Nouvelle école, nouvelle équipe. J’arrive en tant que petite nouvelle alors que je suis la plus âgée. Je vais travailler, comme depuis de nombreuses années, avec des élèves du différencié. Je propose un projet : construire des kamishibaïs.
Ce sont de beaux coffrets en bois et lorsqu’on ouvre le volet supérieur et les rabats latéraux se forme un petit théâtre. On y introduit des planches A3 avec des illustrations et au verso, il y a le texte.
Durant les vacances, j’en ai vu dans une grande surface dédiée aux livres. Trop chers… j’ai soupesé cette petite merveille, j’ai caressé son vernis. Je me suis dit que ce serait un bel outil pour la classe. Même si mes élèves sont au début du secondaire, je suis sure qu’ils se laisseront prendre par la magie des histoires et des images. Et si le castelet n’est pas donné, chaque histoire coute aussi son petit pesant d’or.
Lors d’un midi, j’avance l’idée de construire des kamishibaïs en carton avec les élèves. Yannick, mon collègue prof de math, est directement partant et il me dit : « Il faut mettre Max sur le coup. Avec son cours de techno, tu verras, il va nous aider ! »
« En carton ? » On dirait presque que je viens de l’insulter. « Pas question, me répond Max, en bois ! J’ai encore de superbes planches en bouleau stratifié d’une épaisseur de 0,5 cm, elles seront parfaites et puis ça me botte bien de travailler sur ce projet avec les élèves. »
Nous nous fixons une réunion de travail pour cibler les compétences et pour nous répartir le travail. Je dois introduire le projet, je me propose pour aller chercher un exemplaire de butaï (castelet) qui nous servira de modèle.
En mathématiques, il faudra relever les dimensions des différentes pièces qui le composent, mesurer les angles et faire des gabarits dont les élèves se serviront au cours de technologie. On embrigade Sebastian aussi qui va faire des illustrations à partir de petites histoires extraites du livre Demain entre tes mains de Cyril Dion. Dans le cadre d’une rencontre avec l’auteur qui se tiendra un mois plus tard, nous avons reçu un exemplaire.
Le mot Kamishibaï est écrit au centre du tableau et j’invite les élèves à dire ce que ce mot japonais évoque pour eux, le sens qu’il pourrait avoir. Je note leurs idées au fur et à mesure.
Je sors ensuite le butaï que j’ai emprunté au Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles. Avec cérémonial, je l’ouvre et je commence à raconter la première histoire : « Jao, le caméléon, vit dans la forêt tropicale de Madagascar. Il se désespère de ne pas avoir une couleur à lui. Il a pourtant tout essayé. De la poudre de lune, l’or des rayons du soleil, la couleur de l’eau claire qui coule dans les rivières. Mais la lune s’est enfuie, le soleil l’a brulée et l’eau s’est évaporée. Un énorme chagrin l’envahit. Ses larmes coulent, roulent, glissent jusqu’à la cachette du sage lémurien… »
Ils en redemandent. Je pressentais qu’ils accrocheraient et leur réaction me conforte. Entre le moment où je conçois les choses et que j’y crois dur comme fer et le moment où je les mets en pratique, je suis toujours assaillie de doutes !
Je voulais faire découvrir le Japon aux élèves, leur faire comprendre pourquoi ce théâtre de rue était né, à quelle époque il avait vu le jour. Je suis partie de l’album Le bonhomme kamishibai, d’Allen Say.
J’ai réparti les jeunes en binômes et chaque duo a reçu un jeu de vingt images extraites du livre que j’avais photocopiées en couleur et plastifiées. Les illustrations sont étalées sur le bureau. Je commence à lire l’histoire. Les élèves doivent écouter et regarder les dessins. Après cette première audition, je leur demande de les classer dans l’ordre chronologique.
Une deuxième lecture leur est proposée pour qu’ils puissent opérer des changements.
Discussion intergroupe. Le texte est un peu résistant. Au milieu de l’histoire, il y a un flashback et on voit le vieux monsieur du début jeune homme. De plus, la première image et la dernière se ressemblent beaucoup, mais sur la première, la cabane du vieux couple est rudimentaire et sur la dernière, il y a une télévision et une lampe.
Après ces échanges, une dernière lecture de vérification. Dans l’ensemble, ils se sont pas mal débrouillés. Je leur propose un questionnaire court, avec quelques choix multiples et des vrai ou faux. Bonne compréhension pour tout le monde.
Le lendemain, je redistribue les images. J’invite les élèves, individuellement, à les reclasser et ensuite à raconter l’histoire au groupe.
J’ai parfois peur de lasser mes élèves lorsque je reviens sur quelque chose de déjà vu ou fait, mais, ici, leur plaisir de refaire et d’y arriver seul dépasse les quelques râleries de mise en route.
Pour faire les planches illustrées de nos kamishibaïs, nous sommes partis du livre de Cyril Dion et Pierre Rahbi. Je veux que les élèves puissent le découvrir, mais pas avec une lecture page à page ni avec une morale plaquée.
Je photocopie donc les illustrations de plusieurs récits. Je les dépose avec une feuille blanche sur les tables. Je demande aux élèves de circuler, bic en main, et d’écrire une petite phrase, quelques mots en lien avec le dessin : « On dirait… », « Ça me fait penser à… »
Ensuite, je distribue une illustration et la feuille avec les phrases, à chacun. Je leur demande d’écrire un texte court en utilisant les mots reçus. Il faut écrire ce que l’on voit et ce à quoi ça fait penser. On lit les productions en groupe.
J’étale ensuite les textes originaux extraits de l’album et je demande à chaque élève de retrouver celui écrit par Cyril Dion pour l’illustration qu’il avait reçue au départ. Je leur explique que l’auteur a soumis ses textes à plusieurs illustrateurs et que ceux-ci ont choisi celui qu’ils souhaitaient mettre en images. On compare nos productions avec celles de l’auteur. On cherche le fil conducteur du livre.
Après correction, les élèves recopient soigneusement leur texte. Comme j’avais fait la même activité avec un autre groupe, il y a la surprise de découvrir ce que les élèves de la classe d’à côté ont fait, à partir du même matériau et des mêmes consignes.
Nous aboutissons finalement à un joli recueil relié qui fera partie de notre patrimoine commun.