Apprendre à parler, c’est pour les élèves. Parler, ça les profs savent faire. Apprendre à écouter, c’est pour les profs. Écouter, ça les élèves savent faire.
Quoique… S’ils n’écoutent pas, les profs parlent-ils si bien ? Et s’ils ne parlaient pas, les élèves écouteraient-ils encore ? À y bien réfléchir, s’ils savaient si bien parler, les profs parleraient moins et s’ils savaient si bien écouter, les élèves parleraient plus ! Et s’ils parlaient moins pour ne rien dire, les profs et les élèves pourraient s’écouter.
Ah, s’écouter parler, ça les profs savent faire ! Les mots volent, choquent, frappent, flagellent et rebondissent, ils échafaudent, forment, spéculent, retentissent et avertissent, mais ils finissent toujours par affirmer savoir. Et cela semble toujours si évident à celui qui a fait de sa vie profession de parler, parler pour dire, montrer, démontrer et adresser… dresser, redresser ?
Qui écoute ? Qui est celui qui écoute ? Et y a-t-il quelqu’un qui écoute ? L’élève écoute avec ses yeux et se tait. Et tout son corps parle. Et qui l’écoute ? Et avec quoi tout cela rime-t-il ? Avec débile babil infantile ou avec servile et gentil ?
Mais je m’égare, il s’agit ici d’apprendre à parler et d’apprendre à écouter…
Ce n’est pas rien, quand on y pense, de verbaliser. Produire des hertz modulés qui s’articulent et forment des mots à la chaine, c’est déjà toute une histoire, mais savoir en plus qu’on y joue l’image de soi, la relation à l’autre, au groupe, à la troupe et à son chef, qu’on y produit le sens qui s’échappe et nous glisse entre les mots et en plus l’appréciation du professeur, ça sent tout de suite le coaching avant entretien d’embauche, la sueur froide et l’absence de jouidires.
Donc, ça s’apprend, mais pas n’importe comment. Il s’agit ici de se sentir autorisé à participer au grand jeu de l’enjeu des mots : le jeu de l’idéologie. Produire des mots, écouter des mots. Des mots, des mots, des moteurs pour penser, pour poser sa pensée, pour revendiquer ce qu’on est, pour dire ce qui a été et formuler ce qu’on veut être, pour ne plus s’en laisser conter, pour mettre fin à la violence des mots qui dominent en utilisant les mots qui dominent, pour construire avec les autres les savoirs qui émancipent, et foutre le bordel dans cette saloperie de merde de culture de la distinction, mais sans perdre le suc de la jouissance de la spéculation intellectuelle, mais là je sens que je deviens lyrique et que je risque d’effrayer le lecteur qui écoute.
Comment voulez-vous qu’ils apprennent à parler quand, de la maternelle à la fin du secondaire, les élèves sont soumis à la baisse tendancielle du feedback verbal. Qu’on se le dise !
Et pour le reste, je cite : « C’est un vent du nord et si la pluie continue à monter, on va être drôlement pulvérisés dans les boites à tartines. Mieux vaut s’accrocher à son dentifrice et laver plus coca que cola… »