Du remue-ménage au remue-méninges

7e Professionnelle : un espace à la rencontre des besoins

Un jeune pour exister, se mettre en apprentissage et devenir un sujet adulte capable d’assumer son rôle citoyen a besoin, comme le tout petit enfant, d’appartenance, de sécurité physique et affective, de points de repère et d’être reconnu dans ce qu’il vit.

La 7e PC (7e Professionnelle formation Commune) est une année accessible aux jeunes ayant réussi une 6e année dans l’enseignement professionnel et qui n’ont pas nécessairement envie de travailler dans le secteur de leur qualification professionnelle. Certains regrettent de n’avoir pas de CESS, ce qui leur barre l’accès aux études supérieures. D’autres réalisent à quel point ils ont été mal ou trop précocement orientés. Tous sont en souffrance vis-à-vis de l’école et entrent en 7e PC avec un dernier espoir de rattrapage d’un cursus scolaire manqué !

Grille horaire et travail en duo

L’originalité de la 7e PC est multiple et je ne mentionnerai ici que deux cours fort impliquants et leur animation en duo par deux professeurs.

La grille horaire des 7e PC inclut 6 heures de GOPP (Gestion et Opérationnalisation du Projet Personnel) et 3 heures de Communication.

Au travers de cet espace-temps de 9 heures semaine, les jeunes se coltinent à un travail d’approfondissement de la connaissance d’eux-mêmes, d’exploration de leur passé, d’expression en « je » au sein d’un « nous », de gestion de leurs émotions, de mises au défi intellectuel, de confrontation au monde du travail, d’émergence de leurs projets de jeunes adultes,…

Le travail en duo est un choix inspiré par les profils de formation et de personnalité des deux professeurs concernés. Il nous a semblé riche, complémentaire et pertinent de partager activement nos compétences en communication, psychologie, gestion de projets et analyse transactionnelle. Nous sommes donc présentes ensemble dans la classe 9 heures par semaine pour animer de multiples combinaisons de travail.

Nous investissons successivement des activités collectives de cohésion du groupe, de méta-communication et de pratique théorisée ainsi que des supervisions individuelles.

Nous savons qu’avant de pouvoir s’autonomiser, il faut appartenir à un groupe qui offre en échange une chose très importante : une identité. Je reçois de l’autre une « re-co-naissance ». Je ne peux exister que dans la mesure où je provoque chez l’autre une émotion.

Caractéristiques de notre espace

Tout ce travail, très peu « scolaire », ne pourrait se réaliser sans l’appropriation et l’aménagement d’un espace personnalisé et protégé. Notre espace comprend :
– Deux locaux contigus, la classe et la pièce plus conviviale pour les cercles de discussion, les pauses, les rendez-vous individuels et les repas.
– Une double porte qui les sépare et qui répond quand nécessaire aux besoins d’ouverture ou d’intimité.
– La possibilité de décorer et de meubler le lieu avec les apports du groupe. Au fil des 5 années d’existence de notre projet, chaque groupe a apporté sa contribution par la peinture des murs, l’ajout de rideaux, la cotisation pour un micro-ondes, l’apport d’un frigo, d’une radiocassette,…
– Un mobilier pédagogique peu sophistiqué mais en bon état permettant une utilisation inventive en fonction des besoins du groupe. Les chaises et les bancs sont empilables afin de ne pas s’encombrer en permanence et aussi pour accueillir confortablement des partenaires extérieurs.
– Des casiers de rangement nominatifs et très investis.
– Une armoire pour les ouvrages à consulter sur place contenant également une base de papeterie collective bien nécessaire pour certains jeunes qui, hormis leur GSM, arrivent systématiquement les mains vides.
– Un point d’eau permettant l’organisation du coin convivial où l’on se retrouve pour boire, rire, manger et… faire la vaisselle !

Deux rituels de lancement

  1. La brocante de rentrée pour lancer l’année.
    Début septembre, afin de faire concrètement sentir aux jeunes qu’une appropriation personnelle de l’espace-classe est envisageable, nous démontons les traces de vie de l’année précédente pour mettre pêle-mêle au centre de la classe tout le mobilier et matériel dont nous disposons.

    La consigne est de choisir si l’on garde ou si l’on se débarrasse de chacun des objets du passé.

    La surprise et le plaisir sont au rendez-vous et nous sommes chaque fois étonnées qu’un même objet puisse, à la rentrée, trouver une nouvelle place à laquelle nous n’avions jamais pensé.

    Dès ce moment, le groupe commence à marquer son territoire et ce sentiment d’appartenance continuera à être encouragé par notre souci de laisser des traces visibles de la vie commune : affichage de photos du groupe, de panneaux d’écriture collective, réalisation de maquettes, mise en évidence de la mascotte du groupe.
  2. Le cercle d’accueil du lundi matin pour lancer la semaine.

    Nous disposons en cercle le nombre total de chaises correspondant aux membres du groupe. La place de chacun est bien respectée puisque représentée par sa chaise que celle-ci soit occupée ou vide !

    Quant aux besoins de sécurité affective et de protection, des règles strictes de respect de la parole de chacun sont d’emblée annoncées et mises en pratique. Grâce au cours théorico-pratique de communication, on apprend à décoder, reconnaitre, modifier nos habituelles façons de dire ou d’écouter.

    Petit à petit, dans ce climat sécurisant et nourricier, chaque jeune apprend à se centrer, à prendre la parole à son tour, à exprimer ses émotions, à écouter les mots entrecoupés de silence de l’autre qui lui aussi cherche à se dire.

Attention : chantiers !

Cassandre : « Se mettre en cercle, c’est vraiment partager. »

Stéphanie : « Quand on entre ici, on peut encore bouger ; ce n’est pas comme dans les années précédentes ! »

Rachid : « Ici, on se sent chez soi. »

Et Joana d’ajouter : « D’ailleurs, quand ça sonne, on ne part pas directement, on est aussi bien ici que dehors. »

Marianne, professeur de communication : « Cet espace plus intime permet de montrer toutes les facettes de soi, comme à la maison, à la fois ange et démon ! Dans la cuisine, on peut trouver toutes sortes de nourritures, à la fois alimentaires et spirituelles. Le moment de la vaisselle sert à laver et pourquoi pas à se laver de ses anciennes habitudes ! »

Quand j’observe le « joyeux bordel » qui règne et évolue chaque jour dans ma classe, je me demande si cet investissement de l’espace n’est pas une occasion extraordinaire de remettre en chantier nos jardins intérieurs ?

Quand Joana affirme : « La 7e PC est l’occasion d’organiser les choses dans mon esprit, de mettre de l’ordre dans ma tête », n’est-elle pas en train de passer du remue-ménage au remue-méninges ?

Dans quelle mesure, ce travail sur l’espace ne contribue-t-il pas à établir une condition de départ pour tout nouvel apprentissage, digne de ce nom, à la fois déstabilisant, bousculant, toujours risqué et qui ne laisse jamais indemne celui ou celle qui a osé faire le pas ?