Édito

Cette insupportable certitude d’avoir raison, cette terrifiante attitude condescendante de l’autorité compétente, toujours prête à juger puis à aider, avec l’aplomb de ceux qui savent… Les hontes dans l’école sont les dégâts collatéraux des bonnes intentions, plus souvent que des intentions de nuire.

Il faut donc sensibiliser, c’est notamment ce que nous tentons de faire ici. Et pourtant… Il ne s’agit pas seulement de le savoir, d’y être attentif, il s’agit aussi de choisir son camp. Car prendre conscience de la violence des rapports de classes, pour un prof, c’est se rendre compte tout à coup qu’on pourrait bien être du côté du bâton.

La déconsidération, l’humiliation liées à la position sociale ne sont pas des dysfonctionnements des rapports sociaux, elles sont constitutives de ces rapports sociaux. Les fiertés des dominants s’appuient sur les hontes : les regards, les mots, les attitudes de ceux qui sont en position dominante signifient aux pauvres leur sous-humanité par défaut. Des manques, des lacunes, « des petits cerveaux amoindris »[1]Extrait du texte Les profs qu’on veut, publié dans ce numéro., des petits moyens, des retards, des déficits culturels, des petites gens… sur lesquels se construisent les rapports de domination dans l’école (et aussi dans l’entreprise, au guichet de la commune, à la banque, avec le proprio, chez le notaire, le médecin, à l’hôpital…)

Mais dans l’école, c’est encore plus dégueulasse, les identités sont là, en construction, toutes molles et sans carapace, avec leurs histoires, leurs désirs, leurs forces, leurs faiblesses, et les profs sont là, qui les regardent de haut, en reconnaissent certaines qui répondent à leurs attentes et blessent les autres, toujours prêts à s’émerveiller de certains et à désespérer des autres, à prononcer des phrases définitives et péremptoires sur le bon grain et l’ivraie. Les mots qui blessent sont dans les témoignages publiés dans ce numéro, nous les avons tous déjà entendus, nous n’avons pas toujours trouvé les mots ou le courage pour les combattre, reconnaissons-le.

Je dis bien combattre. Il ne s’agit pas seulement d’aider. Oui, un mot, une main tendue, un coup de pouce, un regard bienveillant peuvent parfois redonner de la confiance et de l’estime de soi, mais si tout par ailleurs, l’organisation des cours, les remarques de l’autorité, l’organisation des réunions de parents, des voyages scolaires, les commentaires des évaluations ou des conseils de classe, l’organisation des inscriptions scolaires, les conseils d’orientation… si tout par ailleurs affirme le contraire, si globalement la relation reste fondée sur un rapport de domination, alors même l’aide est humiliante. Le respect de soi vient aussi du respect que l’on vous porte.

De la nécessité de se rappeler que seule la solidarité permet de combattre les effets des positions sociales, qu’à « la honte d’être vu d’en haut » ne peut répondre que « la fierté d’avoir résisté ».

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Extrait du texte Les profs qu’on veut, publié dans ce numéro.