École de devoirs… mais quels devoirs ?!

Les écoles de devoirs se sont multipliées en une vingtaine d’années. Des pa-rents, des enseignants, peut-être même des responsables dans l’organisation scolaire semblent compter sur elles pour réduire les échecs. Est-ce une attente légitime, réaliste ? Teresa BUTERA, responsable d’une association comprenant une école de devoirs partage avec nous son questionnement.

Au CASI-UO (Centre d’Action Sociale Italien-Université Ouvrière), la nécessité de créer une école de devoirs (EDD), il y a 40 ans, était liée à une volonté d’émancipation des conditions socioéconomiques et culturelles des travailleurs immigrés. Une de leurs difficultés était le parcours scolaire chaotique de leurs en-fants.

Se donner des outils

Analysant ce qui se passait, les membres du CASI-UO ont pris conscience du fait que l’école était révélatrice d’un fonctionnement de société, dont les rapports de domination et d’inégalité entre classes sociales. L’école, c’était l’école bourgeoise non pensée pour eux, avec eux.

L’intention du CASI-UO en créant son EDD était donc « d’aller contre l’école et les en-seignants », d’organiser les parents contre le système scolaire élitiste, de les rendre critiques, de mettre sur pied, pour eux et pour leurs enfants, des activités d’apprentissage non prévues dans les écoles.

C’est ainsi que l’EDD et l’Université Ouvrière des adultes fonctionnaient parallèlement. Les adultes apprenaient, par exemple par la lecture d’articles de journaux belges et italiens, à s’approprier des savoirs dans le domaine politique, économique, social, à partir de l’actualité. C’était aussi une façon de maitriser plus la langue et le langage et d’accéder à l’abstraction, ce qui est profondément libérateur. Ils faisaient aussi des enquêtes à propos de la population d’un quartier, d’une ville et en tirait des informa-tions, par exemple à propos de « la mortalité scolaire » élevée dans la population de l’immigration italienne.

Les enfants apprenaient, entre autres, l’histoire de l’immigration de leurs parents et organisaient avec eux des expositions de leurs dessins, mêlés aux photos. Les activi-tés théâtrales (dans la ligne du Théâtre de l’Opprimé de BOAL) et chorales allaient aus-si dans ce sens.

À l’EDD, avec enfants et parents, il ne s’agissait en tout cas ni d’occuper, ni de « rat-traper », mais de travailler à construire une conscience collective, à s’approprier des outils de compréhension du monde. Outils qui ne devaient pas servir à de la promotion uniquement individuelle, mais à se consolider ensemble pour faire avancer les luttes contre les exploitations et les diverses dominations de classes. Ce projet était politique, idéologique, plus que pédagogique. Il ne s’agissait pas d’assistance, mais de résis-tance.

Chercher la réussite et les pansements

Aujourd’hui la société, et donc l’école, ont fortement changé : perte de grands idéaux d’où changement dans les rapports aux institutions, à ce qui faisait autorité, règne de l’image, des technologies nouvelles, etc. Les approches et demandes des parents[1]Toujours parents de milieux populaires (chez qui les références « classe ouvrière » sont moins prégnantes que « public précaire », « allocataires sociaux », « demandeurs d’emploi ») et … Continue reading à propos de l’EDD, ont changé aussi.

D’abord « on parle beaucoup plus d’échec scolaire dans les médias, par exemple, et les parents sont plus alertés que les nôtres ne l’étaient », dit Teresa BUTERA. Mais l’alerte n’est pas spontanément un chemin vers une analyse critique du système et vers des envies de revendications. Non. Les parents sont pris dans le marché scolaire et dans le « shopping social. »

