Mon rapport à la littérature de jeunesse est particulier : je n’ai pas écrit « pour » des jeunes, mais « avec » eux.
Quoi qu’en pensent certains, écrire un texte de fiction ne se fait pas seulement sur la base d’une vague idée, en prenant la plume et en la laissant filer en toute liberté. Les écrivains qui affirment ne pas savoir où ils vont quand ils commencent à écrire, mentent à moitié ; ils ont suffisamment de métier pour ne pas se donner la peine de mettre par écrit leur structure, mais celle-ci est là, bien présente au fond d’eux, et c’est elle qui les guide, pas la plume. On peut croire que l’on a la meilleure idée du monde ; celle-ci ne sera validée que si elle résiste à la longueur et à la durée. Que si, donc, elle est développée à travers une structure éprouvée.
Évidemment, les conditions qui furent les miennes pour ces projets d’écriture avec des enfants ne permettaient pas de travailler comme un scénariste hollywoodien. Il a fallu adapter quelque peu…
La première fois, l’instituteur, Dominique PAQUOT, avait une classe de quatrième primaire et souhaitait écrire avec eux un roman. Vaste entreprise ! Il m’a contacté pour les aider et je leur ai proposé une méthode assez simple, qui s’est avérée efficace : lors de notre première rencontre, je leur ai demandé de définir les principaux personnages et la situation initiale. Sur ces éléments, j’ai écrit un premier chapitre, que je suis revenu leur lire la semaine suivante. À leur tour, ils ont imaginé ce qui allait se passer ensuite. Rebelote : j’ai rédigé le chapitre suivant, que je suis venu leur lire, ils ont imaginé la suite… Et nous avons pu procéder de la sorte pour les quatre ou cinq premiers chapitres du roman.
Nous étions là presque dans la situation de « totale liberté » à laquelle prétendent les écrivains cités ci-dessus. Sauf que, sans que les enfants le sachent toujours, je tenais les fils bien serrés. Lorsqu’ils voulaient ajouter un personnage nouveau, je leur expliquais que ce n’était possible qu’à condition que cela soit cohérent et que, sinon, mieux valait faire évoluer le récit avec les personnages dont nous disposions. De la sorte, je pense leur avoir fait percevoir les règles narratives fondamentales, qui régissent tout récit : la cohérence, l’efficacité, la nécessité que tout, dans un texte, ait une raison d’être…
Après cette première étape, il s’est avéré qu’il n’était plus possible de fonctionner de manière aussi « libre » ; le récit risquait de ne jamais finir, ou de partir en eau de boudin. Alors, je leur ai posé la question que, normalement, tout écrivain se pose avant d’écrire la première lettre : à quoi voulez-vous arriver ? Quelle fin souhaitez-vous pour cette histoire et ses personnages ? Après avoir supprimé l’arrivée des extraterrestres (manière de leur expliquer qu’il faut absolument éviter les « deus ex machina », c’est-à-dire les résolutions qui recourent à des éléments totalement extérieurs et incohérents), après surtout avoir longtemps discuté pour choisir la fin la plus forte (autre principe de base de tout bon récit : le climax doit atteindre à une tension maximale), je suis reparti écrire. À chaque chapitre nouveau, je suis revenu leur lire et écouter leurs remarques.
Au final, nous nous sommes retrouvés, fiers et heureux, avec un roman[1]Le roman porte le titre de La petite souris qui rêvait d’aller au Bout-du-Monde et ne peut être acheté. de près de 200 pages, imaginé entièrement par des enfants de huit ans. Je ne crois pas qu’ils auraient été capables de l’écrire, et sans doute beaucoup de gens auraient cru qu’ils ne seraient même pas été capables de l’imaginer. Ceux-là se trompent. Et je suis certain que nous avons fonctionné dans le bon ordre : il n’est pas sûr, en effet, que l’on puisse apprendre à quelqu’un à écrire un texte littéraire (il y a, quoi qu’on en dise, une part de disposition personnelle), mais on peut apprendre à n’importe qui à construire un récit. C’est-à-dire, donner une forme et une structure à ses idées, dans le but de les faire partager par autrui. Le reste, l’écriture, n’est plus dès lors qu’un détail…
Notes de bas de page
↑1 | Le roman porte le titre de La petite souris qui rêvait d’aller au Bout-du-Monde et ne peut être acheté. |
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