– Écoute mon vieux, y serait temps que tu retournes à tes poules, on est fatigué de tes éditos campagnards qui puent le suin d’une brebis tondue…T’en a pondu combien de ces écrits villageois indigestes ?
– Euh, depuis 1990, le 69 puis du 72 au 179 sans interruption. Sauf le 90… Cela fait cent-huit éditos et seize ans de fidélité.
– Hum ! Pour le 179, c’est pas encore fait.
– Je suis bien placé pour le savoir puisque je suis en train de l’écrire.
– Ne m’énerve pas, fais pas le malin… C’est le dernier de toute façon.
– Le der-quoi ?
– Manque de créativité, d’originalité, de marginalité.
– Pardon ?
– Carence artistique ! On veut un éditorialiste capable ! Un dessinateur de situations, un peintre des émotions, un cartooniste, un poète, quelqu’un qui théâtralise et qui fait danser les mots, un graphiste des lettres, un saltimbanque de la littérature, un ménestrel de l’amour et de la sexualité…
– Mais…
– T’as le cerveau droit atrophié mon petit gars, va faire ton potager.
– Ben si j’avais su qu’on me laissait cette liberté d’écriture.
– T’y as pas pensé parce que tes neurones sentent le crottin de vieux poney.
– L’artistique, c’est déjà dépassé. Ce sont les savoirs fondamentaux qui ont la cote à l’école. Tout se recentre sur les apprentissages dans les disciplines de base.
– Ouh lala…
– Oui, tout le monde le dit ! Même la ministre Maria Arriva.
– Et bientôt repartie. T’inquiète, je sais ce que je dis. Le bourrage de crâne scolaire, c’est bon pour les paysans comme toi, les sans grade et les tâcherons. Dans un monde qui change, ce sont les joueurs d’harmonica, les créatifs, ceux qui glissent d’une expression artistique à l’autre avec la légèreté de la danseuse de ballet, ce sont ceux-là qui ont de l’avenir.
– Compris, je m’en vais.
Ils ont osé me faire ça…