Ils sont influencés par ce qui se vit et se dit : les bonnes écoles, les mauvaises écoles, « les écoles avec voyous, ceux qui ne viennent pas pour apprendre, les écoles avec travail ». Ils sont de 2e ou 3e génération d’immigration. Pour leurs parents, c’était déjà très bien de simplement aller à l’école puisqu’ils n’y sont pas allés. Leurs enfants, au-jourd’hui parents, ont eu des parcours difficiles et ont « fait une petite école », comme ils disent. Ils veulent plus pour leurs propres enfants. Ils veulent « des écoles conve-nables », c’est-à-dire d’enseignement général et non pas fréquentées majoritairement par des jeunes d’une seule communauté d’origine. Ils font leur choix d’école et sont fiers de dire pour leurs enfants, dès les primaires : « Il est dans une école difficile. »

Comme ils ne savent pas trop que faire avec le difficile de l’école, ils se tournent vers les associations où sont organisées des EDD. Ils font là leur « shopping » en fonction de la somme plus ou moins élevée à payer pour l’inscription, en fonction de l’horaire, de la localisation ou d’autres éléments non explicités. Mais ils ne viennent pas en fonc-tion du projet de l’association. Au premier abord, il ne s’agit pas pour eux d’être en po-sition d’analyse critique de l’école et de chercher avec d’autres que faire. Ils considè-rent les EDD comme un service où on va panser et compenser tout ce qui ne va pas à l’école. Ils savent aussi qu’il existe aujourd’hui, plus qu’avant, des subsides pour les EDD et trouvent donc normal qu’on y prenne leur enfant et le fasse réussir à l’école.[2]Dans d’autres classes sociales les démarches sont sans doute du même ordre, mais encore plus individuelles et rendues possibles à coups de professeurs particuliers ou autres coachs payants.

« Je veux que mon enfant réussisse », c’est le projet (louable bien sûr) avec lequel les parents viennent à l’EDD. LE signe, c’est le beau bulletin. Si le bulletin est mauvais, les parents sont en crise. Ils le vivent comme un échec pour eux et les animateurs de l’EDD cherchent alors comment les soutenir.

Inscrire dans le collectif

Comme directrice actuelle du CASI-UO, Teresa BUTERA cherche toujours, avec ses collègues, à la fois comment maintenir l’orientation à l’origine de la création de l’EDD (qui relève d’ailleurs des axes de l’éducation permanente) et comment soutenir les parents tels qu’ils arrivent.
« Une de nos préoccupations au CASI est de voir comment lutter contre l’impression de fatalité et de culpabilité qui sont présentes chez les parents de milieux populaires dont les enfants ratent. Nous y allons en passant par divers types d’activités, qui ne concernent d’ailleurs pas seulement l’école. Il s’agit d’abord de se donner une identité collective, une solidarité de groupe ; celles-ci se construisent au fil des rencontres quo-tidiennes, mais surtout des moments festifs, des moments de formation, toujours con-çus à partir de questions qui se posent, de propositions qui se font. Les visites, sorties, conférences, films, suivis avec les parents aident à inscrire les questions individuelles dans une approche collective.
_ Pour ce qui concerne la compréhension du système scolaire, ils savent surtout qu’ “on ne s’occupe pas des faibles à l’école” (souvent leur enfant en fait partie), mais sans plus et avec quelques connotations affectives, du genre “l’institutrice ne l’aime pas”. Lors d’un moment d’analyse de l’école avec Nico HIRTT de l’association Appel pour une École démocratique, les parents ont été surpris de voir la proportion des inégalités liées aux positions socioéconomiques d’origine. Il y a eu là comme une déculpabilisa-tion, des prises de conscience, mais reste la question légitime : “Et quoi pour mon en-fant ?”
_ Nous cherchons avec eux comment tenir des postures communes, eux et nous les animateurs de l’EDD, par exemple quant à l’apprentissage de l’autonomie, ce qui peut rendre un enfant autonome plutôt que dépendant, quant à notre style de présence d’adultes : tenir sur des exigences, éviter de faire des enfants-rois ou des enfants qui ne seraient que victimes, s’intéresser aux activités auxquelles les enfants participent, même si nous n’en connaissons rien, ne pas laisser croire que l’essentiel pour l’école, c’est d’avoir une panoplie de matériel de dernière mode.

