Mes petites-filles ont une règle immuable : un livre avant la sieste et deux avant la nuit. Peu après avoir parlé de cet album en comité de rédaction de TRACeS, je vois Léa, l’ainée (quatre ans et demi), me demander Le chapeau ! Je suis bien content, l’entrée de mon édito est toute faite ! Le chapeau, voilà bien un texte d’intello, un choix d’artiste, d’animateur socio-cul, du genre « prémices d’une addiction » !
« Et c’est encore toujours la même histoire, celle d’un monsieur qui rentre chez lui, le soir, satisfait, heureux et pas bredouille, car dans son panier, il y a un poisson et une grenouille, pour diner, sans oublier un chapeau melon, élégant, pour inviter une demoiselle, à diner aux chandelles. » Travailler ça en cycle 5/8 D+, faut le faire. Léa, elle, s’amuse et jouit de la musique des mots et de la poésie des images.
Car il y en a des inférences à faire à partir du dessin, du sens à donner derrière tout cet implicite. Moi, gros pèquenot, je n’y vois rien, il me faudrait un décrypteur aussi pour saisir les indices subtils ! Léa sort son pouce de sa bouche, lâche son doudou et le doigt sur la page, elle m’explique, revient en arrière, fait des commentaires. Bourdieu, mais c’est bien sûr, sans savoir lire, elle est en train d’évoquer, de se construire des images mentales, d’articuler sens et signe !
La bonne langue que voilà, celle des beaux albums subtils et brillants, la langue de la scolarisation, celle qui permet les plaisirs connivents entre lettrés et avec leurs petits-enfants, celle qui permet d’apprendre toujours plus, de réussir toujours mieux. La mauvaise langue que voilà, celle qui se refuse à ceux qui ne la connaissent pas déjà, à ceux dont l’oral ne se construit pas en connivence avec l’écrit. Outil d’émancipation, et outil de domination, de sélection, d’exclusion : si bonne et si mauvaise langue que celle de l’École !
Dans ce dossier, les très bons lecteurs trouveront des pistes et des idées pour que cette mauvaise langue de l’École devienne bonne, émancipatrice pour le plus grand nombre.