Il y a l’écriture pour comprendre
Je raconte. J’inscris mon expérience. Je lui donne une structure, celle de la narration. Elle rejoint ainsi le récit, mon histoire, mais aussi l’histoire des hommes … Je l’inscris dans le temps, je l’enrichis de mes commentaires issus du réseau infini de mon passé, de mon savoir acquis, de mes connaissances aussi et en cela je l’éclaire. Et je lui donne un sens. Parfois ce n’est pas suffisant. Le récit est là, objectivé et je n’en vois pas le sens. Ce n’est pas grave, il faut sans doute encore du temps. Il faut peut-être aussi qu’il soit donné à lire à d’autres qui l’éclaireront par les retours ( en P.I. on dit les rebonds) qu’ils pourront en faire.
Il y a donc ensuite l’écriture pour se relier et pour partager.
Je donne à lire mon récit. Je le donne à entendre aussi. Je romps ainsi la solitude, dualité entre moi et moi-même, de l’écriture. Je triangule. Un tiers, un autre, un troisième, mon lecteur va s’interposer entre moi et lui. Cette lecture doit faire coupure. Pas facile car il s’agit là d’une séparation qui n’est pas sans risque. Mon récit devient un écrit. Mais c’est le prix à payer pour qu’il advienne en tant que tel comme l’enfant qui ne peut devenir s’il ne se sépare pas. Si je donne à lire, il faut que l’autre donne à lire aussi, sinon il est un voyeur, ou un prédateur et moi exhibitionniste ou proie. Il faut qu’il réagisse aussi, qu’il me fasse part de sa lecture à lui pour que mon récit puisse être re-pris et se dépasser.
Il y a l’écriture comme rumination
Je ressasse pour avancer un peu, je rêvasse, au plus près de mon expérience en essayant d’y mettre un peu d’ordre. Pour que le monde soit moins vaste, pour avoir l’illusion de maîtriser un peu. J’écoute, j’écris en m’écoutant. Je me dicte à moi-même. Et je me fais des surprises. Je ne savais pas que je pensais cela. L’écriture pour penser. Pour panser ? Écriture-mère ?
Au-delà
C’est peut-être cela la fonction de l’écriture en PI : permettre d’aller au-delà des apparences, du récit, de sa linéarité. Comme le récit dans la cure qui n’a d’intérêt que par les images associatives qu’il provoque. Je ne me souviens plus quelle femme parlait de ça un jour en ces termes : « on commence à raconter une histoire de rideaux et on se retrouve en plein drame vécu il y a une dizaine d’années. »
À y repenser soudain, j’entends ce que « rideaux » veut dire. La parole inaugure la scène: le rideau se lève, le théâtre commence …
Écrire sa pratique, c’est un peu le même travail. Ce qui compte, c’est ce qui est derrière le rideau, derrière l’écran. L’écriture renvoie des images, elle les reflète.
Parfois il est nécessaire d’attendre longtemps pour les discerner parce qu’elles sont trop floues ou dépourvues de sens au premier abord. Parfois il est nécessaire de les assembler, comme en un puzzle. Ou encore les voir ou les entendre en passant par le regard ou l’oreille des autres. Non qu’ils les voient ou les entendent mieux mais parce qu’ils les renvoient sous un autre angle. On voit alors, comme dans les illustrations que les enfants aiment tant, celles dans lesquelles se cachent des personnages qui tout à coup apparaissent si on regarde longtemps, ce qui ne se cachait pas mais qui pourtant était voilé. Du sens, un sens nouveau apparaît, surgit même et on en est tout changé.
À jamais.
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