Nous essayons aussi de faire comprendre que le principal n’est pas toujours d’avoir terminé un devoir, mais qu’il a parfois été plus important d’aller revoir une matière ou-bliée afin que l’enfant soit autonome avec ce devoir (ce qui n’est pas toujours bien reçu par les enseignants). Nous veillons à ce que ces parents, souvent dé-missionnés par les écoles, puissent se considérer comme des partenaires plutôt que comme seule-ment porteurs de problèmes qui attendraient de trouver des solutions à l’EDD (ou même en payant encore un professeur supplémentaire ailleurs).

Pour les forces et le gout

Avec les enfants, nous tentons de faire grandir le même type d’esprit (les solidarités, le sens du collectif, la recherche pour comprendre). Nous sommes conscients que nous ne sommes pas l’école, que nous sommes simplement des accompagnateurs de for-mation et d’éducation.
Pour ce faire, nous souhaitons toujours soigner au moins deux pans de notre travail. D’une part, lors des devoirs, habituer les enfants et les adolescents à une méthode qui leur permette de se prendre en mains : ils doivent pouvoir dire ce qu’ils ont à faire, voir s’ils disposent du matériel nécessaire pour le faire, se donner un temps de travail, ac-cepter de revenir sur un travail.

D’autre part, en dehors des temps de devoirs (après 17h, le mercredi, le vendredi, pendant les congés scolaires), nous imaginons un maximum d’activités dans les-quelles les enfants peuvent utiliser, développer ce qu’ils ont appris à l’école et en voir mieux le sens. Et nous cherchons des thèmes de visites, de découvertes, de réalisa-tions qui puissent ouvrir et nourrir un gout d’apprendre. »

Du pédagogique et du politique

Ces chemins pris avec les parents et les enfants vont-ils réduire l’échec scolaire ? Pas d’emblée, pas obligatoirement, pas facilement.

Lorsque les animateurs de cette EDD du CASI entrent en contact avec des ensei-gnants dans les écoles des enfants, certains leur disent « Oui, mais vous avez la queue de la classe. » Ce qui se fait dans les écoles avec cette « queue » n’est pas connu de l’ EDD. Des enseignants disent aussi : « Si vous n’étiez pas là ce serait pire. » D’autres font la leçon : « Il aurait fallu faire ceci, comprendre telle consigne comme cela ! »

« Nous savons que sur les contenus, les méthodes, nous n’avons pas de prise, nous ne sommes pas des spécialistes, explique Teresa BUTERA. Nous pouvons “rattraper” un peu (mais qu’est-ce qui au juste s’encourt, s’échappe, pour qu’il faille le rattraper !!). Nous pouvons prévenir : des élèves qui sont venus chez nous dès le début des pri-maires nous disent avoir plus de facilités que d’autres dans le secondaire. Nous pou-vons aussi tout faire pour “donner du gout” puisqu’en fin de compte, c’est tout de même toujours l’enfant qui se décide à apprendre. »

On pourrait se demander quand même ce qui se passerait si tous les parents d’enfants qui fréquentent les EDD se réunissaient, préparaient des revendications dans les as-sociations, les portaient non pas seulement aux animateurs des EDD, non pas seule-ment aux enseignants, mais à des politiques responsables de structures de l’enseignement, de son organisation, des programmes, des méthodes, de la formation des enseignants.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Toujours parents de milieux populaires (chez qui les références « classe ouvrière » sont moins prégnantes que « public précaire », « allocataires sociaux », « demandeurs d’emploi ») et issus de l’immigration italienne, marocaine, y compris marocaine venant d’Italie.
2 Dans d’autres classes sociales les démarches sont sans doute du même ordre, mais encore plus individuelles et rendues possibles à coups de professeurs particuliers ou autres coachs payants.