Édito

La langue de nos élèves passe de l’autre côté de l’écran, s’engouffre dans nos câbles et s’expose sans pudeur aux yeux de tous.

Et ça nous turlupine (fait chier). Ventrebleu (putain) voilà que la langue est méconnaissable (dingue), qu’elle se mutine (à poil !) et refuse d’obtempérer (ce n’est qu’un début…) aux codes (heu, les règles quoi) ! Elle s’insinue (nous gonfle) dans nos salons, grignote inexorablement (sa mère) les frontières de la sphère publique (dehors) et s’exhibe (ouaaaah !) en un clic dans une forme délitée (beurk) proche de la décomposition (rata). Fichtre (trop cool) !

Alors, on fait quoi ? On crie au loup ? On tape dans le tas ? On appelle un linguiste ? Ou on se met la tête dans le sable en espérant que Proust passe par là ?

Rien de tout cela bien évidemment, ce serait mal nous connaitre ! Parce que nous les profs, la langue de nos élèves, on la connait, ce n’est pas la première fois qu’on la voit toute étalée là sous nos yeux. Et ce n’est pas la première fois non plus qu’on la voit malaxée, tordue, pétrie, contrainte et piétinée.

Alors, ne revenons pas à nos vieux réflexes sécuritaires effarouchés sous prétexte que, si nous en perdons le contrôle, elle ne pourra que dépérir. Il est toujours plus facile de brandir de nouveaux règlements, de bonnes raisons d’exclure et de bêtifiants clichés d’un monde dans lequel tout fout l’camp et tout se perd que de comprendre que dans la communication, le sujet se joue. S’il s’agit de regarder en arrière, que ce soit au moins pour retourner aux fondamentaux : le rapport à la langue est instrument de pouvoir : le pouvoir qui humilie ou le pouvoir de s’émanciper. Il s’agit donc une fois de plus de choisir son camp.

C’est donc bien de cela qu’il s’agit ici. De la lettre à l’écran, du facteur au câble, au rythme des jambages ou des claviers, rappeler ce qui s’est déjà fait et pensé (ne pas réinventer la roue), montrer à voir ce qui s’invente et s’expérimente dans les classes pour faire commencer des écritures, faire s’épanouir des écritures, faire place aux écritures qui créent des fiertés, faire avec des écritures des armes, faire contre des écritures des échappées belles.