Compte-rendu d’une rencontre avec Hayat Bouharoux, Binta Dallo, Salimatou Diallo, Khadija Kihy et Saya Rafida. Chacune maman d’un ou de plusieurs enfants, tous inscrits dans la même école maternelle du quartier.
J’ai rendez-vous avec ces cinq mères au Gaffi, une association qu’elles fréquentent. On ne se connait pas. On ne maitrise pas la même langue. Mais l’école maternelle est un sujet qui nous rassemble. C’est dans le quartier derrière la gare du Nord, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est ce qu’on appelle un quartier défavorisé, avec un taux de chômage important, des logements modestes, pas d’espace vert, des trottoirs sales, à deux pas de la rue où les vitrines très éclairées restent allumées tard toutes les nuits.
« Les enfants reviennent trempés dès que le temps est à la pluie. »
Toutes les mamans ont choisi cette école, car elle est proche de leur domicile et qu’elles avaient de bons échos d’une belle-sœur ou d’une voisine. C’est pratique cette proximité.
Pour la plupart, l’entrée en maternelle, c’est aussi le premier départ du foyer familial. Seule Binta avait mis sa fille à la crèche où le cadre était beaucoup plus sécurisant pour elle, on s’y occupait mieux de sa fille. À la crèche, elle mangeait, tandis qu’à l’école, elle ne mange pas. Peut-être y a-t-il trop de bruit. Ce qui est certain, c’est qu’il y a trop d’enfants pour le nombre d’adultes, impossible d’être derrière chacune des petites bouches. Et le réfectoire n’est pas très joli.
Ah, si le réfectoire était mieux insonorisé et le personnel plus nombreux, les temps de midi seraient plus paisibles.
C’est la première chose dont les mamans me parlent. Les enfants reviennent trempés dès que le temps est à la pluie. Ils sont mouillés jusqu’aux genoux. Sayah a beau porter sa fille, le matin quand elle l’a conduit, aux récréations, elle n’est pas là pour la soulever au-dessus des flaques. Les chaussures sont abimées, les vêtements sont salis. C’est du travail en plus pour chacune des mères et des inquiétudes, car ce n’est pas idéal d’avoir les pieds mouillés toute la journée. Mais malgré les plaintes, rien ne change…
Ah, si la cour était refaite, ce serait plus agréable d’y jouer.
La cour pose problème. La salle de gymnastique aussi : « Il y a trop de poussière. Ma fille est allergique, ce n’est pas bon pour elle. » Les escaliers sont dangereux : « Ils sont petits et nombreux. J’ai peur qu’il y en ait un qui tombe quand je pense à ces escaliers. Ce n’est pas bien que les classes des petits soient si haut. »
Ah si les écoles étaient mieux construites et entretenues, ce serait plus facile pour les adultes d’y travailler et pour les enfants d’y apprendre.
Il y a beaucoup de problèmes avec les factures. Mais ces mères-là sont aux aguets. Elles tiennent leurs comptes et n’hésitent pas à aller au secrétariat pour rouspéter quand il y a des erreurs de montant ou parfois même de destinataires.
Ah, si l’école était gratuite, ce serait mieux.
Les mamans insistent, tout n’est pas mal, leurs enfants aiment aller à l’école. Des débuts parfois difficiles, avec les pleurs des matins qui passent après quelques jours, quand les enfants se sont habitués et qu’ils ont compris que leur mère ne lâcherait pas, qu’ils doivent aller à l’école tous les jours. C’est dur aussi les premières semaines pour les mamans, surtout pour le premier enfant, mais chacune est convaincue de l’importance de l’école et apprécie aussi le temps sans les enfants.
« À l’école, il y a des jouets, les amis. Ce n’est pas comme à la maison. Ils aiment bien aller à l’école. »
« À l’école, il y a des enfants qui parlent plein de langues différentes, ils sont obligés de parler français avec les amis. Ils apprennent aussi des mots en arabe, en anglais. » Elles rigolent.
Et il y a aussi les chansons qu’ils apprennent qui les aide pour le français. Les histoires que madame raconte. À l’école, ils apprennent beaucoup de choses. « Ma fille, elle m’a dit : tu sais maman, c’est grâce au cerveau qu’on pense. »
« En troisième maternelle, ils font beaucoup de choses pour se préparer au primaire : ils apprennent déjà à écrire. »
« Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie », disait Jean Oury. Ces mères seraient bien d’accord avec cette citation qu’on peut transposer pour les écoles. Les écoles, d’autant plus dans les quartiers défavorisés, devraient être des joyaux : belles, fonctionnelles et propres. Cela éliminerait une série de difficultés et de peurs liées aux infrastructures. Pour les élèves comme pour les enseignants, un cadre de travail soigné serait plus porteur.
Les mères sont préoccupées par des aspects matériels qui peuvent paraitre anodins par rapport aux questions pédagogiques, mais l’école a tout à y gagner de prendre ces considérations domestiques au sérieux.