Du point de vue sanitaire, il est extrêmement difficile de prédire quand les écoles pourront rouvrir. Si tout le monde a dû improviser face à la fermeture précipitée des écoles, sans doute est-il temps d’organiser la suite.
Ce qui a été fait et les difficultés que cela entraine a été largement commenté ailleurs. Notre objectif est ici d’esquisser quelques pistes pour agir dès à présent, sans attendre une imprévisible réouverture, afin de limiter le décrochage scolaire et l’explosion des inégalités. La plupart de ces pistes ont déjà été mises en place par certaines écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles, par d’autres pays ou par le passé. Ne devrait-on pas les généraliser ?
Limiter le décrochage
Cette période inhabituelle constitue pour certains élèves une trêve bienvenue. Pour d’autres, déjà fragilisés, elle risque au contraire de creuser la distance avec le monde scolaire. Si l’on veut limiter le décrochage scolaire, il faut que les écoles utilisent tous les moyens à leur disposition pour garder un contact régulier avec leurs élèves. Que ce soit par courriel, par téléphone, par courrier, via une plateforme numérique ou un média social, il est important que les équipes éducatives se mobilisent pour garder un lien avec chaque élève. Pour les élèves dont elles n’arrivent pas à avoir de nouvelles, il est important qu’elles passent le relais aux services partenaires (CPMS, AMO, service de médiation, etc.).
Concernant le débat sur la continuité des apprentissages, il est fondamental de distinguer les questions relatives à l’évaluation certificative ou sommative (qu’est-ce qui va compter pour la réussite d’année et les diplômes) et les questions relatives à la poursuite d’activités d’apprentissage (que propose-t-on aux élèves de faire). L’évaluation certificative est une source de stress pour beaucoup d’élèves et leurs familles. Certifier des apprentissages qui n’ont pas pu être travaillés en classe reviendrait à entériner les inégalités liées aux ressources matérielles et culturelles des familles. Il serait donc préférable de suspendre temporairement ce type d’évaluation.
Stop ou encore ?
Doit-on pour autant priver les élèves de toute opportunité d’apprentissage structurés par les enseignants ? Ne risque-t-on pas du coup de renforcer l’écart entre ceux dont les parents organisent les apprentissages et les autres ? Une fois levée la pression liée à l’évaluation certificative, la poursuite d’activités d’apprentissage peut être une façon d’aider les élèves à structurer leur temps, à développer des compétences, ou à échapper à une réalité morose. Une telle démarche exigerait cependant quelques solides précautions.
Tous les élèves ne bénéficient évidemment pas des mêmes conditions d’apprentissage à domicile. Les efforts des écoles pour contacter chaque élève pourrait aussi être l’occasion de faire un inventaire systématique des conditions d’apprentissage (matériel, connexion, espace de travail, maîtrise des outils, etc.) et d’imaginer ensuite des solutions adaptées à la diversité de ces conditions. Selon les réalités locales, cela implique probablement de proposer plusieurs options aux élèves d’une même classe : collecte et distribution de matériel informatique de seconde main, activités en ligne, par correspondance, ou via documents imprimés disponibles à un guichet de l’école, etc. Sans résoudre tous les problèmes, cela limiterait le nombre d’élèves qui n’ont même pas accès aux activités d’apprentissage organisées par les enseignants.
Apprendre à distance
Le temps à domicile n’est pas le temps scolaire. Poursuivre des activités d’apprentissage à distance demandera de renoncer à couvrir l’ensemble du programme. Définir des priorités peut être fait en analysant le programme pour identifier les acquis essentiels. Mais la poursuite des programmes doit-elle être la priorité ? Les évènements que nous vivons peuvent aussi être l’occasion d’ancrer une foule d’apprentissages dans un contexte qui fait sens pour les élèves. Ces apprentissages, qui donneraient aux élèves des clés pour mieux analyser ce qui se passe et ce qu’ils vivent, concernent aussi bien les cours généraux que les cours techniques ou professionnels.
Des apprentissages à distance demanderaient aussi une coordination renforcée des enseignants, pour éviter la surcharge des élèves et des personnes qui en ont la charge. Se concerter sur les tâches proposées et leur planification, communiquer les activités à des moments convenus et pas n’importe quand en ordre dispersé, s’accorder sur des outils communs à tous les cours, préciser qui peut être contacté quand et comment en cas de besoin, etc. Sans doute cela nécessite-t-il de sortir de la grille horaire hebdomadaire pour penser la répartition des activités entre les cours sur plusieurs semaines. Cela demande un cadre clair concernant non seulement le travail pédagogique, mais également le travail collaboratif.
Contrer les inégalités
Si l’on veut soutenir les apprentissages des élèves, il est crucial d’assurer un suivi, en particulier pour les élèves déjà en difficulté ou à besoin spécifique. Pour beaucoup d’entre eux, se limiter à diffuser un correctif risque d’être totalement insuffisant. Le confinement pourrait paradoxalement être une opportunité pour les enseignants d’analyser en profondeur les erreurs de certains élèves et les incompréhensions qu’elles révèlent, puis tenter de les accompagner, notamment en leur donnant des rétroactions plus précises et plus personnalisées. Bien sûr tout cela prend du temps, mais les enseignants auraient moins d’heures de cours et de corrections à assurer.
La place nous manque pour développer d’autres pistes telles que les contacts entre élèves, l’assouplissement des conditions d’accès au congé parental ou l’implication des citoyens volontaires dans des dispositifs d’entraide (du partage de Wi-Fi entre voisins jusqu’au soutien scolaire à distance). Mais dans certaines familles, le confinement vire au cauchemar et l’on frôle la négligence ou la maltraitance. Outre les enjeux de repérage, la question se pose de savoir s’il ne serait pas utile d’autoriser davantage de services à pouvoir placer des élèves en garderie au nom de l’intérêt de l’enfant. PSE et CPMS pourraient aider les écoles à améliorer leurs mesures sanitaires.
Cela nous amène à un autre point clé, le soutien des équipes éducatives. La pandémie actuelle est aussi un révélateur des inégalités entre écoles dans le niveau d’équipement, de ressources et de soutien selon leur pouvoir organisateur. Où sont les balises, les supports, les lignes vertes, les services techniques et pédagogiques qui peuvent répondre aux questions des enseignants et des directions et les aider à améliorer leurs activités à distance ? N’est-ce pas le moment de mutualiser certaines ressources des différents réseaux, avec le ministère dans un rôle fédérateur ? Sans abandonner complètement les chantiers en cours, ne serait-il pas judicieux que l’administration de l’enseignement puisse se mobiliser davantage sur les problèmes du présent ? Peut-on juste attendre que cela passe pour reprendre ensuite « comme avant » ?
Une des ambitions majeures du Pacte est de réduire le poids des inégalités dans notre enseignement, mais que valent les déclarations d’intention et les planifications soignées si nous n’arrivons pas à relever les défis d’aujourd’hui avec inventivité, souplesse et solidarité ? La manière dont pourra se vivre la réouverture des écoles ne dépendra-t-elle pas largement de ce que nous mettons en place maintenant pour affronter le confinement ?
Une opinion de Benoit Galand, professeur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain, membre de ChanGements pour l’égalité