la volonté d’en parler et de trouver ensemble comment vivre ces différences, sans léser personne ; comment aider chacun à poursuivre son parcours. Quelles sont les ressources et aussi quelles sont les limites de ce que la communauté peut offrir ? Comment construire un projet dans lequel chacun puisse trouver une place, pas toute la place ? Quel est le plus petit commun dénominateur, ce qui fera que « nous » serons ? Pas simple et très formateur !

Un temps de parole

Il y a aussi des temps d’échange, le temps d’une parole plus personnelle. Chaque soir, pour qui le souhaite… Là, plus de discussion, une écoute de chacun ; de ce que chacun a vécu de fort, de difficile dans sa journée. Un temps qui permet de retrouver du souffle, de tisser jour après jour le fil d’une vie et d’un projet personnel, pour chacun. L’écoute des autres conforte, aide à se trouver. Nous sommes entre personnes qui cherchent. Et, partager nos questions, nos rêves, nos projets, nous interpeler et nous encourager est stimulant ; cela aide à se construire.

Au sortir de ces deux années de vie communautaire, je déciderai de rester dans le quartier, d’y habiter seule. Je me sens plus forte pour faire des choix, pour traverser des expériences professionnelles en osant me remettre en question, refuser un emploi, m’engager.