Comment apprend-on à écrire ? Grâce au retour de nos lecteurs, de nos pairs — et ce d’autant mieux que ces relecteurs sont engagés avec nous dans un projet collectif. J’ai tenté de mettre les élèves dans cette situation, avec un dispositif d’écriture qui met de côté le prof et ses conseils.
Au départ, il y a un projet d’écriture. Cette fois-ci, c’est Amadou qui propose d’aller observer dans les autres classes de l’école, puis d’écrire. Le projet est accepté par la classe en conseil. Je propose de discuter plus tard de la diffusion des textes, si nous en sommes contents.
Avant les visites, j’amène une série de comptes rendus de visites écrits par d’autres enfants, notamment dans des journaux scolaires d’autres écoles de notre commune. Nous les lisons, nous voyons ensemble quelles sont les différentes parties du texte et leur fonction (titre, intro, corps du texte, conclusion), nous les surlignons dans différentes couleurs. Les élèves sont globalement enthousiastes. Ils sont curieux des textes et font des liens avec le travail qui les attend. Des enfants annoncent de temps à autre : « Nous, on va faire ça aussi ! »
« Je les laisse décider. »
Nous constituons dix groupes. J’impose des groupes de 1 ou 2 élèves, mais je les laisse choisir leurs partenaires.
Ces groupes partent en visite, chez des collègues volontaires, à différents moments de la semaine qui suit, pendant une petite heure. Ils ont comme consigne d’observer silencieusement et, dès leur retour en classe, de prendre note de ce qu’ils ont observé et ressenti. Comme les visites n’ont pas toutes lieu au même moment, les élèves restés en classe travaillent sur des fiches Freinet, du travail individuel.
À la séance suivante, tous écrivent. J’ai prévu une série de questions pour lancer l’écriture, donner des idées.
Lors des séances de travail suivantes, chaque groupe reprend là où il en était, tous n’avancent pas au même rythme. Quand un groupe a terminé son premier jet, je donne aux élèves une petite liste pour qu’ils vérifient si tout y est : titre accrocheur, intro, conclusion terminant par une chute rigolote ou sympathique, séparation en paragraphes, unité des temps de conjugaison… Là, je passe dans les groupes pour aider ceux qui en ont besoin. J’interviens le moins possible, je les renvoie vers les textes qui peuvent leur servir de modèles.
Les élèves se posent beaucoup de questions d’orthographe. Je refuse généralement de répondre et les encourage à se concentrer sur le fond, même si les outils d’orthographe sont disponibles et qu’ils peuvent les utiliser à tout moment. Les élèves sont tellement obnubilés par l’orthographe que cela paralyse l’écriture, et que pour beaucoup, écrire, c’est surtout se préoccuper d’orthographe. J’essaie de contrecarrer cette idée.
Faut-il tout réécrire sur une nouvelle feuille ? La question se pose quand il y a beaucoup d’améliorations à apporter. Je les laisse décider. Ce qui est pratique, c’est que nous avons appris des techniques d’amélioration des textes grâce à une méthode d’écriture utilisée en début d’année[1]À grands pas vers l’écriture de textes narratifs, La Chenelière. . Pour insérer une nouvelle phrase dans un texte, ils peuvent coller un post-it sur le côté du texte, coller une nouvelle bandelette de papier avec du papier collant (on peut soulever la bandelette et voir ce qui se trouve dessous), ou encore utiliser l’astérisque et écrire le passage à insérer sur une autre feuille. Il y a, dans la classe, un coin écriture avec tout le matériel à disposition. Souvent, les élèves décident quand même de tout réécrire, car ils veulent que ce soit propre, ou qu’ils en profitent pour parfaire leur calligraphie.
Après cette autoévaluation, c’est le moment de l’évaluation par les pairs. À la séance suivante, j’organise un échange de textes entre les groupes. Chaque groupe reçoit donc le texte d’un autre groupe, accompagné d’une nouvelle petite fiche d’évaluation. On y trouve une partie des critères de la première liste, et aussi un espace pour faire des suggestions d’améliorations. À nouveau, j’insiste pour que les commentaires ne portent pas sur l’orthographe, mais sur le fond et sur la formulation. J’aime beaucoup ce moment où les élèves se donnent des conseils entre eux. Les commentaires sont faits et reçus avec beaucoup de sérieux. Dans la partie suggestions de la fiche, on trouve de tout : « Il faut ajouter des informations » ; « On ne comprend pas bien à quel jeu ils jouent » ; « Des virgules !!!! » ; « Mieux séparer les mots pour qu’on comprenne, SVP ». Il y a aussi des commentaires positifs et des félicitations, ça fait toujours plaisir.
Quand un groupe reçoit les commentaires des camarades, il se remet au boulot. C’est la troisième version du texte. Les élèves discutent aussi entre groupes quand ils ont besoin de précisions sur les commentaires qui ont été faits.
Quand je reprends cette troisième version, ainsi que les deux précédentes, je n’ai pas encore lu les textes. Je peux cependant voir qu’ils ont beaucoup changé depuis leur première version.
Tout au long du travail, mon objectif est d’intervenir le moins possible. Ils sont pendant la majeure partie du processus seuls face aux contraintes de la situation, aux ambitions du groupe. On aurait pu construire ensemble la grille d’évaluation, cela aurait été encore mieux, mais aurait pris beaucoup de temps. Je craignais que l’enthousiasme ne retombe, alors qu’on n’était pas encore entrés dans le travail d’écriture. Le travail sur les textes-modèles a quand même permis de donner du sens à cette grille.
Je lis parfois par-dessus leur épaule par curiosité, mais je ne fais pas de commentaire. Le fait qu’ils s’évaluent entre eux les a motivés et responsabilisés.
Je veux qu’ils se rendent compte de trois choses : premièrement, qu’écrire, c’est surtout réécrire, deuxièmement, que pour bien écrire, il faut écrire en pensant à ses futurs lecteurs (élément souvent négligé à l’école). Et troisièmement, qu’ils sont capables de faire ce travail en grande partie sans l’aide d’un adulte.
À la fin, je lis les textes et propose à certains quelques améliorations, minimes. Il y a deux groupes (dont un constitué d’élèves non francophones) pour lesquels le travail n’a pas suffi à produire un texte compréhensible, je dois prendre plus de temps avec eux.
Je corrige rapidement l’orthographe, sous leurs yeux, et ils reprennent leur texte pour écrire la version finale, celle qui sera diffusée. Certains le tapent à l’ordinateur. Au conseil suivant, les élèves décideront d’en faire un journal, qui sera imprimé et diffusé dans toute l’école.
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Notes de bas de page
↑1 | À grands pas vers l’écriture de textes narratifs, La Chenelière. |
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